La BCE exclut tout traitement de faveur

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• Sans surprise, la BCE n’a modifié ni sa politique de taux, ni sa politique de soutien à la liquidité en janvier.
• Les données récentes suggèrent un ralentissement de la croissance début 2010 et l’absence de pressions inflationnistes. Dans ce contexte, le niveau des taux directeurs reste « approprié ». 
• Trichet a qualifié l’hypothèse d’une sortie de la Grèce de la zone euro d’« absurde ». Il a toutefois précisé que les critères accommodants d’éligibilité des collatéraux ne seraient pas étendus en 2011.

La réunion de la BCE du 14 janvier aurait pu être un non-événement si les craintes liées à la situation en Grèce n’étaient pas de nouveau montées d’un cran cette semaine. En effet, les indicateurs publiés en zone euro depuis début décembre ne changent pas fondamentalement les perspectives de moyen terme du point de vue de la politique monétaire. Les enquêtes de confiance ont continué de progresser en décembre, tout en restant compatibles avec un ralentissement des rythmes de croissance au premier semestre 2010. La demande domestique, en particulier, devrait être pénalisée par l’arrivée à échéance d’une partie des mesures de soutien des gouvernements, ce que reflète déjà la chute des ventes de détail en novembre. La situation générale du marché du travail ne devrait pas s’améliorer rapidement, et la BCE s’attend à ce que le taux de chômage remonte « encore un peu ». Dans un contexte de faible demande finale et de remontée du chômage, les tensions sur les salaires et les prix sont logiquement inexistantes. Les effets de base défavorables ont fait remonter l’inflation en zone euro, non loin des 1 % fin 2009, mais la tendance sous-jacente reste à la baisse. Le risque de déflation n’a pas disparu dans plusieurs pays, notamment en Irlande. En conséquence, la BCE continue d’insister sur l’importance des anticipations d’inflation de moyen terme, qui restent bien ancrées à ce stade.

Enfin, les données d’agrégats monétaires décevantes pour novembre ne signalent pas de reprise rapide du crédit dans l’immédiat. La BCE note toutefois que le crédit aux ménages affiche une hausse marquée en novembre, et que le crédit aux entreprises, historiquement en retard de trois à quatre trimestres, est amené à renouer avec la croissance cette année. Par ailleurs, M. Trichet a répété que de nombreux biais entraînaient toujours une sous-estimation de la dynamique réelle de la monnaie et du crédit. Dans ce contexte, la BCE n’a aucune raison d’accélérer le processus de sortie de sa politique de soutien à la liquidité telle qu’elle l’a défini le 3 décembre. M. Trichet a indiqué que les conditions des prochaines opérations de refinancement (en particulier celles du dernier appel d’offres à six mois du 31 mars) seraient détaillées début mars. A ce stade, la BCE s’accommode du niveau de l’Eonia, nettement inférieur au taux directeur dans un contexte de liquidité excédentaire au premier trimestre.

Pas de compromis sur les finances publiques

M. Trichet était attendu sur la question des politiques budgétaires. Le ton général reste largement inchangé, la BCE réitérant son appel à des réformes « audacieuses » des gouvernements pour redresser leurs finances publiques. Sans s’attarder sur la situation de chaque pays, M. Trichet a tout de même relevé les efforts « impressionnants » fournis par l’Irlande, soulignant ainsi en creux le travail qui attend la Grèce. Il a également assuré que le gouvernement grec avait « bien reçu le message ». Enfin, M. Trichet, a exclu tout traitement de faveur de la part de la BCE, indiquant que la politique accommodante de gestion des collatéraux ne serait pas étendue en 2011. En l’état actuel des notations souveraines, les titres de dette de tous les pays de la zone euro resteraient éligibles en 2011, mais la position ferme de la BCE implique que pour certains d’entre eux, une nouvelle dégradation par les agences de notation changerait la donne. La Grèce est directement concernée.

Grèce : au centre des inquiétudes

La situation des finances grecques occupe de nouveau le devant de la scène depuis le début de l’année. Les sources d’inquiétude tiennent à la détérioration des finances publiques en elles-mêmes, mais aussi aux conséquences pratiques en termes de notation souveraine, de coût de la dette et d'éligibilité en tant que collatéral lors des opérations de refinancement de la BCE. En réaction aux événements récents, la prime de risque exigée par les investisseurs pour détenir de la dette grecque a explosé et dépassé ses points hauts de 2009. Le taux sur obligation grecque dix ans s’établit désormais à plus de 280 pdb au-dessus du Bund allemand utilisé comme benchmark. Le spread de CDS grec à cinq ans a franchi le seuil des 300 pdb cette semaine.

