Escalade de la guerre commerciale et incidences sur le commerce mondial et la croissance économique

par Alessia Berardi, Responsable adjoint de la Recherche Macroéconomique chez Amundi

Les tensions commerciales se sont intensifiées au cours de l’été. Depuis le 1er septembre, l’administration américaine a imposé de nouvelles surtaxes douanières de 15 % sur une première tranche (d’environ 125 milliards de dollars) des importations restantes en provenance de Chine et, simultanément, la Chine a riposté avec une hausse de 5 % à 10 % des surtaxes sur les biens figurant sur sa liste cible, précisant seulement le nombre de produits, à savoir 1 717, mais pas leur valeur. En outre, des auditions publiques ont commencé aux États-Unis (qui se termineront le 20 septembre) pour porter le taux de 25 % des taxes douanières déjà en place à 30 %. Cette nouvelle augmentation devrait entrer en vigueur au début du mois d’octobre.

Enfin, d’ici la mi-décembre, l’administration américaine est censée imposer des surtaxes sur la dernière tranche de marchandises importées de Chine.En ce qui concerne les mesures extra-tarifaires, en août, les licences temporaires concédées aux sociétés américaines pour collaborer avec Huawei ont été prolongées à leur expiration sans indications plus structurelles quant à la manière d’opérer avec un partenaire d’une telle importance. Il en résulte une augmentation des droits de douane dans le monde et une plus grande incertitude quant à la conclusion d’un accord commercial entre les États-Unis et la Chine. Tout récemment, une nouvelle série de pourparlers à haut niveau à Washington a été confirmée par le Vice-premier ministre Liu He et le représentant américain au commerce Robert Lighthizer.

Pourquoi les événements ci-dessus ont-ils une telle importance? En réaction aux dernières évolutions, nous avons à nouveau revu à la baisse nos prévisions pour le commerce mondial au S2 2019 et en 2020, pour prendre en compte leur impact manifestement négatif sur les performances économiques au niveau mondial, notamment en ce qui concerne les économies les plus ouvertes et les plus intégrées avec la Chine.

Parmi les marchés développés, l’Europe se trouve plus durement touchée que les États-Unis tandis que l’Allemagne et l’Italie (manufacturiers exportateurs) sont plus en difficulté que les autres membres de l’Union européenne. Les marchés émergents, en raison de leur modèle de croissance, restent très dépendants de la demande extérieure, leurs revenus reposant encore dans une large mesure sur les exportations. La dynamique économique de l’Asie est, depuis longtemps, de loin la plus faible, mais les pays d’Amérique latine, notamment ceux dont les performances sont davantage liées au cycle des matières premières, rattrapent rapidement leur retard sur une trajectoire cyclique descendante (Pérou, Chili)

Outre la dégradation provoquée par les tensions commerciales, il convient d’ajouter que la période estivale a été marquée par le renforcement des risques idiosyncrasiques, et parfois même de leur explosion, tant dans les économies développées (Italie et Royaume-Uni), que dans les marchés émergents (Argentine). Pour certains une ébauche de solution a été trouvée (nouveau gouvernement en Italie avec une coalition différente et un recul probable de la date butoir pour le Brexit). Dans le cas de l’Argentine, la crise est bien plus profonde et après le résultat surprenant des élections, le pays est désormais considéré comme étant en défaut.

Dans l’univers des marchés émergents, nous avons fait d’importantes révisions à la baisse de nos prévisions de croissance pour 2019-2020 dans la plupart des pays. Au sein des BRICS, les révisions concernent principalement la Chine et l’Inde. La Chine est au cœur du différend commercial et les dernières mesures mises en œuvre ne laissent aucun doute quant à leur impact négatif sur la croissance. Le choc externe s’accompagne de restrictions de politique intérieure (davantage de réglementation et de désendettement, en premier lieu) qui se poursuivent malgré les menaces extérieures pesant sur l’économie. Les secteurs de l’industrie, de la consommation et de l’immobilier subissent tous trois le fardeau imposé par la politique intérieure et extérieure. Selon nos prévisions, la croissance du PIB chinois se situera autour de 6 % au second semestre 2019 en parvenant tout juste à maintenir la croissance annuelle moyenne supérieure à 6 %. Toutefois, la nouvelle fourchette des objectifs de croissance pour 2020 devrait tomber légèrement en dessous de 6 %, nous anticipons par conséquent une croissance chinoise à environ 5,8 % l’an prochain. Le policy mix chinois reste stimulant, bien que jusqu’à présent de manière assez limitée et bien éloigné des mesures de relance massives mises en œuvre ces dernières années. Côté politique monétaire, les baisses de taux sont limitées et très ciblées (nouvelles révisions des ratios de réserves obligatoires à venir) et la croissance du crédit qui a légèrement rebondi en octobre dernier n’a que légèrement augmenté depuis lors. La réforme des taux de base (Loan Prime Rate) récemment annoncée s’oriente à nouveau vers un assouplissement marginal, favorisant de facto les grandes banques et les clients les plus sûrs (grandes entreprises) sans favoriser l’accès au crédit des clients plus risqués (petites entreprises). En fin août, il a été précisé que le LPR devrait constituer un plancher pour les taux hypothécaires, évitant ainsi qu’ils ne baissent trop et confirmant la réticence des autorités à stimuler l’économie à travers le marché immobilier.

