Vous avez dit « Inflation » ?

par Aurore Wannesson-Raynaud, stratégiste chez Axa IM

Alors que l’économie américaine sort de récession, dopée par une stimulation budgétaire et monétaire sans précédent, l’inflation reste en territoire négatif. Pourtant, le retour de l’inflation constitue un thème majeur sur les marchés, comme en témoigne notamment la hausse significative des points-mort (break-even) d’inflation au cours des dernières semaines.

Il est vrai que la combinaison de politiques monétaire et budgétaire expansionnistes, la baisse du dollar et la hausse des prix des matières premières constituent un cocktail potentiellement explosif en matière d’inflation. Pourtant, la crise que nous venons de traverser a infligé à l’économie des dommages importants, constituant aujourd’hui un frein majeur à un dérapage inflationniste.

Une baisse tendancielle de l’inflation

Les deux dernières décennies ont été marquées par une baisse tendancielle de l’inflation, fruit, entre autres, d’une politique monétaire efficiente/crédible, d’une accélération des gains de productivité, ou encore de la globalisation.

Ainsi, les anticipations d’inflation se sont également détendues, devenant à leur tour un ingrédient important de l’efficacité de la politique monétaire.

Plus récemment, les fortes variations des prix des matières premières, du pétrole en particulier, ont créé de la volatilité sur l’inflation totale, sans pour autant remettre en cause la baisse structurelle de l’inflation sous-jacente. Ceci souligne d’une part le succès de la politique monétaire en matière d’ancrage des anticipations d’inflation, et l’aplatissement de la courbe de Phillips d’autre part, c'est-à-dire la non-apparition d’une boucle prix-salaires.

Une politique économique à haut risque

Bien entendu, la politique menée conjointement par la Fed et le Trésor revêt un caractère hautement inflationniste.

En matière de politique monétaire tout d’abord, le risque le plus important vient sans aucun doute de la politique non-conventionnelle mise en place par la Fed à partir de 2008. L’illustration la plus parlante est l’explosion de la taille du bilan de la Fed, passé de 900 à 2200 mds USD, témoin du volume sans précédent des liquidités injectées dans l’économie par la banque centrale. La contrepartie des prêts de la Fed aux banques commerciales (à l’actif de la Fed) a été l’explosion des réserves de ces banques auprès de la banque centrale (à son passif). Ainsi, le risque majeur de cette politique est que l’explosion des réserves des banques se traduise par celle du crédit, de la masse monétaire au sens large (M2 et M3) et finalement de l’inflation. De fait, c’est plutôt le phénomène inverse que l’on observe jusqu’à présent. En effet, l’encours de crédit a fortement décéléré, et est même en territoire négatif aujourd’hui.

Si le Quant Easing a produit les effets escomptés sur la liquidité interbancaire et les prix des actifs, ses effets sur le crédit sont moins évidents. Mais ceci n’est finalement pas étonnant. Rappelons en effet que la crise que nous avons traversée était largement le résultat d’un excès d’endettement du secteur privé (consommation, crédit hypothécaire). Ainsi, le retournement du marché immobilier et les pertes sur les actifs titrisés adossés à des créances immobilières ont forcé les banques à réduire leur distribution de crédit. De plus, la volonté de désendettement du secteur privé (des ménages en particulier) qui en a résulté a aussi conduit à une baisse significative de la demande de crédit, comme le montre l’enquête de la Fed auprès des banques (Senior Loan Officer Survey), sans oublier le gel du marché interbancaire qui a prévalu au cours des derniers mois de 2008. Au total, la nette décélération du crédit observée depuis la fin 2008, en contraignant la croissance de la consommation, constitue un frein, et non un support, à une accélération de l’inflation.

Alors que l’économie américaine sort maintenant de récession (croissance du PIB de 2,8% au 3T09, après quatre trimestres consécutifs de contraction de l’activité), la question des stratégies de sortie de ces politiques monétaires non-conventionnelles se fait plus pressante. En effet, une sur-stimulation de l’économie en phase de reprise pourrait entraîner une sur-réaction de l’inflation.

Sur ce point, la Fed a exposé à plusieurs reprises les outils à sa disposition (reverse repo, ventes d’actifs) pour retirer progressivement la liquidité.

