par Alexandre Bourgeois , économiste chez Natixis
La profusion de livres publiés ces derniers mois à propos de la crise pourrait laisser penser que cette dernière est maintenant terminée, que l’analyse de la période et des erreurs qui ont été commises est bien avancée et qu’il est désormais temps de faire un bilan. A bien des égards, cet effort est nécessaire. Pourtant, il serait prétentieux d’affirmer faire un bilan définitif de la période. Il manque en effet le recul nécessaire. A cet égard, il est important de rappeler que les premiers travaux vraiment pertinents sur la crise des années 30 ont été publiés dans les années 1950-19601, soit longtemps après la crise. Le bilan que nous présentons ici sera donc, par nature, inachevé.
Avant toute chose, il semble nécessaire de rappeler les trois étapes principales de la crise :
- 9-10 août 2007 : les primes de risque (liquidité) sur le marché interbancaire explosent : la crise immobilière américaine, commencée début 2006, se transforme en crise financière (crise des subprimes). Les banques centrales occidentales sont obligées d’intervenir pour calmer les craintes des marchés. En effet, alors qu’on pensait que les innovations financières (titrisation en particulier) permettraient d’éviter l’explosion d’une bulle immobilière puis la transmission de ce choc à l’ensemble des marchés, la complexité des mécanismes mis en place s’est retournée contre le système, créant ainsi une opacité qui a fini par inquiéter les investisseurs.
- 15 septembre 2008 : faillite de Lehman Brothers : la panique devient telle que des géants de l’industrie financière se retrouvent en très grande difficulté. La paralysie du système financier entraîne un arrêt complet de l’économie mondiale : transmission de la crise aux pays émergents, récession mondiale, recul de 33 % des échanges internationaux… Ce phénomène de domino oblige les gouvernements à intervenir massivement pour éviter la faillite du secteur bancaire et compenser l’écroulement de la demande privée.
- Automne 2009 – Printemps 2010 : attaque des marchés sur les dettes publiques des Etats européens les plus fragiles (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne…), marquant ainsi la défiance généralisée face à la dégradation des finances publiques des pays occidentaux. Les pays européens sont obligés de venir en aide à la Grèce (conjointement avec le FMI), puis de mettre en place un plan d’aide pour les pays en difficulté.
Après ces rappels factuels, il est nécessaire de résumer ce que cette crise nous a appris (jusqu’à présent) :
- Sur l’origine de la crise : si on retient une grille de lecture keynésienne, on trouve des similitudes importantes entre la crise actuelle et celle des années 30, à quatre-vingt années d’écart : mauvaise répartition des revenus et baisses d’impôts sur les hauts revenus avant la crise, structure de contrôle défaillante des entreprises, système financier mal régulé, déséquilibres internationaux, essoufflement de la science économique2…
- Sur les remèdes apportés à la crise : les gouvernements et les banques centrales semblent avoir tiré les leçons de l’histoire en ne laissant pas le système financier s’écrouler et la situation économique « pourrir ». Toutefois, comme on avait pu le constater plusieurs fois au cours des années 80 et 90 (pays nordiques, Japon…), la crise bancaire s’est transformée assez rapidement en crise économique, puis en crise des finances publiques.
- Sur la construction européenne : malgré les plans mis en place au cours du printemps (tout au plus des « rustines »), la réorganisation structurelle de la zone euro reste à faire. En effet, si le schéma institutionnel européen avait été cohérent3, la zone euro n’aurait pas subi plus d’attaques que les Etats-Unis (globalement, ses performances budgétaires sont meilleures).
- Sur la gestion des finances publiques : cette problématique sera sans aucun doute le principal objet de la politique économique au cours des prochaines années4. La dégradation impressionnante des comptes publics durant la crise, l’explosion des niveaux d’endettement et les perspectives de croissance dégradées vont rendre cet assainissement très délicat à réaliser.
Du point de vue de l’économiste, la période qui a débuté à l’été 2007 aura été passionnante et enrichissante. En effet, malgré toutes les erreurs d’analyse qui ont pu être faites à l’origine, malgré les conséquences sociales et économiques de la crise, cette dernière aura eu le mérite de faire sortir les économistes de l’optique court-termiste dans laquelle, sous l’influence des marchés, ils avaient pendant trop longtemps réalisé leurs analyses.
C’est sur cet édito que j’achève mes dix années de vie professionnelle chez Natixis. Un grand merci à tous pour vos remarques, vos encouragements, vos critiques…Je passe le flambeau à Marie-Pierre Ripert qui, à partir de la rentrée, prend en charge Eco Hebdo. A bientôt !
NOTES
- Par exemple, 1954 pour J.K. Galbraith, « la crise de 1929, anatomie d’une catastrophe financière » ou 1963 pour M. Friedman et A. Schwartz, « Histoire monétaire des Etats-Unis, 1867-1960 »
- Cf. Bourgeois A. (2009), « Edito : quelques leçons de la crise de 1929… », Eco Hebdo n°28, 10 juillet.
- Cf. Bourgeois A. (2010), « Edito : Et si, finalement, la crise grecque était une bonne chose pour la construction européenne ? », Eco Hebdo n°18.
- Cf. Bourgeois A. (2010), « Edito : Politiques économiques en Europe : entre le marteau et l’enclume…», Eco Hebdo n°20, 21 mai.
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