par Axelle Lacan, économiste au Crédit Agricole
- L’économie française s’achemine peu à peu vers l’après-crise. Sa croissance se rééquilibre, en se nourrissant de plus en plus de consommation et d’investissement. Elle doit dorénavant se consolider, pour résister au ralentissement de l’économie mondiale et à l’assainissement nécessaire des finances publiques prévu dès 2011.
- Dans cette nouvelle phase, l’emploi, générateur de revenus, donc de consommation, joue un rôle décisif. Or, dans un contexte d’incertitude et de recherche de gains de productivité, sa reprise s’annonce lente, avec des effets dommageables sur la croissance.
Un ajustement de l’emploi plus sévère que la moyenne de la zone euro, et plus faible que ce que suggérait la chute de l’activité
En France, 523 000 emplois privés salariés ont été détruits entre le T1 2008, pic d’activité et le T4 2009, point bas de l’emploi. Le rythme d’ajustement est plus fort qu’en zone euro, la résilience de l’emploi en Allemagne y étant pour beaucoup, et plus faible que ce que supposait la contraction de l’activité.
En témoigne l’évolution récente de la productivité du travail. Les gains de productivité croissent d’environ 1,5 % par an sur longue période. Malgré le rebond observé ces derniers trimestres, le retard accumulé lors de la « grande récession » n’a pas été comblé, faute d’un ajustement de l’emploi en ligne avec la chute de l’activité.
L’emploi s’est donc contracté, plus en France qu’en zone euro, mais pas suffisamment pour maintenir la productivité. Cette relative résistance de l’emploi peut s’expliquer en partie par les différentes mesures mises en place par le gouvernement pour soutenir soit directement l’emploi, soit certains secteurs (comme l’automobile), ou plus généralement l’ensemble de l’économie. Elle découle également des rigidités qui prévalent sur le marché du travail français (phénomène de « rétention de main d’œuvre » dû à des contraintes légales et aux coûts inhérents à un licenciement, puis à un probable recrutement). Ces éléments ont permis d’atténuer la contraction de l’emploi : ils en brideront vraisemblablement la reprise.
L’heure du choix pour les entreprises : embaucher ou se consolider
Avec la reprise de l’activité, les entreprises françaises sont confrontées à un dilemme. Soit elles continuent de favoriser les gains de productivité, au détriment de l’emploi. Soit elles augmentent leurs effectifs pour faire face à une demande en croissance. Il est aussi question d’enchaînement entre ces deux phases, les gains de productivité ayant des limites. Pour l’instant, les entreprises françaises semblent hésitantes. Certes, l’emploi progresse : dans l’ensemble des secteurs marchands (hors agriculture), 104 500 emplois ont été créés sur les trois premiers trimestres 2010. Mais l’intérim reste le grand pourvoyeur d’embauches, avec 73000 créations de postes depuis le début de l’année. A l’inverse, l’emploi industriel continue même à se contracter (-50 600 emplois sur les trois premiers trimestres). Au total, l’emploi marchand n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise.
Cette situation n’est pas inédite. Elle est normale au début de la phase de reprise. Onze trimestres après le pic d’activité du premier trimestre 1992, l’emploi marchand n’avait pas non plus retrouvé son niveau d’avant-crise. Pour autant, le rythme de redressement de l’emploi apparaît cette fois-ci plus faible.
Les intentions d’embauche des différentes enquêtes témoignent également de cette réalité en demi-teinte. La situation semblait jusqu’à présent un peu plus favorable dans les services, mais elle se tasse peu à peu. La composante « emploi » de l’indice PMI composite est au-dessus du seuil des 50 au troisième trimestre, donc en zone d’expansion, mais son niveau reste modeste et ne pointe pas en direction d’une accélération du rythme des embauches.
Les entreprises sont toujours en quête de gains de productivité, normalement synonymes de restauration de leur profitabilité. En cas de regain d’activité, les entreprises préfèrent recourir à une main d’œuvre flexible, de type intérim, mais en aucun cas à des emplois pérennes.
L’environnement actuel reste très incertain et incite donc à la prudence. Aux problèmes de finances publiques en zone euro au premier semestre ont succédé les craintes de rechute en récession de l’économie américaine, auxquelles succèdent aujourd’hui… les problèmes de finances publiques en zone euro.
Mais cet attentisme génère lui-même de l’incertitude, puisqu’un emploi déprimé maintient sous pression les revenus, qui eux-mêmes brident la consommation des ménages et donc in fine la croissance1.
L’économie française est encore en phase de convalescence, avec des entreprises qui cherchent toujours à restaurer leur profitabilité au détriment de nouvelles embauches. Mais cette phase ne doit pas durer trop longtemps, sans quoi un cercle vicieux finit par s’installer et pénalise durablement la croissance et l’emploi.
Pour sauver l’emploi, relancer l’investissement
La remontée des gains de productivité est inévitable pour maintenir la profitabilité des entreprises, malgré un contexte de partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salaires.
Cet état de fait suggère que la reprise de l’emploi restera particulièrement molle dans les trimestres à venir, le temps pour les entreprises de combler le retard accumulé pendant la crise.
Pour permettre un redressement de la productivité des entreprises tout en libérant un potentiel de croissance plus important pour l’emploi, il faudrait mécaniquement que la valeur ajoutée progresse plus rapidement.
Le commerce extérieur ne paraît pas à même de jouer ce rôle moteur surtout dans un contexte où un ralentissement de l’économie mondiale, et notamment américaine, se profile pour 2011. Une reprise plus marquée de l’investissement pourrait être, au final, une des solutions de cette équation. Toutes les mesures qui l’encourageront auront un impact positif sur l’emploi.
Conclusion
Nous prévoyons donc une reprise molle de l’emploi (185 000 créations d’emplois privés salariés d’ici fin 2011), tout en considérant qu’il existe un biais haussier à cette prévision.
Des mesures stimulant l’investissement pourraient, en effet, permettre une évolution plus dynamique de l’emploi dans les trimestres à venir. La suppression de la taxe professionnelle et les conditions de financement avantageuses sont déjà des facteurs de soutien. La piste de réduction des charges salariales pourrait également être étudiée.
NOTES
- Les revenus sont le principal déterminant de la consommation privée en France. Les effets richesse sur longue période ont un impact modeste. Voir l’Eco News n°150 publié en Juillet 2010.
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