En Inde, les mauvaises conditions économiques se sont également généralisées à l’ensemble de l’économie. L’économie du pays étant relativement isolée, les exportations ont moins souffert en moyenne que dans les autres régions d’Asie, mais les problèmes structurels intérieurs (dans le secteur rural et les banques) pèsent sur les investissements et la consommation des ménages. Les prévisions de croissance du PIB ont récemment été revues à la baisse pour l’exercice comptable 2020 (se terminant en mars 2020) passant de 6,1 % en glissement annuel (g.a.) à 5,7 % et légèrement à la hausse pour l’exercice 2021 passant de 6,5 % en g.a. à 6,7 %. Ici encore, le policy mix est devenu légèrement accommodant, principalement en termes de politique monétaire: la banque centrale indienne (RBI) a réduit son taux directeur de 110 pb depuis le début de l’année et nous anticipons encore un assouplissement plus marqué. En août, la RBI a annoncé le transfert d’un dividende extraordinaire au gouvernement pour soutenir les dépenses budgétaires sans compromettre la trajectoire d’assainissement budgétaire réaffirmée dans la révision de la loi budgétaire en juillet dernier (déficit budgétaire à 3,3 % du PIB pour l’exercice 2020). À l’issue des quatre premiers mois de l’exercice en cours, le déficit budgétaire se situe déjà à 78 % de l’objectif en raison de l’insuffisance des recettes causée par la faible croissance économique. Si l’Inde se refuse à un compromis sur ses objectifs budgétaires en s’efforçant simultanément de mettre en œuvre davantage de réformes structurelles, il est difficile d’envisager une croissance économique sur la voie d’une reprise plus durable.

En ce qui concerne les pays moins systémiques, l’Argentine est celui où la révision de la croissance a été la plus importante, passant de -1 % en g.a. à -2,3 % en 2019 et de 2,5 % à 0 % en 2020. Les résultats inattendus des élections préliminaires du 11 août ont précipité le pays vers un probable défaut. Les résultats des élections et l’abandon possible de l’austérité budgétaire mise en œuvre dans le cadre du plan du FMI ont entraîné une dégradation de la note souveraine du pays par les principales agences de notation tandis que les prix des obligations atteignent des niveaux de pays en défaut. Le président en poste se concentre désormais sur des mesures visant à augmenter ses chances de réélection en octobre et à limiter la plongée du peso et ses répercussions évidentes sur le taux d’inflation qui est déjà supérieur à 50 % en g.a. Un contrôle partiel des capitaux a récemment été mis en place tandis que le déblocage de la prochaine tranche d’aide du FMI en mi-septembre est incertain tout comme la continuité du plan de soutien.

Dans l’ensemble, grâce à l’assouplissement progressif de la Réserve fédérale et de la BCE, l’orientation de la politique monétaire des pays émergents est également devenue plus accommodante. En août, une quinzaine de banques centrales, parmi celles sous surveillance, ont réduit leurs taux directeurs, certaines de manière surprenante, comme en Thaïlande ou au Pérou. De nouvelles mesures d’assouplissement sont attendues, en particulier si, en septembre, les principales banques centrales mondiales confirment les attentes du marché. Ce surcroît de souplesse ne parviendra à atténuer la faiblesse de l’économie que si elle est correctement transmise à l’économie réelle, faute de quoi, afin d’obtenir de meilleurs résultats, il deviendra nécessaire de s’appuyer sur des mesures de relance budgétaire, là où c’est possible, ou sur des réformes visant à faciliter la vie des entreprises et à promouvoir le développement économique intérieur.