Pologne : fort ralentissement en vue

par Juan Carlos Rodado, économiste chez Natixis

En dépit de la crise financière, la Pologne se distingue par une conjoncture économique particulièrement favorable avec une croissance élevée, de 5,6% en moyenne depuis le début de l’année 2008. Pour autant, un fort ralentissement de la croissance est prévu en 2009 à seulement 2,3%. La demande interne sera durablement en berne en raison de la crise du crédit et du tarissement des exportations à cause du ralentissement du commerce mondial imminent.

Outre le tassement de la conjoncture mondiale, la croissance polonaise pourrait souffrir de la fragilisation de la position externe du pays avec l’intensification de la crise financière et son corollaire l’accélération des fuites de capitaux des pays émergents depuis le mois d’octobre. La détérioration des déficits courants (5,5% du PIB pour 2008) rend donc le pays dépendant des flux internationaux de capitaux et donc du sentiment des investisseurs dans contexte où la confiance n’est pas à l’ordre du jour.

La Pologne, à l’instar des autres pays d’Europe centrale et orientale, subit les ravages de la crise sur l’économie réelle. La crise financière se matérialise par plusieurs chocs importants sur l’économie polonaise :

  • une demande interne durablement en berne en raison de la crise du crédit ;
  • un tarissement des exportations à cause du ralentissement du commerce mondial ;
  • des tensions financières, bancaires et d’importantes fuites de capitaux.

Tous ces facteurs pèseront lourdement en termes de croissance, le pays devrait rester sous le potentiel en 2009 et 2010. Cependant, nous écartons pour l’instant tout scenario de récession en Pologne car le PIB demeure encore sur une bonne trajectoire. La croissance du PIB reste soutenue à 4,8% en GA (glissement annuel) au T3 2008, ce qui constitue une bonne performance par rapport à ses pairs d’Europe centrale et orientale.

La demande interne fortement minée

La forte décélération de l’activité en 2009 s'explique essentiellement par une demande interne qui devrait ralentir sensiblement. La consommation et l’investissement subiront de plein fouet l’impact de la crise du crédit, en raison de sa raréfaction, tant pour les ménages que pour les entreprises. En revanche, les crédits octroyés au gouvernement continueront leur forte progression en lien avec les nombreuses mesures de relance de l’économie polonaise.

Au niveau du secteur privé, la raréfaction du crédit devrait se poursuivre voire s’intensifier en raison de l’augmentation du coût du crédit, du resserrement des conditions d’octroi et de la détérioration de la liquidité bancaire. En effet, l’assèchement brutal des liquidités incite les banques à rééquilibrer leurs portefeuilles en contrôlant davantage les prêts accordés aux ménages et aux entreprises en dépit des incitations du plan de relance. Cette situation devrait entraîner une détérioration du bilan du secteur privé, avec une progression des créances douteuses, notamment des ménages à +13,2% en GA en octobre.

Cependant, au cours du T3 2008 la croissance a continué à être alimentée par la consommation des ménages(1) progressant au même rythme qu'au T2 (+4,2%). En revanche, un signal inquiétant vient du fort ralentissement de l'investissement qui n’augmente plus que de 3,5% au T3 2008 contre 15,2% au T2.

Au-delà de la situation du marché du crédit, d’autres éléments affaibliront la demande interne, parmi lesquels :

  • une détérioration du marché de l’emploi polonais, les licenciements économiques seront de plus en plus fréquents à horizon 2009. 
  • une modération des salaires, à mesure que la situation des entreprises se dégradera (baisse des marges, pertes de parts de marchés…) elles finiront par comprimer les salaires afin de redynamiser leur compétitivité.
  • un revirement des flux migratoires avec les pays européens subissant une forte dégradation de leur marché de l’emploi (Irlande, Royaume-Uni, Espagne…)(2). Ce mouvement pourrait se renforcer si la situation du marché de l’emploi allemand se dégrade aussi. Près de la moitié des 2 millions d’émigrés pourrait rentrer au pays. 
  • des effets de richesse très négatifs notamment avec la dépréciation boursière affectant les grands entreprises du WIG qui a cédé plus de 39% de sa valeur depuis le 1er août.
  • l’augmentation du taux de défaut des ménages notamment de ceux endettés en devises en raison des fortes fluctuations du zloty(3) et de l’augmentation des taux d’emprunt, notamment des crédits à l’habitat(4).

La performance commerciale ne sera plus un vecteur de croissance

La bonne surprise lors de la publication des comptes polonais du T3 2008 a été la contribution positive du commerce extérieur à la croissance (0,3%). Mais l’euphorie devrait être toutefois de courte durée compte tenu du ralentissement du commerce mondial. Les exportations polonaises (7,1% en GA au T3 2008) et notamment celles des deux principaux postes, les produits manufacturés (22% du total des exportations en septembre) et les machines et équipements de transports (41%), seront touchées par le ralentissement de la demande européenne et en particulier allemande.

Les importations des principaux partenaires commerciaux ralentiront sensiblement en 2009 à 4,1% pour l’Allemagne, -1,6% pour la France, -0,6% pour l’Italie… Les relais externes ne seront donc plus en mesure de soutenir la croissance l’année prochaine. Par ailleurs, les importations polonaises devraient quant à elles ralentir aussi. x

Le Premier Ministre Donald Tusk et son Ministre des finances Jacek Rostowski, ont annoncé le 30 novembre la préparation d’un plan anticrise de 91,3 Mds de PLN, soit 24,1 Mds EUR (garanties + fonds). Le plan comprendrait des mesures destinées à améliorer la liquidité du marché interbancaire, à hauteur de 60 Mds PLN, auxquelles s’ajoutent 20 Mds destinés à accélérer les investissements cofinancés par l’UE.

