par Pascal Blanqué, CIO Groupe, et Vincent Mortier, CIO adjoint Groupe chez Amundi
« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses », Epictète
Nous pensons que l’année 2018 marquera la transition d’une phase de reflation à plein régime, orientée à la hausse pour les actifs risqués (les obligations d’entreprise et les actions) vers un stade avancé du cycle des marchés financiers. Cela pourrait avoir des conséquences considérables pour les investisseurs.
À commencer en ce qui concerne les opportunités résiduelles sur le marché. Dans un contexte marqué par des valorisations tendues sur l’ensemble du marché et par la tendance haussière des taux d’intérêt, nous pensons que ces opportunités résideront moins dans les actifs directionnels et plus dans les titres, les pays et les secteurs sous-valorisés. Nous tablons sur une rotation des marchés, des thèmes d’investissement et des styles d’investissement en cours d’année. Cette rotation devrait jouer en faveur des actions et en défaveur des obligations d’entreprise. Dans l’univers des actions, les valeurs européennes, nippones et de certains pays émergents se trouvant à un stade précoce du cycle financier, ainsi que certaines valeurs thématiques comme les obligations indexées sur l’inflation devraient profiter de la hausse des taux d’intérêt. Dans l’univers obligataire, nous recommandons aux investisseurs de faire preuve de flexibilité dans leur positionnement en duration, sur les courbes des taux et sur les marchés des changes du fait de la différence de rythme entre les programmes de normalisation de la politique monétaire, plus rapide aux États-Unis que dans la zone euro et au Japon. Cette recommandation vaut pour l’ensemble des obligations d’entreprise, liquides et peu liquides.
La transition attendue ne sera pas linéaire. Il sera nécessaire d’identifier les points d’inflexion, de détecter les bulles susceptibles de se former sur le marché et de mettre en œuvre des stratégies permettant de réduire les risques. Dans ce contexte, lutter contre la léthargie des investisseurs constituera le principal enjeu de 2018. Il est fort à parier que l’économie mondiale poursuivra sa progression: les principaux pays développés devraient croître à un rythme supérieur à leur potentiel de croissance et les marchés émergents devraient profiter de la synchronisation du cycle mondial. L’inflation devrait se poursuivre à un rythme modéré, notamment aux États-Unis, où le resserrement du marché de l’emploi entraîne progressivement une hausse des salaires. Dans ce contexte, il est probable que les banques centrales poursuivent le processus de normalisation de leur politique monétaire, soucieuses de contenir la volatilité à de bas niveaux et de maintenir des conditions de financement favorables. La sensation de contrôle que procure le matelas de sécurité fourni par les banques centrales sur fond de perspectives économiques favorables devrait provoquer une nouvelle hausse des marchés et une poussée d’optimisme au premier semestre, ainsi qu’une forte augmentation des bénéfices des entreprises. Cela pourrait pousser à la hausse les cours des valeurs de rendement et exposer les marchés financiers (notamment les marchés obligataires) à un risque de forte correction en cas de rebond de l’inflation. Le cas échéant, le rebond de la croissance entraînerait une hausse des taux d’intérêt nominaux et réels et les politiques monétaires des banques centrales seraient de moins en moins efficaces.
Préoccupés par ce risque de léthargie des marchés, nous pensons que les investisseurs auraient tout intérêt à moduler la composition de leurs portefeuilles au fil de l’année, en fonction de l’évolution des conditions de marché. Il serait judicieux de passer d’une stratégie de rotation des risques à une stratégie de réduction des risques sur les segments les plus prisés du marché (obligations d’entreprise high yield, momentum). Parallèlement, il leur faudra accroître les réserves de liquidité de leurs portefeuilles et s’atteler à réduire les risques de perte dans le cas où des évènements extrêmes ou des scénarios alternatifs viendraient à se réaliser. Dans ce contexte, nous pensons que certains facteurs géopolitiques n’ont pas encore été pleinement pris en compte par les marchés (Brexit, tensions au Moyen-Orient) et que la perspective d’un rehaussement des prévisions d’inflation et d’une accélération de la croissance mondiale en 2018 est de plus en plus probable. Nous recommandons donc aux investisseurs d’utiliser des options, des actifs liquides et des actifs faiblement corrélés entre eux pour couvrir les risques auxquels ils sont exposés et ainsi limiter les pertes lors des poussées de volatilité.
En conclusion, voici le principal message que nous adressons aux investisseurs pour l’année 2018 : nous n’anticipons aucun risque imminent ni aucune distorsion (au niveau macroéconomique ou des cours des actifs) susceptible de provoquer une forte correction du marché. Les investisseurs peuvent donc conserver une exposition aux actifs risqués. Nous leur recommandons toutefois de profiter du répit que leur offrent les politiques monétaires accommodantes des banques centrales pour modifier la répartition des risques et les recalibrer au sein de leurs portefeuilles en faveur d’un positionnement plus défensif et en privilégiant fortement les titres de qualité. La mise en œuvre d’une stratégie « barbell » (qui consiste à détenir des actifs sans risque pour disposer de réserves de liquidité et à adopter un positionnement tactique sur certaines opportunités) et la capacité à saisir les opportunités de croissance (sur des segments liquides et peu liquides) permettent aux investisseurs d’optimiser les rendements potentiels de leurs portefeuilles et de contrôler le profil de liquidité de leurs portefeuilles durant la transition délicate vers un stade plus avancé du cycle des marchés financiers.