En matière de politique budgétaire, les périodes d’expansionnisme fiscal ont souvent coïncidé avec des épisodes de forte inflation. Et la période récente a vu une explosion du déficit budgétaire américain, au-delà de 10% du PIB, portant la dette fédérale à près de 50% du PIB en 2010. La crainte d’une dérive inflationniste parait donc légitime de ce point de vue. Pourtant, par le passé, les périodes de forte inflation sur fonds de détérioration des finances publiques étaient doublées d’une monétisation de la dette par la banque centrale (financement du déficit budgétaire par création monétaire).

Aujourd’hui, si le risque demeure, la monétisation de la dette est finalement restée limitée. Le programme d’achats d’obligations du Trésor de la Fed est modeste au regard des émissions : la Fed a acheté un total de 300 mds USD de Treasuries, ce qui reste petit au regard des 1200 mds USD émis par le Trésor en 2009 (la Banque d’Angleterre a, à elle seule, absorbé la totalité des émissions du Trésor britannique).

Des pressions collatérales

Largement liées aux politiques menées par la Fed et le Trésor, la baisse du dollar et la hausse des prix des matières premières ont contribué cette année à la hausse des anticipations d’inflation.

Le dollar a en effet largement nourri les opérations de carry-trade, consistant pour les investisseurs à s’endetter en dollar à un coût minime, pour aller chercher du rendement sur d’autres actifs. La baisse du dollar alimente à son tour mécaniquement la hausse des prix des matières premières. Dès lors, le risque provient d’une accélération de l’inflation importée, poussant les coûts puis les prix finaux à la hausse. Pourtant, ici encore ce risque ne s’est pas réellement matérialisé. Les prix à l’importation restent aujourd’hui en territoire négatif (- 5,7%A en octobre) et, bien que cette baisse soit moins marquée qu’en milieu d’année, la tendance baissière reste intacte, et assez largement répartie à l’ensemble des catégories de biens. La reprise de l’activité au niveau mondial plaide bien entendu pour un apaisement de cette tendance désinflationniste (voire déflationniste), sans pour autant constituer un risque significatif pour les perspectives d’inflation à moyen terme.

En effet, la persistance d’un output gap important reste à nos yeux un élément de nature à largement limiter l’apparition de pressions inflationnistes, du moins à court-moyen terme. En réduisant considérablement la capacité des entreprises à monter leurs prix, voire les forcer à consentir des baisses, ceci entretien des forces déflationnistes. La sous-utilisation des capacités de production reste aujourd’hui à des nivaux historiquement bas, reflétant l’affaiblissement brutal de la demande.

Parallèlement, la dégradation de l’emploi (7,2 millions de postes détruits depuis janvier 2008) s’est naturellement accompagnée d’une forte décélération des salaires et les coûts unitaires du travail sont désormais en territoire négatif. Ainsi, l’inflation parait aujourd’hui contrainte d’une part par la décélération des coûts salariaux (effet combiné de la baisse des effectifs et de la décélération des salaires), et d’autre part par la non-répercussion des hausses de coûts non-salariaux (matières premières par exemple), dans un environnement de demande tout juste convalescent.

Conclusions

L’inflation américaine semble aujourd’hui se normaliser, l’économie renouant avec la croissance.

En 2010, le taux d’inflation retournera progressivement vers la zone des 2%, la contribution des matières premières accélérant. Pourtant, l’inflation structurelle continuera de décélérer (1%) sous l’effet de la persistance d’un output gap important et de la détérioration de l’emploi.

Les perspectives d’inflation à court et moyen termes ne sont pas de nature à déclencher un resserrement monétaire précipité de la Fed. Celle-ci, comme annoncé, retirera progressivement, en 2010, la liquidité qu’elle a fournie à l’économie, pour prévenir un emballement du crédit. Il s’agit en effet d’éviter une montée indésirable des anticipations d’inflation ou créer des mouvements déstabilisants sur les marchés financiers, même si la doctrine de la Fed semble toujours de ne pas utiliser l’arme des taux pour contrer l’éventuelle constitution de bulles spéculatives sur les actifs.