Le pays a souvent été critiqué pour sa faible capacité d’absorption des fonds européens. Le gouvernement prévoit aussi de soutenir les crédits aux entreprises (notamment les PME) en augmentant de 1 Md PLN le capital de la banque publique BGK. Par ailleurs, sur le plan fiscal, le pays a déjà pris il y a un an des mesures de réduction des taux d’imposition sur le revenu des personnes physiques qui doivent entrer en vigueur en 2009. Par conséquent, ils ne devraient pas faire d’efforts supplémentaires du côté de la TVA. Le stimulus monétaire de la part de la NBP ne s’est pas fait attendre non plus. Toutes ces mesures ne devraient avoir qu’un impact limité sur la croissance car il s’agit principalement de garanties. Les dégâts de la crise sur l’économie réelle seront sans doute bien plus importants.

Par ailleurs, la Pologne qui est avant tout attachée au respect des critères de convergence, devrait enregistrer une détérioration de son solde public, alors qu’elle a fait de l’adoption de l’euro sa priorité. Rappelons qu’en juillet 2008 le conseil Ecofin a décidé de lever la procédure de déficit excessif à l’encontre de la Pologne engagée en 2004. Même si le Ministre des Finances exclut a priori toute augmentation du déficit des administrations publiques programmé à 18,2 Mds PLN (1,3% du PIB)(5), le déficit budgétaire devrait atteindre 2,8% en 2009 tout en demeurant sous le seuil de Maastricht.

… et de nombreux facteurs de risque pèsent sur la stabilité financière

Les fondamentaux du pays se sont sensiblement redressés depuis 2002, ce qui rend la Pologne moins vulnérable par rapport aux autres pays de l’Est. Cependant, le pays partage avec ses voisins plusieurs facteurs de fragilité :

  • Le besoin de financement externe dans un contexte de fuite des émergents : le déficit du compte courant se creuse régulièrement depuis le début de l’année. Il devrait atteindre en fin d’année 5,5% du PIB contre 3,8% en 2007. Cette situation ne peut que fragiliser l’exposition externe de la Pologne, alors que les sources de couverture du déficit du compte courant devraient diminuer (IDE, transferts des migrants, prêts interbancaires avec la fragilisation des banques, les fonds communautaires compte tenu des retards pris dans les projets…). L’intervention de la BCE grâce à un accord (le 6 novembre) avec la NBP lui permettant d'emprunter jusqu'à 10 Mds d'euros a même été nécessaire. Les fonds seraient utilisés dans des opérations de refinancement des banques commerciales éprouvant des difficultés.
  •  L’exposition croissante du secteur privé, en particulier des ménages(6), au risque de change. La part des crédits octroyés en devises étrangères est en hausse mais reste limité par rapport à des cas extrêmes : Lettonie (86%), Estonie (78%), Roumanie (54%) et Hongrie (53%). Au mois d’octobre, environ 37% des crédits accordés aux ménages ont été libellés en devises. Pour les crédits immobiliers la part en devises s’élève à 67%, ce qui rend les ménages particulièrement exposés à un risque de change en cas d’ajustement substantiel et prolongé du zloty.
  •  La faiblesse relative des réserves de change. Les réserves de change constituent un rempart fondamental en cas de crise, puisqu’elles permettent à un pays d’intervenir le cas échéant sur le marché des changes et de garantir les paiements auprès des créanciers internationaux en cas de crise majeure. Or les réserves de change détenues par la NBP sont relativement faibles (50 Mds EUR) par rapport aux autres pays émergents, ce qui pourrait être insuffisant dans cette période d’aggravation des tensions financières.

L’adoption de l’euro et les perspectives macro-financières

Au final, la croissance polonaise devrait fortement ralentir, à 2,3% en 2009, en raison de l’essoufflement des vecteurs internes et externes et malgré l’étendue du plan de relance (car il s’agit principalement de garanties). Cependant, nous restons confiants sur la résistance du pays aux chocs externes et en dépit de nombreux facteurs de risques et tablons sur une entrée dans le MCE2 et ensuite une adoption de la monnaie unique au plus tôt en 2012. Un point d’ombre majeur découle bien sûr du contexte international qui devrait quant à lui rester fragile et pourrait même malmener le zloty au sein du MCE2.

Notes

(1) La contribution de la consommation des ménages à la croissance du PIB au T3 a été de 3,2 %.
(2) Cette situation frappe particulièrement ces deux pays. Le nombre de polonais vivant en Irlande avait diminué de 19000 à 12000 au début de l’année 2008, soit une baisse de 40%. Au Royaume-Uni, le nombre d‘immigrants polonais a baissé de 16% en un an.
(3) Le zloty a perdu plus de 13% de sa valeur vis-à-vis de l’euro et 25% contre le dollar au cours des deux derniers mois.
(4) Le taux d’intérêt moyen (APRC) sur les nouveaux prêts hypothécaires est passé de 6,3% en mai 2007 à 9% en septembre 2008.
(5) Selon le Programme de convergence, le déficit total des administrations publiques ne devrait pas dépasser 2% du PIB.
(6) La part des crédits octroyés en devises étrangères aux entreprises s’élève à seulement 26% au mois d’octobre.