par Jean-Marc Lucas, économiste chez BNP Paribas
Dans les années à venir, le thème de la soutenabilité des finances publiques restera au centre des préoccupations de nombreux pays riches. Le fardeau hérité de la crise économique et financière se conjuguera, notamment, aux effets du vieillissement de la population et de la hausse structurelle du coût de la santé.
Aux Etats-Unis, le défi budgétaire concerne aussi bien l’Etat fédéral que les gouvernements locaux (Etats fédérés et collectivités locales). Après avoir tenté, l’an dernier, de mettre en exergue les principaux tenants et aboutissants de cette question au niveau fédéral1, nous revenons ici sur son versant local, qui a récemment fait l’objet d’une attention accrue.
Diverses questions structurent le débat. Quel a été l’impact de la récession sur la situation financière des Etats et collectivités locales? Quelles sont leurs perspectives budgétaires, à court terme ? Le financement de leurs dépenses de retraite et de santé est-il assuré, à long terme ? Leur endettement est-il excessif ? Faut-il craindre l’émergence de défauts majeurs ? L’instauration d’une procédure de faillite pour les Etats fédérés est-elle souhaitable ? Dans le cadre de cet article, nous évoquons ces différents points.
Nous commençons par dresser un tableau des difficultés budgétaires récentes des Etats et collectivités locales, et des ajustements mis en œuvre (impôts, dépenses). Nous précisons en quoi les règles budgétaires strictes qui encadrent leur fonctionnement conduisent à l’adoption de mesures procycliques. Nous évoquons ensuite les perspectives budgétaires des Etats et collectivités locales, à court terme et à long terme (financement des dépenses de retraite et de santé). Enfin, nous faisons un point sur les niveaux d’endettement actuels et évaluons le risque de défaut.
Une crise aux lourdes conséquences locales
La crise des dernières années a sensiblement détérioré la situation financière des Etats et collectivités locales, en amoindrissant leurs recettes. Ceux-ci ont dû prendre des mesures d’austérité pour conserver leur équilibre budgétaire.
– Un effondrement des recettes fiscales, un bond des transferts
Alors que les recettes fiscales des Etats et collectivités locales ont été sévèrement affectées par la contraction économique des dernières années, les aides accordées par l’Etat fédéral ont permis de limiter la baisse de leurs revenus totaux.
- La récession de 2007-2009 a amputé de façon significative les recettes fiscales des Etats et collectivités locales. Celles-ci se sont effondrées de 9% en l’espace d’un an, entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, alors que, sur la même période, le PIB nominal ne se contractait « que » de 3%. Une baisse aussi marquée est exceptionnelle : depuis le début des années 1950, les recettes fiscales n’avaient diminué que dans la foulée de la récession de 2001, et de façon nettement plus modeste (-1,7% en glissement annuel)2. Le repli des recettes de l’impôt sur les revenus personnels (-26% en glissement annuel, au deuxième trimestre 2009) a été particulièrement prononcé. Les taxes sur les ventes ont également baissé de façon sensible (-6% en glissement annuel, au deuxième trimestre 2009).
- A contrario, les autres catégories de recettes des Etats et collectivités locales ont bondi au premier semestre 2009, sous l’impulsion des transferts fédéraux votés par le Congrès, dans le cadre du plan de relance de 2009 (American Recovery and Reinvestment Act of 2009, ARRA). Les recettes non fiscales s’inscrivaient ainsi en hausse de 19% sur un an au deuxième trimestre 2009. En l’espace de deux trimestres, les dotations en provenance de l’Etat fédéral sont passées de 405 à 503 milliards de dollars en termes annualisés (+24%).
Au final, les aides fédérales ont permis d’éviter une contraction des recettes totales des Etats et collectivités locales (glissement annuel nul au creux du cycle, au deuxième trimestre 2009).
Depuis la fin de la récession (mi-2009), les recettes fiscales ont retrouvé une pente ascendante, affichant une hausse de 5% en glissement annuel au troisième trimestre 2010. Toutes les catégories de recettes fiscales ont contribué à ce rebond (taxes sur les revenus personnels, taxes sur les ventes, taxes sur les revenus des sociétés, taxes immobilières 3 ). Les dotations fédérales ont, sur cette période, continué à progresser, de façon modeste.
