Quelle Europe ?

Curieuses élections européennes ! Tous les cinq ans, ce scrutin provoque des débats enflammés alors que le Parlement européen a très peu d’influence sur la marche de l’Union européenne, le pouvoir étant confisqué par le conseil réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement. Pourtant, il est plus que temps de définir ce que doit être l’Europe.
 
Les défenseurs de l’EuroParlement rétorqueront que c’est le groupe ayant le plus d’élus qui désigne le président de l’exécutif. Pour quel résultat ? Peut-on citer une avancée majeure sous la présidence de Jean-Claude Juncker ?
 
Cette année, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, la campagne s’est résumée à un débat entre la classe politique traditionnelle et les « nationalistes. » Le président français, qui se présente comme un farouche partisan de la construction européenne, n’a pas expliqué sa vision de l’Europe, préférant une sorte de chantage : « Moi ou le chaos. » En face, les extrémistes de droite n’ont eu qu’une formule : « lutter contre l’immigration. »
 
L’Europe aurait mérité un débat plus sérieux. La sortie programmée du Royaume-Uni de l’UE offre la possibilité de redéfinir cette construction inachevée qui a tout de même permis plus de sept décennies de paix sur un continent habitué auparavant à des conflits meurtriers et une prospérité certaine avec le système le moins inégalitaire de la planète.
 
Sous la pression de Londres, L’Union européenne s’est limitée à une simple zone de libre échange depuis l’effondrement du bloc soviétique. La Commission européenne a agi comme une sorte de comptable, sans aucune vision. Pendant ce temps, de nouvelles puissances – Chine, Inde, Brésil, Turquie, Indonésie, etc… – émergeaient et bouleversaient la donne économique et sociale tandis que la révolution technologique venue des Etats-Unis remettait en cause des positions acquises.
 
Tétanisée face à ce double mouvement, l’Union européenne n’a rien pu proposer. Elle a été incapable de définir une politique industrielle et n’a pas pu, non plus, imposer la réciprocité dans les échanges commerciaux. Des secteurs industriels entiers ont été décimés par la nouvelle concurrence. Deux exemples sont particulièrement choquants : alors qu’elle se veut à l’avant-garde de la transition énergétique, l’Europe n’a pas voulu favoriser des filières industrielles. Elle a autorisé le subventionnement de l’énergie solaire mais les panneaux étaient tous fabriqués en Chine. Elle veut aujourd’hui développer l’automobile électrique mais les batteries sont presque toutes produites en Chine, au Japon ou en Corée.
 
Prisonnière d'une vision idéologique de la concurrence, la Commission européenne a empêché la constitution de géants européens pour le plus grand bonheur des groupes américains ou asiatiques. 
 
L’Europe est aujourd’hui ouverte aux quatre vents. Elle n’ose pas demander la réciprocité des échanges aux Etats-Unis et à la Chine, qui sont des Etats particulièrement protectionnistes. Pourquoi ? C’est un mystère. Elle dispose pourtant d’outils : une taxe carbone aux frontières enverrait un message aux autres puissances. Mais les Etats européens n’arrivent pas à se mettre d’accord entre eux : pays exportateur, l’Allemagne veut le moins d’entraves possible au commerce et tant pis que des secteurs industriels chez ses voisins sont détruits. Quant à la France, elle n’a pas de doctrine économique. Elle multiplie les grandes déclarations sur le « patriotisme économique » mais se montre incapable de prendre des mesures concrètes.
 
A l’intérieur de l’UE, les débats sont affligeants. Le vote en faveur du Brexit, qui a eu lieu en juin 2016, aurait dû entraîner une réflexion sur le fonctionnement de l’UE. Rien n’est venu. Paresse intellectuelle ou incompétence ? Un exemple : alors qu’il n’est pas membre de la zone euro, le Royaume-Uni avait obtenu que la compensation des opérations financières en euros se fasse à Londres. C’est déjà baroque. Pourquoi la Commission européenne, car c’est de son ressort, n’exige-t-elle pas que la compensation en euros soit désormais localisée dans la zone euro ? 
 
On pourrait multiplier les exemples. Les eurocrates pensent tout savoir. En réalité, par leur attitude, ils alimentent les populismes. On peut mettre en garde contre les « nationalistes » mais cela ne résoudra aucun problème du moment si on ne propose pas des solutions concrètes aux citoyens.