Que va-t-il se passer avec l’Espagne ?

par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques, et Jésus Castillo, économiste chez Natixis

La situation économique de l’Espagne, à court terme comme à moyen terme, est catastrophique :

  • faiblesse de la croissance potentielle avec l’insuffisance de l’innovation ;
  • pertes irréversibles d’emplois (10% de l’emploi total) avec la crise (construction, finance, industrie) et destruction de capacités de production ; d’où hausse énorme du chômage ; 
  • inefficacité de la politique monétaire et explosion des déficits publics ;
  • excès majeur d’endettement privé et insuffisance de l’épargne ; 
  • incapacité à remplacer la demande intérieure par les exportations ;
  • effondrement de la profitabilité.

 

L’arrêt de l’endettement, qui était auparavant la source de la croissance, révèle la gravité de la situation économique fondamentale de l’Espagne. Que peut-il se passer si l’Espagne reste dans cette situation critique ?

  • la sortie de l’euro n’est pas une option avec la hausse qu’elle impliquerait des taux d’intérêt ;
  • en l’absence de solidarité des autres européens, le seul choix est de recalibrer à la baisse, compte tenu de la perte irréversible d’activité, le niveau des salaires et des dépenses publiques, c'est-à-dire d’entériner la contraction de l’activité et d’appauvrir le pays ;
  • pour l’éviter, le reste de l’Europe devrait financer pendant de nombreuses années la reconstruction d’une économie moderne en Espagne (dépenses de R&D, investissements productifs, requalification) tout en finançant les déficits de l’Espagne à des taux d’intérêt faibles.

La très forte hausse de l’endettement des ménages et des entreprises avait permis avant la crise à l’Espagne de connaître une croissance forte très créatrice d’emplois.

Mais l’arrêt de l’endettement avec la crise révèle les très profonds problèmes structurels de l’Espagne :

  1. excès d’endettement et insuffisance d’épargne, qui conduisait à la très forte hausse des défauts des ménages et des entreprises ;
  2. pertes irréversibles d’emplois avec la crise dans les secteurs qui étaient soutenus par le crédit : construction, services financiers, biens durables des ménages, biens intermédiaires pour la construction. On peut estimer que environ 10% de l’emploi total d’avant la crise est irréversiblement perdu, d’où la hausse considérable du chômage. Ces pertes irréversibles d’emplois sont associées à des destructions de capacités de production, dans la construction, dans l’industrie. La capacité de production de l’industrie manufacturière à reculé déjà de 10%.
  3. très faible croissance potentielle avec l’absence, en tendance, de gains de productivité, le vieillissement démographique qui avait été caché jusqu’à la crise par une énorme immigration. La faiblesse des gains de productivité peut clairement être attribuée à la faiblesse de l’effort d’innovation, et, de manière liée à la déformation de la structure de l’économie vers les secteurs à niveau de productivité faible (construction, services domestiques).
  4. inefficacité de la politique monétaire et énorme augmentation des déficits publics. Le niveau de l’endettement est si élevé que, même avec des taux d’intérêt très bas, et malgré le fait que la plupart des crédits soient faits à taux variable, d’où une baisse des paiements d’intérêts, le crédit ne redémarre pas. La chute de l’activité et la croissance potentielle très faible conduisent à la perspective d’une dégradation forte et continuelle des finances publiques.
  5. incapacité à remplacer la demande intérieure par les exportations. Avec la faiblesse de l’innovation et la faiblesse induite des gains de productivité, les coûts salariaux ont fortement progressé en Espagne, et la capacité à exporter de l’Espagne s’est considérablement réduite en particulier vers les pays émergents et exportateurs de matières premières en croissance forte. L’Espagne n’a donc aucune possibilité de remplacer sa demande intérieure défaillante par les exportations.
  6. effondrement de la profitabilité. Avec le faible niveau des gains de productivité, on a observé en Espagne un recul impressionnant de la profitabilité, et, puisque l’investissement des entreprises était soutenu par l’endettement, un recul encore plus impressionnant du taux d’autofinancement. Ceci explique les difficultés des entreprises avec la crise, qui vont être durables puisque le freinage du crédit et le désendettement vont forcer les entreprises à accroître leur taux d’autofinancement. La situation des entreprises espagnoles sera d’autant plus difficile que les salariés en contrats permanents en Espagne bénéficient d’une forte protection qui explique le maintien d’une hausse très rapide des salaires.

Synthèse : quelles solutions pour l’Espagne ?

L’Espagne va affreusement souffrir :

  • de l’arrêt de l’endettement après les excès antérieurs, donc de la chute de la demande ;
  • de la faiblesse de la croissance potentielle, de l’insuffisance de l’innovation et des gains de productivité ;
  • des pertes irréversibles d’emplois, de la hausse massive du chômage et de la destruction de capacités de production ;
  • de l’inefficacité de la politique monétaire et de l’explosion des déficits publics ;
  • de l’incapacité à remplacer la demande intérieure par les exportations, de la dégradation de la compétitivité ;
  • de l’effondrement de la profitabilité des entreprises de la rigidité des salaires.

Comment améliorer les perspectives économiques en Espagne ?

  1. la sortie de l’euro n’est pas une option ; l’Espagne se finance aujourd’hui avec un Spread de taux d’intérêt redevenu très faible malgré les perspectives économiques et les déficits publics, ce qui ne pourrait pas être le cas si l’Espagne sortait de l’euro. 
  2. la solution coopérative européenne consisterait en ce que les autres pays de la Zone euro aident l’Espagne à financer la modernisation de son économie : efforts de R&D, de requalification ; aussi continuer à accepter de financer une partie des déficits publics (et extérieurs) de l’Espagne à des taux d’intérêt faibles.

Si la solution coopérative ne peut pas être mise en œuvre, la solution non coopérative consiste en ce que l’Espagne redimensionne son économie en fonction de la perte de niveau de Produit Intérieur Brut (5% à 6%).

Ceci veut dire :

  • réduire le niveau des dépenses publiques proportionnellement à la baisse de Produit Intérieur Brut ;
  • réduire le niveau des salaires, proportionnellement à la baisse du PIB, c'est-à-dire appauvrir le pays proportionnellement à sa perte irréversible de production.

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