Le web c’est bientôt fini !

par Alexandre Hezez, Responsable de la gestion chez Convictions Asset Management

La démocratisation des smartphones, tablettes et autres objets connectés bouleverse les modes de vie et fait apparaitre de nouvelles habitudes de consommation et des opportunités inédites. L’année 2013 va marquer un tournant historique dans l’industrie puisque, en base installée, à partir du 2ème trimestre il y aura plus de smartphones et de tablettes que de PC et d’ordinateurs portables dans le monde.

On observe un bond dans l’équipement de ces smartphones et tablettes, accompagné d'une explosion de la connexion en mobilité.

La question se pose alors des changements de modèle économique de nombreux secteurs et notamment ceux qui utilisent internet comme vecteur de développement via les sites web classique. Tous les acteurs devront s’adapter à cette nouvelle réalité.

En effet, un nouveau paradigme s’ouvre et cette guerre des smartphones et des tablettes n’y est pas étrangère. Bientôt, l’accès à internet passera principalement par des géants de la connectivité via leurs applications et leurs terminaux mobiles. Internet était à l’origine synonyme de liberté, l’utilisateur « surfant » sans obstacle de site en site, partout dans le monde. Mais le combat mené aujourd’hui par Apple, Amazon, Facebook ou Google menace l’existence du web tel que nous le connaissons puisqu’il entraîne fragmentation et cloisonnement.

L’essor d’internet vers un marché mature

Créé dans les années 60 aux Etats-Unis pour relier des centres militaires et scientifiques, « le réseau des réseaux » avait à l’origine comme ambition de partager des informations en connectant les ordinateurs via un protocole de communication standardisé.

A partir du milieu des années 1990, internet s’ouvre au grand public et connait une croissance exponentielle. Le nombre de sites web passe ainsi de moins de 3 000 en 1995, à plus de 630 millions aujourd’hui. Le nombre d’utilisateurs estimé à 16 millions en 1995, explose à plus d’un milliard dix ans plus tard. Si ces chiffres sont vertigineux, le développement d’internet connait une nouvelle phase de croissance rapide, avec l’arrivée des internautes issus des pays émergents. Entre 2008 et 2012 uniquement, la population d’internautes a cru de plus de 763 millions, pour parvenir à une population totale de 2,4 milliards. La marge de croissance est encore importante : si le taux de pénétration d’internet est de 78% aux Etats-Unis, il n’est que de 40% en Chine et seulement 11% en Inde.

L’essor des smartphones et des tablettes est irrépressible

Internet connait désormais une seconde révolution en devenant mobile, grâce à l’essor sans précédent des smartphones et des tablettes. Le nombre d’utilisateurs de smartphones a augmenté de 42% cette année dans le monde, et le potentiel reste immense puisque ces derniers ne représentent que 17% des utilisateurs de téléphone mobile. La base installée de smartphones et de tablettes dépassera celle des PC et des notebooks dès la mi -2013. Tout cela impose une réflexion sur le modèle économique et sociologique de ces nouveaux supports.

Les applications apparaissent comme un nouveau modèle économique

L’accès à internet a évolué avec les plateformes mobiles. Pour promouvoir la vente de ces tablettes, liseuses ou smartphones, les fournisseurs proposent l’accès à un ensemble de logiciels applicatifs et à une bibliothèque « média » toujours plus étendue. Le succès d’Apple s’explique ainsi en grande partie par la richesse de la bibliothèque de téléchargement iTunes, qui comprend 28 millions de chansons, vidéos, e-books ou applications, gratuits ou payants. Lancée en 2008, la plateforme de téléchargement d’applications comptabilise à ce jour plus de 25 milliards de téléchargements. L’entreprise de Steve Jobs est parvenue à enrichir rapidement sa bibliothèque d’applications en permettant à des développeurs indépendants de mettre en vente leurs créations sur l’App Store, à condition de se plier aux exigences d’Apple. Sur le marché des tablettes, Apple propose plus de 225 000 applications pour son iPad, Amazon 28 000 pour ses tablettes Kindle Fire.

Les bibliothèques de contenus ne cessent de croitre. Apple mène une politique agressive sur le segment des e-books, où Amazon dispose encore de 60% de parts de marché. Amazon de son côté a lancé le service Cloud Player Music, un concurrent direct du leader sur ce segment, iTunes. Les deux entreprises développent des services de streaming vidéo.