– De la récession à l’austérité
Les aides fédérales s’étant révélées insuffisantes, dans le contexte de la « Grande récession », pour équilibrer la situation financière des Etats et collectivités locales, ceux-ci ont dû, pour maintenir leur équilibre budgétaire et ainsi respecter les règles auxquelles ils sont astreints, prendre des mesures correctrices, c'est-à-dire réduire les services offerts à la population et / ou accroître les prélèvements.
- Les taux d’imposition ont été relevés dans de nombreux Etats au cours des dernières années. Selon la National Association of State Budget Officers (NASBO), vingt-trois Etats ont décidé de relever leurs prélèvements au titre de l’année budgétaire 2011 (alors que six autres les ont, au contraire, allégés), pour un revenu supplémentaire global de l’ordre de 6,2 milliards de dollars4. Des mesures similaires avaient déjà été prises en 2010, de façon plus marquée (augmentations dans 29 Etats, allègements dans 9 autres ; hausse globale des revenus de 23,9 milliards de dollars).
- En parallèle, les Etats ont dû réduire certaines dépenses. Les coupes budgétaires pratiquées en cours d’année, lorsque les Etats constatent que leurs ressources ne suffiront pas à couvrir leurs dépenses, ont été fréquentes. Selon la NASBO, quatorze Etats ont, dans le courant de l’année budgétaire 2011, décidé de réduire certains budgets, pour un montant global de 4 milliards de dollars. Trente-neuf Etats avaient décidé des mesures du même ordre en 2010, pour un montant global de 18 milliards de dollars. Comme l’éducation et la santé représentent une part prédominante de leurs budgets, ces domaines n’ont, dans la majorité des cas, pas été épargnés. Freiner les dépenses est d’autant plus compliqué en période de récession que certaines d’entre elles s’alourdissent de façon mécanique (allocations chômage, dépenses de santé5, aides aux plus démunis).
Les efforts des Etats et collectivités locales en matière de contrôle des dépenses sont illustrés, sur le marché du travail, par le repli de leurs effectifs depuis près de trois ans. Depuis août 2008, 450 000 postes ont été supprimés dans ce secteur (-2,3%), à un rythme moyen de 15 000 par mois. La contraction des effectifs a été essentiellement concentrée sur les échelons administratifs situés en deçà de l’Etat fédéré (comtés, municipalités, districts), les effectifs des Etats ayant assez peu varié dans le même temps (-2 700 postes par mois en moyenne). Quasiment la moitié des pertes d’emplois ont porté sur le secteur éducatif. Sur la même période, les effectifs fédéraux ont, de leur côté, augmenté (+3 000 emplois par mois en moyenne).
– Des mesures procycliques
Le caractère procyclique de la politique budgétaire locale en période de crise est un problème clef . Les mesures d’austérité adoptées au niveau local au cours des dernières années ont pesé sur la demande, directement (suppressions de postes, révisions en baisse des prestations sociales, etc.) ou indirectement (réduction de l’activité de certains fournisseurs), à un moment où l’économie souffrait déjà d’un déficit en la matière. Sans même prendre en compte ces effets indirects, difficilement quantifiables, les dépenses de consommation et d’investissement des Etats et des collectivités locales ont amputé la croissance du PIB de 0,1 point en 2009 et 0,2 point en 2010, alors qu’elles soutiennent l’activité en temps normal. En 2011 et 2012, aucun progrès significatif n’est envisagé.
La cure d’austérité se prolonge
Même si la reprise de l’activité, depuis le second semestre 2009, a limité les pressions sur les finances des Etats et collectivités locales, ceux-ci ont encore de grosses difficultés pour présenter des comptes équilibrés. La réduction des subventions fédérales n’arrange rien.
