BCE : vers de nouvelles baisses des taux

par Clemente de Lucia, économiste chez BNP Paribas

Les préoccupations du Conseil des Gouverneurs de la Banque Centrale Européenne quant à la croissance se font plus pressantes, alors que les tensions inflationnistes continuent à s’atténuer, conformément aux prévisions de croissance et d’inflation établies par les services de la BCE.

Au total, la détérioration de la situation économique et l’atténuation des tensions inflationnistes appellent de nouvelles baisses de taux. Nous pensons que la BCE continuera à assouplir sa politique monétaire au cours des prochains mois et que le taux refi pourrait être ramené à 1% d’ici la mi-2009.

Lors de sa réunion du 4 décembre, le Conseil des Gouverneurs de la BCE a pris la décision de baisser son taux refi de 75 points de base à 2.50%, soit la plus forte baisse jamais décidée en 10 ans d’existence de la Banque. Le ton du communiqué indique que la Banque devrait décider prochainement de nouvelles baisses de taux.

Les perspectives de croissance s’assombrissent encore

 Le Conseil des Gouverneurs estime que la situation économique s’est encore aggravée. L’intensification et la généralisation des turbulences financières pèsera sur la demande, tant au niveau mondial que dans la zone euro, affectant ainsi les perspectives de croissance. Les prévisions macroéconomiques établies par les services de la BCE ont été fortement révisées à la baisse. La Banque prévoit désormais une contraction du PIB de -0,5% en 2009, et une croissance de 1% en 2010, toujours inférieure au potentiel de croissance de la zone euro.

Il est désormais évident que l’activité économique s’est fortement détériorée au cours des derniers mois, et les dernières données d’enquête disponibles laissent apparaître des perspectives de croissance bien plus sombres que celles anticipées par la BCE.Les indicateurs de confiance, fortement affectés par un degré d’incertitude très élevé, ont atteint des planchers historiques. Les indicateurs avancés de croissance les plus fiables indiquent que la contraction du PIB pourrait être encore plus importante au cours des prochains trimestres. L’indice PMI composite – qui constitue généralement un bon indicateur de l’activité économique et est, pour cette raison, suivi de près – a chuté à 38,9 en novembre, nouveau point bas historique, compatible avec une contraction du PIB de 0,5% t/t au cours du dernier trimestre 2008.

Les entreprises, confrontées à un nouvel affaiblissement de la demande, à un faible niveau d’utilisation des capacités, au resserrement des conditions de crédit et à la diminution de leurs bénéfices, reportent ou annulent leurs plans d’investissement.

Les données d’enquête suggèrent que les entreprises revoient également à la baisse leurs plans de recrutement. Les prévisions d’emploi des entreprises, telles que mesurées par la Commission européenne, se sont considérablement détériorées au cours des derniers mois. Le ralentissement de la croissance de l’emploi, déjà entamé, devrait se poursuivre, tandis que le taux de chômage, actuellement de 7,7%, devrait nettement augmenter au cours des prochains mois.

La consommation, extrêmement sensible à l’évolution du marché de l’emploi, devrait rester atone au cours des prochains trimestres. De plus, le durcissement des conditions de crédit et la contraction des patrimoines financiers affecteront les décisions d’achat des ménages.

Enfin, les exportations seront fortement atteintes par la détérioration de l’environnement économique mondial. Selon nos projections, le PIB ne devrait pas croître de plus de 1% en 2008, en fort recul par rapport aux 2,6% enregistrés en 2007.Pour 2009, nous prévoyons une contraction du PIB d’environ 1%. Enfin, la croissance ne devrait pas renouer avec des taux proches du potentiel avant le second semestre 2010.

Baisse de l’inflation

Selon la BCE, les tensions inflationnistes se sont encore atténuées. La Banque a revu à la baisse ses prévisions d’inflation pour 2008 et 2009. En particulier, elle considère que les taux d’inflation devraient revenir en 2009 à des niveaux conformes à l’objectif de stabilité des prix.