De nouveaux circuits de distribution des sites internet s’offrent à l’utilisateur

Les utilisateurs peuvent lire leur journal personnalisé sur leur tablette, regarder les bandes annonces des prochains films en plein écran, écouter de nouvelles chansons et les télécharger, lire leurs emails personnels et professionnels, acheter des titres de transport…Les applications s’installent dans le quotidien et évoluent à mesure que les environnements technologiques des smartphones s’améliorent. Plus légères que des logiciels traditionnels, elles intègrent des fonctions spécifiques, conçues pour interagir avec d’autres applications. Plus simples d’usage, et plus sécurisées qu’un site internet, les applications mobiles deviennent le moyen d’accès privilégié à l’information sur internet. Les sites web traditionnels sont de moins en moins consultés.

En France déjà, le trafic internet diminue, tandis que l’utilisation d’applications continue de croitre. Entre juin 2011 et juin 2012, le trafic du web français a baissé de 5%, tandis que celui des applications progressait de 54,8%.

L’accès à l’information est en jeu

L’accès à internet via des plateformes propriétaires closes ou semi-closes, tablettes ou smartphones, permet à ces entreprises de vendre des applications et de récolter des informations qu’elles pourront par la suite monétiser. En 2011, les revenus mondiaux liés à la vente d’applications et à la publicité sur les téléphones mobiles se sont élevés à 12 milliards de dollars, ce qui représente une hausse moyenne annuelle vertigineuse de 153% depuis 2008. Ainsi 38 % des Français possèdent un smartphone et téléchargent parmi un catalogue de plus d’un million d’applications disponibles.

Pour donner un exemple concret : de nombreuses applications gratuites sont conçues comme de véritables service, comme celle de la RATP, qui informe de l’état du trafic et propose un itinéraire de substitution en cas d’incident sur les lignes. Dans la même veine SNCF Direct permet de connaître le numéro de quai d’où partent les trains. Bientôt, pour acheter un billet de train, il ne sera plus nécessaire de passer par le web Voyagesncf.com, encore moins par le téléphone, ni par internet, mais par l’application qui aura été directement téléchargée.

La guerre des tablettes et des smartphones, c’est la guerre de la distribution de contenu, les gagnants seront les maîtres de la consommation et de la diffusion de l’information. L’enjeu réel de ce combat titanesque est triple : distribution de contenu, e-commerce, diffusion de l’information.

Google, Amazon, Apple et Facebook et d’autres existants ou à venir sont engagés dans une lutte acharnée où les plateformes mobiles et leurs applications sont des armes absolues. Le futur dépendra donc de leur capacité à capter une audience toujours plus importante, à collecter et exploiter des données sur les utilisateurs. Pour ce faire ces entreprises doivent se transformer en écosystèmes fermés les plus complets possible, véritables « territoires digitaux » constitués de produits (iPhone, iPad …), services (bibliothèque d’applications, navigateur propriétaire) et contenus (iTunes). Pour prendre l’exemple de l’activité iTunes : l’iTunes Store se révèle de facto un des géants de l’industrie des médias. Sa croissance est plus rapide que celle de ses concurrents (35% sur un rythme annuel) ; à ce rythme, iTunes pourrait faire mieux que Viacom d’ici deux ans. La véritable force d’iTunes ne réside pas uniquement dans son pléthorique catalogue de contenus, mais dans sa base d’utilisateurs : 435 millions de comptes iTunes représentent un poids singulier au moment de négocier des accords de distribution. L’App Store propose pas moins de 700 000 applications. Un puit sans fond qui a néanmoins ses bestsellers. Moins d’une vingtaine de programmes connaissent un succès considérable et un tiers des applis les plus téléchargées sont une déclinaison des services existant sur le web fixe.

Un enjeu colossal pour les entreprises

Avec un marché mature, des constructeurs expérimentés et des consommateurs appétents, 2013 sera l’année de la démocratisation de l’usage des tablettes tactiles dans de nombreux secteurs. Il s’agit d’une révolution. Internet tel que nous le connaissons est peut-être dépassé, en coulisse c’est autre chose qui se prépare. Le développement rapide des plateformes connectées propriétaires et des applications mobiles marque en fait la fin d’internet tel qu’on l’a connu : ouvert, libre et gratuit.

Petit à petit les applications seront les versions modernes des sites internet. Les utilisateurs sont bien sûr concernés par cette nouvelle ère de la connexion. Mais les entreprises dont le modèle de développement repose sur internet ne doivent pas rater le coche. Elles devront prendre le virage imposé par les géants de l’internet sous peine de rester cantonner dans l’ « ancienne nouvelle économie ».