par les équipes de Lazard Frères Gestion
Au terme d’un suspense digne des meilleures séries, nous savons depuis samedi que le démocrate Joe Biden sera le prochain président des États- Unis. Le recours massif des électeurs Démocrates au vote par correspondance, le dépouillement tardif de ces votes dans des États clés comme la Pennsylvanie ont retardé la publication de résultats certains. Certes, il faudra attendre la mi-décembre et le vote des grands électeurs pour que Joe Biden soit officiellement élu, et Donald Trump n’a toujours pas reconnu sa défaite. Mais les allégations de fraude émises par le camp républicain ne semblent pas fondées et un recompte n’a jamais fait basculer des majorités de plusieurs milliers de voix. Joe Biden sera donc intronisé le 20 janvier.
Reste que la vague bleue, c’est-à-dire démocrate, annoncée par les sondages n’a pas eu lieu. Si les Démocrates s’apprêtent à conserver leur majorité à la Chambre des Représentants, ils perdent quelques sièges. Au Sénat, les Républicains sont déjà assurés de 50 sièges et les Démocrates de 48, un de plus que dans la précédente législature. Restent les deux sièges de sénateurs de Géorgie qui seront attribués après des élections de deuxième tour qui auront lieu début janvier. En effet, le système électoral de la Géorgie diffère des autres États et requiert une majorité absolue. Joe Biden est le premier démocrate à remporter la Géorgie depuis Bill Clinton en 1992. Les Démocrates réussiront-ils à remporter les deux élections ? Ceci leur permettrait, grâce à la voix supplémentaire de la vice-présidente Kamala Harris, de disposer d’une courte majorité. Mais vu d’aujourd’hui, ce scénario n’est pas le plus probable et Joe Biden va donc devoir très certainement composer avec un sénat républicain.
Si Donald Trump perd la Maison Blanche, cette élection n’est donc pas un désaveu total pour lui. Avec une participation record, il a augmenté son nombre de voix par rapport à 2016. Malgré les corrections qu’ils ont pu apporter à leurs modèles, les instituts de sondages ont encore sous- estimé le soutien dont il dispose. Les conditions de son émergence sur la scène politique sont donc encore là et le Trumpisme devrait encore exercer une forte influence sur les Républicains. À de rares exceptions, ceux-ci n’ont pas encore reconnu la victoire de Joe Biden, sans doute de peur de s’aliéner ceux qui sont devenus les électeurs de Donald Trump avant d’être ceux du parti républicain. Ce dernier va-t-il disparaître du premier plan de la scène politique, comme le font généralement les anciens présidents américains ? Va-t-il continuer d’influencer le parti républicain ? Ou sera-t-il rattrapé par des problèmes judiciaires ? Quoi qu’il en soit, c’est donc un pays encore très divisé que Joe Biden va présider. Celui qui se revendique comme centriste a montré dans sa campagne et ses premiers discours une volonté d’apaiser le pays et de travailler avec tout le monde. Sa longue expérience de Washington, et ses bonnes relations avec Mitch McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat lui permettront-elles de rompre avec des années de polarisation ?
La première étape sera le passage d’un nouveau plan de relance. Les Démocrates avaient fait campagne notamment sur la mise en œuvre d’un plan de relance d’une ampleur exceptionnelle, au moins 2 000 milliards de dollars, financé notamment par une augmentation des impôts sur les sociétés et sur les plus riches. Sans le Sénat aux mains des Démocrates, cette deuxième partie ne sera pas mise en œuvre. Cela constitue une nouvelle favorable pour le marché actions américain, puisque les plans Démocrates auraient sans doute amené une baisse de 10% des profits des entreprises du S&P 500.