L’inflation est nettement orientée à la baisse. En novembre, elle a fortement décéléré, et s’est établie à 2,1%, en diminution de 1,1% par rapport au mois précédent et de près de 2% par rapport au pic de juillet. Bien que la décomposition de l’indice ne soit pas encore disponible, il semble que le repli de l’inflation reflète essentiellement la baisse des prix des matières premières. En particulier, entre octobre et novembre, le prix du baril de pétrole a diminué de 19$ (soit plus de 12€), entraînant nécessairement une chute brutale de la progression des prix de l’énergie.

A l’inverse, l’inflation sous-jacente devrait rester stable à 1,9%. A court terme, elle devrait encore refléter certaines tensions. En particulier, le coût unitaire de main-d'œuvre devrait continuer à progresser, essentiellement du fait de la rapide détérioration de la productivité du travail, qui accompagne souvent les ralentissements économiques. L’inflation sous-jacente devrait donc s’établir autour de 1,8 – 1,9% au cours des deux prochains trimestres. Toutefois, la forte détérioration de l’environnement économique devrait contribuer à compenser ces pressions. Nous anticipons une diminution de l’inflation sous jacente, qui devrait s’établir autour de 1,5-1,4% à la fin de l’année prochaine, puis passer sous les 1% au second semestre 2010.

Au cours des prochains mois, l’inflation totale devrait probablement continuer à diminuer, essentiellement grâce à des effets de base favorables sur les prix des produits alimentaires et énergétiques et à la baisse des prix des matières premières. En particulier, au T3 2009, l’effet de base jouera alors à plein, compte tenu du niveau très élevé des prix l’année précédente (en juillet 2008, le prix du pétrole avait atteint 147$) et l’inflation devrait passer largement sous le seuil de 1%. Pour l’ensemble de l’année 2009, l’inflation devrait être légèrement supérieure à 1%, en forte baisse par rapport au taux estimé de 3,3% pour 2008.

Au total, la BCE semble disposée à décider de nouvelles baisses de taux. Toutefois, le Président Trichet a souligné qu’en dépit des précédentes baisses de taux (100 pb entre octobre et le 4 décembre) et de l’injection massive de liquidités (la BCE offre à ses contreparties un financement illimité à taux fixe), le marché monétaire ne fonctionne pas de manière satisfaisante. En effet, la situation du marché monétaire reste assez tendue et les baisses de taux ne se répercutent pas sur la courbe des taux comme cela devrait se produire dans des circonstances normales. Ce phénomène est susceptible de ralentir le mouvement de baisse des taux directeurs.

En octobre, on a observé une poursuite de la décélération rapide des prêts consentis aux ménages, et une certaine modération du rythme de croissance – toujours assez soutenu – des prêts au secteur privé non financier. Cette tendance devrait se poursuivre, alors que l’enquête de la BCE sur le crédit bancaire montre que les conditions de crédit aux ménages et au secteur privé non financier continent à se durcir.

Toutefois, la détérioration de l’environnement économique et l’atténuation des tensions inflationnistes appellent de nouvelles baisses de taux. La chute brutale des prix des matières premières a un impact majeur sur les anticipations d’inflation. Du côté des entreprises, les tensions inflationnistes se sont atténuées au cours des derniers mois, avec la baisse des coûts de production et l’affaiblissement de la demande. Les prévisions d’évolution des prix à la consommation à l’horizon d’un an, établies à partir de données d’enquête, ont drastiquement diminué depuis l’été dernier. Ces éléments, associés à l’assombrissement des perspectives pour le marché du travail, limitent fortement les risques d’effets de second tour.

Dans ces conditions, nous pensons que la BCE continuera à assouplir sa politique monétaire au cours des prochains mois. Durant la dernière période de ralentissement économique, entre 2001 et 2003, la banque avait baissé son taux refi à 2%. La situation économique est aujourd’hui bien plus grave, et nous prévoyons que le taux refi pourrait être ramené à 1% d’ici la mi-2009.