– Des manques à gagner persistants6
Le manque à gagner (« shortfall ») représente l’écart, négatif, entre les recettes attendues et le coût prévu de fourniture des services. Les Etats devant, à l’exception du Vermont, viser l’équilibre de leur budget, les manques à gagner identifiés doivent être comblés. Ils constituent donc des mesures des déséquilibres observés avant la mise en œuvre d’actions correctrices.
Traditionnellement, les difficultés budgétaires des Etats et collectivités locales mettent du temps à se corriger. Après la récession de 2001, les manques à gagner avaient continué à croître jusqu’en 2004. Il est donc trop tôt pour que les Etats ne soient plus contraints de procéder à des réductions de dépenses et des hausses de prélèvements pour parvenir à l’équilibre budgétaire, même si des améliorations peuvent être notées par rapport aux années récentes7.
Selon le Center on Budget and Policy Priorities (CBPP), quarante-quatre Etats anticipent un manque à gagner au titre de l’année budgétaire 2012, qui débutera le 1er juillet prochain dans la plupart des Etats, pour un montant global de 112 milliards de dollars (c'est-à-dire 18% du budget total des Etats ou 0,7% du PIB américain). Des ajustements supplémentaires devront donc encore être décidés, sur les volets dépenses et recettes des budgets locaux, dans les trimestres à venir. Ce manque à gagner attendu pour 2012 vient après ceux déjà constatés au cours des trois années précédentes (430 milliards de dollars au total sur la période 2009-2011, selon le CBPP).
Comme les Etats, les collectivités locales feront face à des difficultés persistantes en 2012 (même si les informations manquent à leur sujet). Deux handicaps spécifiques peuvent être signalés en ce qui les concerne. D’une part, les revenus des collectivités locales reposent davantage sur les taxes foncières que ceux des Etats ; ils devraient donc subir l’ajustement à la baisse des valeurs immobilières (réalisé avec un délai important par rapport au cycle immobilier) de façon plus brutale. D’autre part, l’un des gisements d’économies des Etats consiste à limiter les transferts à destination des collectivités locales, ou à accroître les charges de ces dernières. Les collectivités locales subissent donc fréquemment de façon directe les effets de l’austérité appliquée au niveau des Etats.
– Forte réduction de la manne fédérale en 2012
L’aide exceptionnelle apportée par le gouvernement fédéral aux collectivités locales, dans le cadre du plan de relance ARRA (2009) et de la loi de soutien de l’emploi (2010), a beaucoup fait pour limiter les conséquences budgétaires de la crise au niveau des Etats et collectivités locales. Ce sont près de 160 milliards de dollars qui ont été transférés aux Etats fédérés au cours des années budgétaires 2009, 2010 et 2011, sous la forme d’aides au financement du programme de santé Medicaid et via la création d’un « fonds de stabilisation des Etats ». Des sommes qui ont permis de combler environ un tiers des manques à gagner constatés au cours de cette période.
Or, l’aide fédérale apportée dans le cadre de l’ARRA diminuera très fortement en 2012 (6 milliards de dollars seulement, après 59 milliards en 2011 selon le CBPP). Pour cette raison, et même si le manque à gagner global des Etats est en voie de diminution (112 milliards de dollars en 2012, après 160 milliards en 2011), le manque à gagner « hors aides fédérales », qui devra être comblé uniquement par les ajustements de dépenses et de recettes des Etats, serait aussi large en 2012 qu’en 2011 (106 et 101 milliards de dollars respectivement).
– Dans certains cas, des déficits structurels
Dans certains Etats, la détérioration de la situation budgétaire au cours des dernières années n’a pas uniquement résulté de facteurs conjoncturels, mais semble aussi partiellement structurelle. Certains Etats ont probablement abaissé leurs prélèvements de façon excessive dans la phase haute du cycle, sans anticiper que la base fiscale pourrait se contracter de façon marquée en cas de récession. La marge de manœuvre d’autres Etats est limitée par des procédures budgétaires contraignantes, qui rendent très difficile l’adoption de toute mesure correctrice. Dans d’autres cas, la structure, parfois obsolète, du système de taxation implique un rendement fiscal trop modeste. Par exemple, dans un certain nombre d’Etats, les taxes sur les ventes s’appliquent uniquement aux biens, pas aux services, alors que la part des services a beaucoup progressé. Dans tous ces cas, des réformes doivent être menées pour accroître l’efficacité du système fiscal et s’assurer que les recettes de l’Etat se redressent suffisamment lorsque l’activité retrouve une orientation favorable.
