Quelques réflexions sur Dubaï

par Sylvain Broyer, Costa Brunner, Jesus Castillo, Stéphanie Prat et Juan Carlos Rodado, économistes chez Natixis

La situation financière de Dubaï se dégrade rapidement avec le surinvestissement immobilier, dont le retournement est cause de récession. La dette internationale des Emirats est voisine de 120 Mds USD (un tiers à court terme) et la banque centrale des Emirats a déjà utilisé une partie de ses réserves de change pour financer le gouvernement de Dubaï à hauteur de 20 Mds USD. Ceci montre bien que la solidarité régionale joue.

Nous détaillons ici quels pays ont des créances sur Dubaï (1,3% des engagements des banques britanniques), à quelles échéances et quelles sont les ressources de la ville Etat (peu de pétrole, fonds souverains, réserves de change). 

A nos yeux, le moratoire de Dubaï sera réglé par la solidarité régionale, le risque de défaut est donc très faible. D’ailleurs les CDS sont aujourd’hui trois fois moins élevés qu’en janvier 2009.

Nous considérons plutôt les trois facteurs de risque suivants : 1/ le statut de Dubaï World ne permet pas de connaître avec certitude les ressources financières effectivement mobilisables par Dubaï ; 2/ une vente forcée des importantes créances de Dubaï sur le reste du monde aurait un impact sur les cours des principales places boursières ; 3/ la contagion du risque aux autres émergents est possible, vu la forte corrélation des flux de capitaux avec l’aversion pour le risque.

L’entreprise publique Dubaï World a émis un moratoire sur sa dette, qui se porte au total à 59 Mds USD (72% du PIB 2008 de Dubaï, 23% de celui des Emirats-Unis).

La réaction du marché a été violente, laissant s’écarter hier les CDS de l’entreprise de 180pb et entrainant le CDS des entités liées de 120pb. Malgré ce mouvement, les primes demandées par le marché en cas de défaut sur la dette restent très inférieures à celles qui ont suivi la faillite de Lehman.

1. Crise immobilière et financière à Dubaï

L’émirat de Dubaï, ville état, est le deuxième plus important en termes de population superficie et poids économique parmi les sept émirats que comptent les Emirats Arabes Unis (EAU).

Depuis le début de la décennie, l’économie de Dubaï a enregistré une croissance moyenne annuelle de 12,3% de son PIB soit trois points de plus que celle de l’ensemble des EAU.

Depuis 2008 en revanche, l’économie de Dubaï est en récession. Nettement moins riche en pétrole que son grand frère Abu-Dhabi, la ville a diversifié son économie dans trois secteurs, le tourisme de luxe, l’immobilier et la finance, fortement affectés par la crise financière internationale.

La cause principale de la récession reste toutefois le retournement du marché immobilier, en particulier le secteur résidentiel. Alors qu’en septembre 2008 encore plus de 23 milles transactions immobilières étaient enregistrées, à peine 10 mille étaient encore comptabilisées à Dubaï en mars dernier.

Le boom de l’immobilier a entrainé une situation de surinvestissement assez évidente par rapport au reste de la région.

En 2009, l’économie des EAU devrait connaître un repli en raison de la baisse de la production pétrolière imposée par les quotas de l’OPEP. Par ailleurs, les activités non-pétrolières (finance, tourisme, immobilier) devraient encore souffrir de la situation économique internationale avec notamment un net ralentissement des flux de capitaux dans la zone. Ainsi, la croissance du PIB devrait être négative au final sur la zone en 2009 à environ -3%.

2. Qui sont les créditeurs sur Dubaï ?

La hausse de l’investissement n’a pas été financée que par les recettes pétrolières de Dubaï (6% du PIB). Le cycle de l’investissement est concomitant d’un cycle d’endettement.

La vitesse avec laquelle s’est envolé le niveau d’endettement des EAU est impressionnante et en particulier à Dubaï qui compte pour 2/3 de l’endettement total. Les créances sur les EAU ont quadruplé depuis 2005 pour atteindre 123 Mds USD au T2 2009 soit 51,3% de leur PIB contre seulement 23% en 2005, selon les dernières données disponibles de la BRI. Alors que le secteur public totalise une dette de 8 Mds USD, la dette des sociétés (banques et entreprises) est 10 fois plus importante, avoisinant près de 84 Mds USD.

Le système bancaire des Emirats Arabes Unis est largement dominé par les banques britanniques qui concentrent près de 41% de l'exposition mondiale (50,2 Mds USD). L´exposition financière du Royaume-Uni est à la fois lourde si on la rapporte à la richesse des Emirats (21% du PIB) et très modeste si on la compare au total des engagements des banques britanniques (seulement 1,3% des créances de leur système bancaire).

Les créances brutes des établissements français, allemands et américains sont en revanche plus faibles. Elles totalisent 32,5 Mds USD, soit 26,5% des engagements financiers étrangers sur les Emirats. Les principaux créditeurs britanniques sont HSBC, Lloyds et RBS et Credit Suisse pour les banques suisses. Du côté des banques locales se sont surtout Abu Dhabi Commercial Bank et Emirates NBD PJSC les plus exposées.

