Ne pas oublier certains problèmes structurels comme le vieillissement…

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

La crise que nous vivons actuellement, la plus grave depuis la Deuxième Guerre Mondiale, va certainement changer beaucoup de choses dans l’économie mondiale1 : moindre poids de la finance et modification du métier des banques2 (via l’arrêt du crédit pendant plusieurs années), nouvelles désindustrialisations en Occident et nouveaux transferts de production dans les pays émergents, réduction du poids (certainement excessif) de l’immobilier dans certains pays occidentaux… Toutefois, ce serait une erreur de penser que les priorités de politique économique mises en avant au cours des années précédant la crise sont désormais caduques. Le traitement des problèmes démographiques dans les pays européens3 devrait, en particulier, revenir très vite au cœur des priorités gouvernementales.

Ce sujet, central, concerne bien entendu la politique des retraites au premier plan, mais pas seulement. Il impacte également la politique de santé (une population qui vieillit est une population qui nécessite plus de soins), la politique d’éducation (orienter les étudiants vers des formations dans ces secteurs), la politique de l’emploi (rediriger des populations au chômage vers ces filières)… En outre, en économie, la démographie est le premier intrant pour déterminer la population active et, par conséquent, la croissance potentielle. A ce titre, les équipes de la Commission européenne viennent de mettre à jour leurs estimations démographiques à horizon long terme4.

Logiquement, la Commission a harmonisé les méthodologies nationales afin de rendre les résultats entre pays comparables, et ce, quelles que soient les hypothèses retenues (fécondité, mortalité, migrations…). 

Le postulat central de ce scénario consiste à dire qu’à très long terme (2150 !), les différences démographiques entre pays auront disparu. A cette date, dans tous les pays européens, le taux de fécondité moyen atteindra 1,85 enfant par femme, l’âge moyen de la première grossesse sera de 30,3 ans, l’espérance de vie à la naissance atteindra 92,9 ans pour les hommes et 96,3 ans pour les femmes et l’immigration sera nulle. Avec ce scénario de convergence à très long terme, la taille de la population européenne serait identique en 2060 à celle observée aujourd’hui (environ 500 millions d’habitants pour l’UE-27), mais avec une structure très différente.

En effet, même avec des hypothèses optimistes (poursuite des réformes mises en place dans de nombreux pays européens visant à repousser l’âge de départ en retraite, passage du taux de participation5 de 70,5 % à 74 % et du taux d’emploi de 65,5 % à 70 %, poursuite de l’immigration dans un premier temps), l’économie européenne perdrait près de 19 millions d’emploi en cinquante ans (recul de presque 13 % !). Et, là encore, même en utilisant une fois de plus des hypothèses optimistes (gains de productivité identiques à la moyenne de très long terme : + 1,75 % par an, contre à peine + 0,7 % au cours des dix dernières années), la croissance potentielle de l’économie européenne reculerait nettement (de 2,5 % en 2007 à environ 1,5 % en 2060). En plus d’un coût économique (moindre production), le vieillissement de la population aura également un coût financier.

Dans son étude, la Commission européenne estime ainsi que la part des dépenses dans le PIB liées aux séniors progressera de près de 5 points (+ 2,5 points pour les retraites, + 1,5 point pour les soins médicaux, + 1 point pour la dépendance) d’ici 2060.

Dans ce panorama européen, la France possède quelques atouts (taux de fertilité le plus élevé de l’UE avec l’Irlande, espérance de vie dans la moyenne de l’UE…) qui lui permettent d’être classée dans la catégorie des pays dont la hausse du coût liée au vieillissement restera plus modérée6. Toutefois, en la matière, les carences du modèle français sont également bien connues : faiblesse du taux d’emploi des plus de 55 ans (à peine 40 % des 55-64 ans ont un emploi, contre près de 60 % en Allemagne, 65 % aux Etats-Unis et près de 70 % au Japon), progression très rapide du ratio de dépendance des séniors7 (de 20 % dans les années 50 à 30 % au milieu des années 80, plus de 40 % aujourd’hui et, si l’âge de départ en retraite est maintenu à 60 ans, plus de 50 % dès 2020 et plus de 60 % à partir de 2030)… Ces dernières devront être solutionnées au plus tôt si on veut éviter que l’augmentation de l’espérance de vie, d’un cadeau, devienne un fardeau.

NOTES

  1. Flash n°237 : « Quel monde après la crise ? », 19 mai 2009.
  2. Même si cela reste encore à démontrer, comme les derniers résultats de Goldman Sachs viennent de le prouver…
  3. Pour autant que le fait de vivre plus vieux et en meilleure santé constitue réellement un problème pour l’humanité…
  4. Cf. European Economy Research Letter, « 2009 Ageing Report », Commission européenne, juillet 2009. 
  5. Tx de participation = tx d’activité = pop active / pop en âge de travailler ; tx d’emploi = personnes employées / pop en âge de travailler.
  6. Comme l’Italie et la Pologne, alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni font partie du groupe des pays intermédiaires et l’Espagne du groupe des pays dont la hausse du coût liée au vieillissement sera la plus élevée.
  7. Population en âge de prendre sa retraite rapporté à la population en âge de travailler – 20-60 ans ou 20-65 ans selon les époques.

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