Retraite, santé, principaux défis pour le long terme
Dans une perspective plus longue, les Etats et collectivités locales devront sécuriser le financement des dépenses de retraite et de santé de leurs salariés, qui sont vouées à croître rapidement dans les décennies à venir (vieillissement de la population, dynamisme structurel des dépenses de santé). A l’issue de la crise financière, ces régimes sociaux sont sous- financés. Les rendre soutenables constitue sans doute le principal défi que devront relever les Etats et collectivités locales à plus long terme.
– Un problème de sous-financement, dû à la crise financière et à des politiques parfois peu clairvoyantes
Aujourd’hui, une partie des engagements des Etats et collectivités locales en matière de retraite et de santé n’est pas financée. Si tout le monde s’accorde à le reconnaître, les estimations des engagements non financés des Etats (écart entre les actifs des fonds de pension et les engagements contractés) varient, cependant, de façon significative, selon les hypothèses retenues. Les estimations basses sont de l’ordre de 500 milliards de dollars (Pew Center, 2010), tandis que les projections les plus défavorables se situent autour de 3 000 milliards de dollars (Novy-Marx et Rauh, 2010). –
Plusieurs facteurs expliquent que les systèmes de retraite locaux ne soient pas entièrement financés
- D’une part, la crise financière des dernières années a affecté la valorisation des actifs des fonds de retraite des Etats et collectivités locales. Entre le troisième trimestre 2007 et le premier trimestre 2009, ces actifs ont fondu d’un tiers, leur valorisation passant de près de 3300 à environ 2200 milliards de dollars. Depuis, le redressement des marchés financiers n’a permis qu’un rétablissement partiel (2 900 milliards de dollars au quatrième trimestre 2010). Plus généralement, c’est l’ensemble de la décennie passée qui a été défavorable aux régimes de retraites locaux, les deux récessions (2001- 2003 et 2007-2009) s’étant traduites par des chocs financiers de grande ampleur.
- D’autre part, les Etats et collectivités locales ont parfois adopté des mesures à courte vue, lorsque la conjoncture était porteuse. Certains Etats, comme l’Illinois, le New Jersey et la Pennsylvanie, ont même provisoirement suspendu leurs contributions au système de retraite, estimant que celui-ci était déjà « sur- financé ». D’autres ont révisé les prestations de retraite (ou de santé) des agents publics de façon favorable (exemple : prise en compte des heures supplémentaires).
Selon le Center for Retirement Research (CRR), le ratio de financement des systèmes de retraite locaux (c'est-à-dire le ratio de leurs actifs à leurs engagements de long terme) est passé de 100% environ en 2000 à 77% en 2010, et devrait diminuer davantage à court terme (73% en 2013) (Munnel, 2010-a).
– Le taux d’actualisation en question
Les écarts (importants) relevés entre les différentes estimations des engagements non financés des fonds de retraite locaux tiennent essentiellement à l’hypothèse faite sur le taux d’actualisation des prestations futures. Plus celui-ci est élevé, plus la valeur actuelle des flux de pensions futurs est faible et l’ampleur du problème modeste. Et vice versa.
- D’un côté, certains spécialistes considèrent qu’un taux d’actualisation de l’ordre de 8% doit être retenu, car il correspond au taux de rendement moyen des fonds de retraite sur les vingt dernières années. Sur cette base, les engagements non financés sont chiffrés autour de 500 milliards de dollars.
- A l’autre bout du spectre, d’autres spécialistes, comme Novy-Marx et Rauh, estiment que le taux sans risque (3-5%) doit être considéré, puisque les pensions de retraite « promises » ne peuvent généralement pas être remises en question. Avec un taux d’actualisation aussi modéré, les engagements non financés peuvent s’élever à 3 000 milliards de dollars.