Les dernières projections, établies par le gouvernement en octobre 2009, tablent sur un déficit public de 12,7 % du PIB et un ratio de dette publique de 113 % du PIB en 2009. La réduction du déficit et surtout de la dette s’annonce lente et douloureuse (cf. Eclairages Mensuel de Décembre 2009, « Alerte sur la dette publique en Europe ») et plusieurs facteurs aggravants ajoutent à l’incertitude actuelle : le déficit a une large composante structurelle (60 %), le vieillissement de la population pèse plus qu’ailleurs, et les charges d’intérêt sur la dette occupent une part nettement plus élevée que dans les autres pays (13,4 % des recettes fiscales en 2009, contre 6,8 % pour la zone euro). Enfin, la qualité des données est remise en question dans un rapport récent de la Commission européenne qui relève de nouvelles irrégularités concernant les paiements d’intérêts, le niveau de la dette, ainsi que les revenus fiscaux.

Grèce : les prochaines échéances théoriques

La Grèce a été placée sous une procédure de déficit excessif (EDP) en avril 2009, et suite à l’avis négatif de la Commission du 11 novembre, le gouvernement doit présenter un nouveau plan de consolidation des finances publiques (Stability Programme) dès la fin janvier. Ce programme, dont les grandes lignes ont été révélées cette semaine, sera discuté en amont avec la Commission. A ce stade, ces mesures prévoient une réduction du déficit de 4 pp en 2010 à 8,7 % du PIB, grâce à une combinaison de hausses d’impôt et de baisses des dépenses (hausse des contributions sociales pour les retraites, plafonnement voire baisse des salaires dans la fonction publique). Par la suite, la loi de finances détaillant le budget 2010 doit être votée par le parlement au plus tard début février.

Sur cette nouvelle base, la Commission européenne doit décider au printemps 2010 de poursuivre ou non la procédure EDP. Dans l’intervalle, celle-ci prévoit le placement de la Grèce sous la procédure de l’article 126(9) du Traité visant à notifier officiellement l’insuffisance des mesures annoncées fin 2009. Si cet article prévoit à terme une série de sanctions en cas de nouvel échec (publication de rapports détaillés avant les émissions obligataires, remise en question des aides de la BEI et, in fine, une amende pouvant atteindre 0,5 % du PIB), cette procédure serait ralentie par de longs mois de négociations. Enfin, la Commission devrait publier un rapport tous les trois ou six mois pour évaluer la crédibilité des mesures proposées.

Grèce : les conséquences pratiques

La dégradation des finances publiques peut avoir plusieurs conséquences pratiques pour le pays. Le renchérissement du coût de la dette arrive au moment où les besoins de financement sont eux-mêmes en forte hausse.

La BCE a par ailleurs confirmé que le seuil d'éligibilité des collatéraux serait bien relevé de BBB- à A- au 1er janvier 2011 comme prévu. Or la Grèce est notée BBB+ par S&P et Fitch (non éligible compte tenu des règles de conversion en vigueur) et A2 par Moody's (éligible). En cas de nouvelle dégradation par Moody's, la dette grecque ne pourrait donc plus être mobilisée par les banques commerciales pour se refinancer auprès de la BCE. Pour le gouvernement grec, cette menace représente une incitation supplémentaire à présenter et à mettre en œuvre au plus tôt un plan crédible d’assainissement des finances publiques.

Une sortie de l’euro, un scénario « absurde »

Dans ce contexte difficile, Trichet a calmé le jeu en qualifiant d’ « absurde » l’hypothèse d’une sortie de la Grèce de la zone euro. On peut difficilement le contredire, tant le coût économique, social et politique d’une sortie serait dévastateur pour le pays et pour la zone euro dans son ensemble. D’un strict point de vue juridique, un papier récent de la BCE souligne les obstacles théoriques à un retrait unilatéral, fût-il négocié, et conclut par ailleurs à l’impossibilité pour l’UEM d’expulser un pays membre. La Grèce ne sortira pas de la zone euro, c’est certain, mais elle n’en est pas pour autant sortie d’affaire. Rigueur et austérité budgétaires sont les seules voies praticables de sortie.

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