Fed : la confusion des sentiments

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Comme attendu, la Fed a annoncé un nouveau ralentissement du rythme mensuel de ces achats de titres. A compter du 1er avril, ces derniers passeront de USD 65 mds à USD 55 mds (USD 30 mds de bons du Trésor et USD25mds de MBS). Par ailleurs, la Fed confirme que ce freinage ne sera modifié que si les perspectives venaient à se détériorer substantiellement.

Le communiqué de presse note la récente faiblesse des indicateurs, tout en soulignant les effets d’un hiver particulièrement rude. La principale attente concernait la reformulation de la “forward guidance”. Alors qu’à son introduction, en décembre 2012, elle indiquait que les taux seraient maintenus dans la fourchette de 0-0,25% tant que le taux de chômage resterait supérieur à 6,5% (à moins que l’inflation accélére à 2,5%), elle avait été amendée en décembre dernier. Les membres de la Fed ajoutaient alors que, pour juger de l’opportunité de conserver une telle politique accommodante, ils baseraient leur analyse sur d’autres informations, incluant, notamment, des mesures du marché du travail autre que le taux de chômage ainsi que comme des indicateurs de pressions inflationnistes ou d’anticipations d’inflation. La nouvelle formulation ne conserve que cette dernière partie, ne faisant plus référence à aucun objectif intermédiaire chiffré.

La décision n’aura pas été unanime. Le Président de la Fed de Minneapolis, Narayana Kocherlakota, a ainsi voté contre, arguant du fait que cette nouvelle formulation de la “forward guidance” pourrait « affaiblir la crédibilité de la volonté de la Fed de ramener le taux d’inflation vers sa cible de 2%, pouvant introduire des incertitudes avec de potentiels effets négatifs sur l’activité ».

Finalement, les projections économiques des membres du FOMC étaient marginalement révisées. La croissance est revue légèrement en baisse, cette année (à 2,8%-3,0%), comme l’année prochaine (à 3,2%-3,2%), alors que les prévisions d’inflation sont globalement inchangées (à 1,5%-1,6% cette année et 1,5%-2,0% en 2015). Par ailleurs, les projections de long terme sont aussi revues en baisse, aussi bien pour la croissance (2,2%-2,3% contre 2,2%-2,4% précédemment) que pour le taux de chômage (5,2%-5,6% contre 5,2%-5,8% précédemment).

Il est assez difficile de conclure quant à la nature exacte du message envoyé par la Fed. A la première lecture, le communiqué de presse donne l’impression d’une politique qui se veut moins accommodante, un sentiment renforcé par l’opposition de M. Kocherlakota. Il est aujourd’hui simplement indiqué que la période séparant la fin du programme QE3 de la première hausse de taux sera « considérable ». Précédemment, la Fed annonçait que sa politique resterait très souple bien après la montée en vigueur de la reprise, cette référence De plus, les membres de la Fed ont révisé en hausse leurs projections pour le taux cible des Fonds Fédéraux, de 25 points de base à fin 2015 (à 1,00%) et de 50 pb à fin 2016 (à 2,25%). Une telle révision serait compatible avec une première hausse de taux intervenant plus tôt que prévu, bien que toujours en 2015, et un cycle de resserrement moins graduel.

Lors de sa conférence de presse – sa première en tant que Présidente de la Fed – Janet Yellen s’est vue interrogée sur l’exacte signification de la période « considérable » séparant la fin de QE3 de la première hausse de taux. Et sa réponse (« 6 mois ») restera dans les annales, car les marchés financiers ont fortement réagi. Alors qu’elle indiquait par ailleurs anticiper la fin de QE3 pour l’automne – et non plus pour décembre comme prévu jusqu’alors – la première hausse de taux interviendrait en avril 2015.

Pourtant, Janet Yellen a aussi tenu des propos très rassurants. Notant que les membres du FOMC n’avaient changé ni leur analyse ni leurs anticipations depuis le mois de décembre, elle a passé en revue les indicateurs qui dépeignent le tableau le plus noir du marché du travail : les personnes qui, faute de proposition à temps plein, se voient contraintes de travailler à temps partiel ; la forte proportion du chômage de longue durée ; les personnes découragées qui, bien que désirant travailler, ont abandonné leur recherche d’emploi. Finalement, Janet Yellen a indiqué que selon elle, compte tenu des gains actuels de productivité et des anticipations d’inflation, les salaires devraient être sur une pente annuelle de 3% à 4%, plutôt que 2%.

La réponse apportée à cette question par les marchés financiers est sans appel : les rendements obligataires se sont fortement tendus, de 11pb sur les titres à 2ans (à 0,47%) et de 19pb sur les Treasuries à 5 ans (à 1,75%), alors que le dollar s’est apprécié, notamment contre l’euro. Nous restons quant à nous plus prudents, préférant attendre que les membres de la Fed s’expriment plus longuement sur leurs décisions. La semaine prochaine, Charles I. Plosser, Président de la Fed de Philadelphie doit donner un discours mardi, imité le jeudi par Sandra Pianalto (Cleveland) et Charles L. Evans (Chicago). La semaine suivante, ce sera le tour de Janet Yellen de s’exprimer à Chicago.

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