A l’heure actuelle, le Governmental Accounting Standards Board (GASB) approuve le recours à un taux d’actualisation de l’ordre de 8%. Cette règle pourrait cependant évoluer prochainement. Un compromis pourrait consister à imposer un taux « sans risque » pour actualiser les charges en face desquelles aucun financement n’est identifié, mais de permettre le recours au taux de rendement historique du fonds (sur un certain nombre d’années) pour actualiser les engagements financés.
– Dépenses de santé : une problématique similaire, mais davantage de marge de manœuvre
La question de la soutenabilité des dépenses de santé des Etats et collectivités locales se pose également. Selon le Government Accountability Office (GAO), qui modélise les trajectoires de long terme des régimes de retraite et de santé au niveau local, le coût des dépenses de santé serait même dominant, à long terme, si les règles n’étaient pas réformées (GAO, 2010). Cependant, les projections de dépenses de santé sont nécessairement beaucoup plus incertaines que celles de dépenses de retraite, l’évolution du coût de la santé à long terme étant beaucoup plus difficile à cerner.
Quoi qu’il en soit, une différence de taille peut être soulignée entre ces ceux catégories de dépenses. Alors que les engagements au titre de la retraite sont le plus souvent garantis, ceux au titre de la santé peuvent généralement être renégociés par les Etats et les collectivités locales. Ceci explique que les charges liées à la santé soient généralement considérées comme un problème secondaire au niveau local (par rapport aux dépenses de retraite), alors qu’elles concentrent la majeure partie des risques pesant sur les finances publiques fédérales à long terme.
– Du temps pour agir
Si le financement des dépenses de retraite et de santé représente un défi évident pour les années à venir, les estimations suggèrent cependant que les Etats et collectivités locales disposent de temps pour prendre les mesures qui s’imposent (relèvement des contributions, ajustement des prestations) et éviter la survenance d’une crise. Même à l’issue des crises financières majeures de la décennie passée, les fonds de pension apparaissent en capacité de payer les retraites pendant un certain nombre d’années (15-20 ans selon A. Munnel). A court terme, le sous- financement constaté est cependant susceptible de provoquer un renchérissement du financement de certaines collectivités locales (détérioration du jugement des agences de notation, hausse de la prime de risque demandée par le marché).
La prise de conscience du problème semble, par ailleurs, progresser. Plusieurs dizaines d’Etats ont déjà réformé les règles qui gouvernent le fonctionnement de leurs systèmes de retraite au cours des dernières années (15 en 2009, après 12 en 2008 et 11 en 2007, selon le Pew Center), d’une façon ou d’une autre (hausse des contributions salariales, mise en place d’une formule de calcul des pensions plus réaliste, hausse de l’âge de départ en retraite, allongement de la durée d’activité, redéfinition du système en instaurant une partie « à contributions définies » des retraites versées).
Un risque de défaut limité
– Un niveau de dette modéré au niveau agrégé
Au quatrième trimestre 2010, l’encours d’obligations émises par les Etats et les collectivités locales s’élevait à 2450 milliards de dollars, soit 16,5% du PIB américain 8 . Ce ratio n’apparaît pas exceptionnel : il excède de trois points le niveau moyen constaté depuis les années 1950 (13,3%) et se situe en deçà du pic atteint au début des années 1990 (17,5%). Surtout, il semble très modéré en comparaison du niveau de dette fédérale (63,2% au même moment9).
Depuis le début de la récession (quatrième trimestre 2007), l’endettement des Etats et des collectivités locales a, de plus, très peu varié (+1,2 point). Ce constat souligne que l’endettement ne constitue pas, pour les administrations locales, une « variable d’ajustement » en cas de difficultés budgétaires, comme c’est le cas au niveau fédéral (où le ratio d’endettement est passé de 35,9% à 63,2% dans le même temps). En lieu et place de l’endettement, réservé aux dépenses d’investissement, les leviers d’action à la disposition des Etats et des collectivités locales sont, comme indiqué précédemment, la hausse des prélèvements et la diminution des dépenses, lorsque les aides fédérales et les réserves ne suffisent pas.
