Yellen serait-elle devenue Hawk ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Pour son premier FOMC en tant que chairwoman de la Fed, Janet Yellen a réussi à créer la surprise. Si la poursuite de la diminution des achats de titres de 10Md$ à 55Md$ (25Md$ de MBS, 30Md$ de titres du Trésor) et un changement de la forward guidance étaient largement attendus, la mise à jour des prévisions des membres de la Fed ainsi que les propos de J. Yellen ont secoué les marchés.

En effet, depuis le début de l’année, avec la publication d’une série de statistiques décevantes (en grande partie liées au climat), les marchés voyaient plutôt le risque d’un ralentissement de l’économie américaine et en corollaire celui d’un tapering plus progressif. Or, au contraire, la Fed a tenu un discours qui s’est révélé plus hawkish qu’attendu.

• La Fed a modifié sa forward guidance en retirant les deux références au seuil de 6,5% du taux de chômage, seuil qui devait être atteint avant d’envisager une hausse de taux. La Fed précisait également que cette hausse interviendrait bien après que ce seuil ait été franchi… Avec un taux de chômage proche de 6,5% (6,7% en février), il devenait délicat pour la Fed de maintenir cette forward guidance puisqu’elle ne permettait plus de donner davantage d’information sur la conduite de la politique monétaire à venir. En effet, si une forward guidance quantitative peut-être plus efficace car plus explicite, on a bien vu que des facteurs pouvaient perturber l’évolution du taux de chômage (le taux de participation par exemple) et ainsi rendre plus compliquée la communication de la Fed. Changer le seuil en l’abaissant à 6% l’aurait potentiellement conduite à se retrouver à nouveau « coincée ».

• Le communiqué continue de préciser que la Fed maintiendra les taux inchangés pendant un temps « considérable » après la fin du tapering. Toutefois, un bémol a été apporté à cette phrase, Yellen annonçant que « considérable » pouvait s’apparenter à 6 mois, suggérant que la première hausse pourrait avoir lieu dès le mois de mars 2015… La vue relativement consensuelle jusqu’à présent était que la première hausse de taux aurait lieu au troisième trimestre 2015 puis serait suivie d’un resserrement très progressif. Cette réponse explicite alors que B. Bernanke était toujours resté évasif a donc fortement surpris les marchés.

• Venant appuyer ce propos, la publication des prévisions des membres de la Fed montre un changement non négligeable des attentes en termes de hausses de taux reflétant une vue globalement plus hawkish. Si treize des membres sur 16 (vs 12 en décembre sur 17) anticipent une première hausse de taux en 2015, ce sont les niveaux des Fed funds attendus fin 2015 et fin 2016 qui sont plus élevés (respectivement 1% vs 0,75% précédemment fin 2015, 2,25% vs 1,75% fin 2016 pour l’anticipation médiane). Les projections de croissance ont été revues légèrement à la baisse mais celles du taux de chômage l’ont également été, reflétant l’anticipation de moindres surcapacités dans l’économie renforçant l’idée d’un resserrement plus précoce. D’ailleurs depuis l’automne 2013, les différentes mesures de tensions sur les capacités ont continué de s’améliorer avec en particulier la baisse du taux de chômage mais aussi la hausse des salaires.

• Toutefois, le communiqué précise que même lorsque l’emploi et l’inflation seront revenus à leur niveau souhaitable, les taux Fed funds devraient être maintenus à un niveau plus faible que ce que le Comité considère comme normal à long- terme (4%). En d’autres termes, la politique monétaire devrait rester expansionniste encore longtemps.

Est-ce que la réponse de Yellen concernant « les 6 mois » était une erreur de communication ou souhaitait-elle vraiment modifier l’anticipation des marchés concernant la première hausse ? Les prochains discours nous permettront d’en juger. Il nous semble toutefois qu’avec un taux de chômage proche de 6% en mai 2015, la Fed pourra se permettre de commencer à normaliser le taux des Fed funds dès le mois de juin 20151.

Quelles implications de ce changement de ton pour les marchés ?

Les taux courts devraient se maintenir à un niveau plus élevé que ce qui était anticipé avec un début de resserrement monétaire plus rapide même si la Fed devrait continuer à communiquer sur une remontée très progressive des taux et le fait que la politique restera accommodante. Les taux longs devraient également revenir sur leur tendance haussière après le recul observé ces derniers mois. Enfin, l’anticipation de durcissement monétaire aux Etats-Unis favorisera l’appréciation du dollar, en tout cas devrait permettre de stopper le mouvement d’appréciation de l’euro.

NOTES

  1. Cf. Texte ‘La Réserve Fédérale : ahead of the curve ? »

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