Depuis la fin du mois de juillet, un certain nombre de mesures de soutien, comme la bonification de l’indemnisation du chômage de 600 USD par semaine, sont arrivées à échéance. Dans le contexte pré-électoral, les Démocrates et les Républicains ne se sont pas mis d’accord sur un renouvellement de ces mesures de soutien. Les sénateurs Républicains reconnaissent la nécessité d’un plan de relance mais la question porte davantage sur le montant de celui-ci. Les négociations vont donc se poursuivre. Si les Démocrates améliorent leur score au sénat, il leur sera peut-être possible de convaincre un ou deux sénateurs Républicains. Le plan évoqué durant la campagne de Joe Biden revient en grande partie à reprendre les mesures du CARES Act de mars, avec des paiements directs aux ménages, une bonification de l’indemnisation chômage et des aides pour les petites entreprises notamment. Il faudra sans doute attendre l’inauguration du mandat de Joe Biden pour que ces mesures soient prises. Sur la base des données de revenus des ménages à fin septembre, les transferts aux ménages sont largement supérieurs aux pertes de revenus d’activité, ce qui réduit l’urgence de nouvelles mesures.
Quant au montant, sur la base des négociations avant les élections, un accord devrait pouvoir être trouvé autour de 1000-1500 Mds de dollars, ce qui représente tout de même près de 4,5-7% du PIB américain. Au-delà de la réponse immédiate à la crise, les projets de forte hausse des dépenses dans l’éducation et les infrastructures dépendront du rapport de force au Sénat.
Enfin, la pratique du pouvoir par Joe Biden va marquer une rupture claire avec un Donald Trump, ce qui devrait réduire la volatilité des marchés. S’il est loin d’être certain que l’orientation de la politique commerciale change, notamment vis-à-vis de la Chine, le temps des annonces d’augmentation de droits de douane par Twitter est sans doute révolu.
Des bonnes nouvelles sur les vaccins, vers un retour à la vie normale ?
Alors que l’Europe a annoncé de nouvelles mesures de restrictions sur les dernières semaines qui semblent commencer à produire des effets et que les États-Unis sont encore confrontés à une accélération du nombre de cas, Pfizer a annoncé des premiers résultats très positifs sur son projet de vaccin. Ceci constitue une première étape importante vers une sortie de la situation actuelle. Les marchés ont salué cette annonce par des mouvements en ligne avec un scénario d’amélioration du contexte de croissance : remontée des taux longs et rotation des actions dites de croissance vers les valeurs plus exposées au cycle économique.
Si cette nouvelle est préliminaire, elle est très positive. En effet, le vaccin de Pfizer permettrait de réduire le taux d’infection de 90%, là où les premières générations de vaccin atteignent en général 60 à 70%. D’autre part, la technologie utilisée par Pfizer, l’ARN messager, l’est également par Moderna et d’autres laboratoires. Ces premiers résultats positifs laissent donc espérer d’autres résultats positifs pour ces autres vaccins. D’autres développements reposant sur des techniques plus classiques, comme celui d’AstraZeneca avec l’université d’Oxford ou par Johnson & Johnson, doivent présenter des résultats d’ici la fin de l’année. xxxxxxxxxxxxx Toutefois, les résultats publiés ne valent pas encore une autorisation de mise sur le marché. Une incertitude porte notamment sur la durée d’efficacité du vaccin. Par ailleurs, la logistique de certains vaccins comme celui de Pfizer semble être compliquée, mais ces difficultés doivent pouvoir être traitées dans les prochains mois. Le plus probable est donc que plusieurs vaccins seront disponibles durant le premier semestre, ce qui signifie que la capacité totale de vaccination ne sera pas limitée par celle d’un seul procédé.
Ces campagnes de vaccination pourraient donc permettre une levée des mesures de restriction et ainsi un retour à la normale dans le courant de l’année 2021. En deuxième partie d’année, les économies bénéficieraient à la fois du fort soutien des politiques monétaires et budgétaires et de la reprise d’activité liée au retour à la normale.
Conclusion
D’ici le moment où les vaccins permettront un retour à la normale, l’économie va continuer d’évoluer en régime de confinement plus ou moins fort, c’est-à-dire nettement en dessous du potentiel d’activité économique. Ceci peut par moment inquiéter les marchés. Dans ce contexte, le soutien de la puissance publique va rester important pour préserver les capacités de production. L’action des banques centrales devrait éviter les problèmes de financement pour les États. La conjugaison des politiques monétaires et budgétaires constitue un appui important pour les marchés financiers. Si elle se confirme, la perspective d’une issue prochaine à la crise pourrait amener les actifs risqués à s’apprécier, dans ce contexte de taux extrêmement bas.