Autre constat rassurant, le montant des intérêts payés (115 milliards de dollars en termes annualisés au troisième trimestre 2010) est légèrement inférieur à celui des intérêts reçus (119 milliards de dollars) et ne représente surtout qu’une fraction modeste des recettes totales (5,3%, une proportion inférieure à celle de beaucoup d’Etats, en ligne avec celle constatée en moyenne depuis les années 1950, 5,5%).
En regard de leur dette, les Etats et collectivités locales disposent, par ailleurs, d’actifs non négligeables. Au quatrième trimestre 2010, leurs actifs financiers (hors fonds de retraite) s’élevaient à 2 739 milliards de dollars, soit 18,4% du PIB. Ainsi, l’encours de titres de dette des Etats et collectivités locales représente actuellement 89% de leurs actifs, à comparer à un ratio historique moyen de 125%.
– Quel risque de défaut ?
Le marché de la dette locale (« muni bonds ») a subi des turbulences au tournant de l’année 2010-2011, comme l’illustre l’écartement des spreads. Ces secousses ont pu être favorisées par l’abandon du programme « Build America Bonds » (BAB) à la fin 2010, qui soutenait la demande pour la dette locale depuis le printemps 2009. Pour autant, les turbulences sur le marché des muni bonds ont également illustré la nervosité accrue des opérateurs au sujet de la santé financière des Etats et collectivités locales, relayée par les médias, et l’anticipation de la montée des défauts.
Le risque de défaut à l’échelon local semble cependant devoir être relativisé. Un distinguo mérite sans doute d’être fait, à ce sujet, entre les Etats fédérés et les autres collectivités locales.
- Au-delà des chiffres d’endettement modérés évoqués précédemment, le risque de défaut des Etats fédérés apparaît extrêmement faible10, pour diverses raisons. Premièrement, les Etats peuvent, sauf en cas de loi locale contraignante, accroître leurs recettes ou diminuer leurs dépenses de façon aisée. Ils ont donc, en général, une marge de manœuvre importante pour redresser leur situation financière. Deuxièmement, le paiement du service de la dette a, dans de nombreux Etats11, un caractère prioritaire par rapport aux autres catégories de dépenses. Troisièmement, les avantages éventuels à attendre d’un défaut paraissent faibles au regard des inconvénients qui en résulteraient : la dette des Etats étant souvent modeste, un défaut ne se traduirait pas par des bénéfices démesurés ; il rendrait, en revanche, l’obtention de financements futurs nettement plus délicate. Quatrièmement, bon nombre de créanciers des Etats fédérés étant aussi des particuliers (en raison des avantages fiscaux dont ils bénéficient), donc des électeurs, le défaut d’un Etat aurait un coût politique majeur pour l’administration en place.
- Au sein des autres catégories de collectivités locales, les défauts sont moins exceptionnels. Dans ce contexte actuel, certains risquent donc d’être observés. Cependant, deux observations peuvent être faites, qui relativisent tout de même ce risque. D’une part, le risque de défaut des collectivités locales reste sans comparaison (nettement inférieur) avec celui constaté dans le secteur privé : selon Fitch, le taux de défaut historique du secteur « municipal » dans son ensemble est nettement inférieur à 1%. D’autre part, la très grande majorité des défauts observés sur le marché de la dette locale portent sur des projets spécifiques (souvent dans les domaines de la santé et du logement) et non sur des gouvernements locaux proprement dits (villes, comtés). Selon Moody’s, sur les 54défauts de collectivités locales observés depuis 1970, seuls quatre ont porté sur des villes ou des comtés.
– Un Etat devrait-il pouvoir faire faillite ?
L’un des principaux sujets de débats récents a porté sur la possibilité qui devait être donnée, ou pas, aux Etats fédérés de se déclarer en faillite, comme les entreprises et certaines collectivités locales 12 . Des auditions ont eu lieu au Congrès à ce sujet.