Cependant, la consolidation régionale devrait fournir une aide précieuse à l’économie de Dubaï qui doit faire face dans les mois qui viennent au remboursement de plusieurs engagements : d’une part des obligations d’un montant de 3,5 Mds USD contractées par la société Nakheel (filiale immobilière du conglomérat Dubaï World) arrivant à échéance le 14 décembre (et pour lesquelles la société a déclaré être dans l’incapacité de faire face à ses engagements) et d’autre part des obligations d’un montant de 1,2 Mds USD contractées par une autre filiale immobilière de Dubaï World (Limitless) arrivant à échéance au printemps.

3. Quelles sont les ressources de Dubaï ?

L’économie de Dubaï ne bénéficie pas de ressources liées à l’exploitation du pétrole qui proviennent de l’émirat d’Abu Dhabi (ce dernier possède 8% des réserves mondiales de pétrole). Dubaï a cependant diversifié sa structure productive en se spécialisant en particulier dans les services financiers, le tourisme et la construction de grands projets immobiliers.

Par conséquent les revenus tirés de ces activités dépendent en grande majorité de la rentabilité des investissements immobiliers, et leur retournement depuis 2008 a de fait pesé sur la capacité des entreprises à faire face à leurs engagements, exposant par la suite le système bancaire (engagé directement ou indirectement dans le secteur de l’immobilier) à un risque de crédit élevé (retard de paiement des entreprises pouvant aller jusqu’au défaut).

En termes de ressources, les Emirats Arabes Unis ont perdu près de 50 mds de dollars de réserves de change entre mars 2008 et mars 2009. Le dernier chiffre disponible (mars 2009) faisait état de 34 mds de dollars. La forte baisse des réserves de change depuis six mois correspond à un crédit obligataire de 20 Mds USD octroyé par la Banque centrale des Emirats sur le gouvernement de Dubaï.

Par ailleurs, si Abu Dhabi possède de longue date un fonds souverain (Abu Dhabi Investment Authority [ADIA] créé en 1976 en remplacement du Financial Investment Board crée en 19671) supposé être selon l’Institut des Fonds Souverains (Sovereign Wealth Fund Institute) le mieux doté au monde (627mds USD d’actifs), l’existence d’un Fonds Souverain à Dubaï est plus récente (Dubaï World a été créé en 2006). Le montant des actifs gérés s’élève à environ 100mds USD (estimation 2007).

Il semblerait dans ce cas qu’Abu Dhabi ait les ressources nécessaires pour éviter des défauts en chaînes. Cependant, l’aide potentielle qui serait octroyée aux filiales de Dubaï World pourrait être conditionnée par l’entrée du fonds Souverains ADIA dans le capital des filiales Emirates Airlines et Dubaï Ports.

4. Les développements possibles

La plupart des spécialistes de la région s’entendent pour dire que la probabilité d’un défaut de Dubaï suite au moratoire sur la dette est peu probable. La solidarité régionale, des Emirats, joue déjà et nous avons vu que le montant disponible dans les fonds souverains de la région excède la dette de Dubaï.

La stabilisation des prix du pétrole, principale source de recettes de ces Etats, est un argument qui va dans ce sens. Il existe toutefois trois facteurs de risque à nos yeux :

  • Le premier tient au statut de Dubai World. Il ne s’agit pas d’un fonds souverain à proprement parlé mais d’une « Sovereign Wealth Enterprises ». L’avantage de cette forme d’entreprise repose sur des critères de flexibilité plus large qu’un fond souverain lui permettant de posséder ses propres règles. A l’inverse d’un fonds souverain qui détient un mandat d’investissement strict (interdiction par exemple de prendre des positions courtes), une entreprise souveraine peut déléguer la gestion d’un portefeuille à un gérant externe qui a la possibilité de prendre à la fois des positions longues et des positions courtes. En outre, les entreprises souveraines ne sont pas soumises à des règles de transparence imposées aux fonds souverains. Ces entreprises souveraines sont par conséquent des institutions très fortement leveragées en raison du fait qu’elles s’endettent pour investir. En d’autres termes, il nous est pour l’heure impossible d’en vérifier la part des dérivés, le degré de leverage et la liquidité de ces fonds. Un doute demeure donc sur les ressources véritablement mobilisables en cas de besoin. Ce risque est toutefois amoindri lorsqu’on considère le statut différent du fonds ADIA.
  • Le deuxième point a trait aux créances des Emirats sur le reste du monde. Importantes comme nous l’avons vu plus hauts, des ventes forcées auraient un impact évident sur les cours des principales places boursières. 
  • Enfin, la contagion du risque aux autres émergents est possible, vu la forte corrélation des flux de capitaux vers les émergents avec l’aversion au risque. Un tel scénario nous ramènerait au point de départ de la crise financière, avec cette fois le problème que les pompiers mondiaux (gouvernements et banques centrales du G20) ont des marges de manœuvre diminuées.

NOTES

  1. Les fonds gérés par ADIA proviennent essentiellement des surplus de revenus pétroliers et sont investis dans une variété de classes d’actifs dont 75% sont gérés par des gestionnaires externes. 60% d’entre eux procèdent à de la gestion indicielle (qui peut aller de l’indice MSCI à l’indice S&P500).

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