Cette idée, lancée notamment par D. Skeel (2010), s’appuie sur le raisonnement suivant : le risque que des Etats soient amenés à faire défaut ne peut être négligé, et il faut éviter au contribuable d’assumer le fardeau de sauvetages éventuels. Une loi sur les faillites permettrait aux Etats de renégocier leur dette plus facilement, ou les aiderait (avec la caution d’un juge) à prendre des décisions impopulaires. D. Skeel insiste sur le fait que la procédure de faillite qu’il appelle de ses vœux serait entourée de garde-fous, comme l’est celle applicable aux collectivités locales. En particulier, la faillite ne pourrait être que volontaire (c'est-à-dire ne pas être imposée par des créditeurs), et le juge n’aurait pas autorité pour contraindre l’Etat à prendre telle ou telle mesure d’ajustement.
Cette proposition se heurte cependant à des objections sérieuses. Certains jugent qu’un tel texte est inutile, étant donné le caractère exceptionnel d’un défaut d’un Etat10. Au-delà, cette législation ne serait pas sans risques. Elle affecterait sans doute le fonctionnement du marché des municipal bonds, rendant probablement l’accès à ce marché plus sélectif et entraînant, plus généralement, un renchérissement du financement des Etats. La possibilité de la faillite pourrait aussi ne pas inciter certains Etats à prendre les mesures qui sont en leur pouvoir pour corriger leur situation financière, contribuant à détériorer la discipline budgétaire locale. Actuellement, les Etats n’ont pas la possibilité de faire faillite car, en tant qu’entités souveraines, ils peuvent ajuster leur niveau de taxation pour rétablir leur situation budgétaire (taxing authority).
Pour de nombreux spécialistes, donner la possibilité à un Etat de faire faillite n’apparaît non seulement pas nécessaire mais dangereux. De fait, aucun Etat ne demande actuellement à pouvoir bénéficier de cette possibilité, et des associations telles que la National Association of State Budget Officers (NASBO) et la National Governors Association (NGA) ont fait part de leur opposition à un tel projet.
Conclusion
Les Etats et collectivités locales sont soumis, depuis quelques années, à des pressions financières sérieuses.
- La récession a déprimé leurs recettes fiscales et accru certaines dépenses sociales. Ces évolutions les ont contraints à adopter des mesures correctrices (hausse des impôts, baisse des dépenses), qui ont un impact négatif sur l’économie. Ces difficultés « conjoncturelles » vont perdurer en 2011 et 2012, en raison notamment de la diminution des aides fédérales. En d’autres termes, le secteur public local continuera de freiner la reprise dans les trimestres à venir. Ensuite, le rétablissement de l’économie devrait apporter ses bénéfices. Dans certains Etats ou collectivités locales, cependant, l’affirmation de la reprise pourrait ne pas suffire à rééquilibrer les comptes. Dans ces cas-là, des difficultés structurelles (rendement insuffisant du système fiscal, sous-estimation des engagements) appellent des réformes (évolution du système de taxation, assouplissement de la procédure budgétaire).
- A plus long terme, la soutenabilité des régimes de retraite et de santé des salariés des Etats et des collectivités locales est fréquemment questionnée. Au terme de la décennie 2000, qui n’a pas été avare en chocs financiers, les régimes publics locaux apparaissent sous-financés, même si l’ampleur du problème fait débat. Une partie de ce problème devrait être réglée par le rétablissement progressif des marchés financiers. Les Etats et collectivités locales devront, au-delà, réformer leurs systèmes sociaux pour les rendre plus soutenables. Cependant, il s’agit là d’un problème de long terme, qui ne nécessite pas une réponse dans l’urgence.
Au final, si les difficultés budgétaires actuelles sont indéniables et si certains défis doivent être relevés à plus long terme, les règles strictes auxquelles les Etats et collectivités locales sont soumis (recherche de l’équilibre budgétaire chaque année ; possibilité de s’endetter uniquement afin d’investir ; etc.) font que leur situation financière ne paraît pas, en moyenne, alarmante. L’endettement des Etats et collectivités locales est globalement modéré (inférieur à 20% du PIB), et le risque de défaut ne doit pas être surestimé (surtout en ce qui concerne les Etats fédérés).
En fait, le très fort dynamisme de l’endettement public aux Etats-Unis depuis quelques années est le fait de l’Etat fédéral. Alors que l’endettement local s’est accru d’environ 2 points de PIB entre le début de la récession et la fin 2010, l’endettement fédéral a augmenté d’environ 29 points au cours de la même période. Limiter l’endettement public aux Etats-Unis (ou empêcher son accroissement) passera donc d’abord par la mise en œuvre de réformes à ce niveau de gouvernement, tout particulièrement dans le domaine de la santé (surtout) et des retraites. Les mises en garde à ce sujet ne manquent pas, et des ajustements possibles ont notamment été présentés par la National Commission on Fiscal Responsability and Reform ou le Congressional Budget Office. Le temps de l’action n’est pas encore venu, cependant.
NOTES
- « Finances publiques américaines : jusqu’où les arbres peuvent-ils monter ? », Conjoncture, Mensuel BNP Paribas, février 2010.
- Le fait que les recettes fiscales des Etats et collectivités locales aient davantage subi le contrecoup des deux dernières récessions (2001 et 2007-2009) que des précédentes souligne leur sensibilité accrue au cycle depuis la fin des années 1990. Ces recettes ont d’autant plus sévèrement chuté lors des deux dernières récessions qu’elles avaient été artificiellement dopées dans la phase haute du cycle par une bulle, sur les marchés financiers (dans le premier cas) ou le marché immobilier (dans le deuxième cas).
- Jusqu'à présent, les recettes issues des taxes immobilières (« property tax ») ont affiché une belle résistance en dépit de la crise immobilière, mais l’ajustement avec retard des valeurs des logements prises en compte n’est pas de bon augure pour l’avenir.
- En particulier, en 2011, la NASBO indique que les taxes sur les revenus personnels (hausse dans 8 Etats dont New York, baisse dans 4), les revenus des sociétés (hausse dans 7 Etats dont la Californie, baisse dans 3), le tabac (hausse dans 7 Etats dont New York) et l’essence (hausse dans 5 Etats dont la Californie) ont été globalement relevées.
- Le nombre de personnes affiliées au programme Medicaid est passé de moins de 43 millions en décembre 2007 à plus de 50 millions en juin 2010.
- Nous nous focalisons dans cette partie sur la situation des Etats (hors collectivités locales), étant donné le peu d’informations disponibles au sujet des gouvernements locaux d’échelons inférieurs. Cependant, les difficultés rencontrées à l’échelon inférieur sont similaires, les collectivités locales ayant également pour obligation de rechercher l’équilibre budgétaire, et étant aussi lourdement affectées par la détérioration des conditions économiques.
- Selon le Center on Budget and Policy Priorities (CBPP), 13 Etats « seulement » ont indiqué un manque à gagner supplémentaire (non anticipé au moment du vote du budget) dans le courant de l’année budgétaire 2011, contre 45 en 2010.
- 94% de cette dette (2 300 milliards de dollars) a été émise avec une maturité de plus de 13 mois, pour financer des dépenses d’infrastructures (routes, ponts, écoles, hôpitaux, canalisations, etc.), et non pour couvrir des dépenses de fonctionnement.
- 63,2%, si l’on considère uniquement la dette détenue par le public, en janvier 2011 ; 94,4% si l’on considère également la dette détenue par des entités gouvernementales.
- Une telle issue n’a, d'ailleurs, été constatée qu’à une occasion depuis le début du vingtième siècle (en 1933, dans l’Arkansas).
- En particulier, le service de la dette occupe le premier rang des priorités en Illinois, et le deuxième en Californie (derrière l’éducation).
- Cela leur est seulement permis dans certains Etats, parfois à la condition que l’Etat soutienne cette démarche.
- La dette fédérale ici considérée (74,9% du PIB) est plus large que celle « détenue par le public », mentionnée précédemment (63,2% du PIB). Elle prend notamment en compte les titres détenus par des fonds de retraite publics.
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