par Nathalie Dezeure, Cyril Regnat et Marie-Pierre Ripert, économistes chez Natixis
Le besoin de financement de l’Etat Fédéral va être phénoménal en 2009, de l’ordre de 1675Md$ (11,5% du PIB) d’après nos estimations. Nous prenons en compte un stimulus fiscal de 300Md$, ce qui peut sembler une hypothèse conservatrice étant donné les montants qui circulent (entre 700M$ et 800Md$ sur deux ans). La dette détenue par le public augmentera du même montant dépassant 50% du PIB. Nous revenons dans ce papier sur nos prévisions de besoin de financement et en corollaire sur le programme d’émissions du Trésor.
Déficit et méthode de comptabilisation
Si la très nette dégradation des finances publiques ne fait plus guère de doute, son ampleur diverge en fonction prévisions des instituts et des économistes. Ces différences, parfois substantielles, s’expliquent principalement sur les méthodes de comptabilisation d’opérations spéciales (le traitement comptable du TARP et des opérations liées à la mise sous tutelle de Fannie Mae et Freddie Mac) et sur les montants de stimulus fiscal pris en compte dans les projections.
Concernant le TARP, il peut être comptabilisé soit en compte caisse (« cash basis ») comme le considère le Trésor américain, soit en valeur actualisée nette (« net present value ») ajustée du risque de marché (méthode retenue par le Congressional Budget Office (CBO)).
Concernant Fannie Mae et Freddie Mac, leur statut reste pour le moment inédit : bien qu’elles aient été placées sous la responsabilité du Trésor, elles ne disposent pas de la garantie explicite de ce dernier. Ainsi, les opérations de Fannie Mae et Freddie Mac peuvent être considérées soit comme fédérales (hypothèse du CBO) ou soit comme des opérations d’agence sans garantie (comme avant la mise sous tutelle), ce que nous retenons pour le moment comme l’Office of Management and Budget (OMB).
Concernant le stimulus, le CBO fait des projections à législation inchangée donc il ne prend pas en compte de stimulus fiscal.
Pour notre part, nous retenons les méthodes et hypothèses suivantes :
- Nous avons revu à la hausse notre estimation de déficit public « core » (que nous définissons comme le déficit public hors stimulus et opérations spéciales) de 125Md$ par rapport au scénario de décembre 2008, la révision en baisse de la croissance (de -0,1% à -1%) justifiant un élargissement du déficit cyclique d’environ 75Md$. De plus, nous avons opéré un ajustement du déficit de l’ordre de 50Md$ sur les projections du CBO (que nous prenons comme référence).
- Nous intégrons ensuite un stimulus fiscal de 300 Md$ cette année, ce qui est plutôt conservateur au regard des chiffres qui circulent actuellement (entre 700 et 800 Md$ sur 2009-2010).
Au total, notre prévision de déficit s’établit désormais à 1025Md$ hors TARP, soit 7% du PIB.
Pour le TARP, nous adoptons les estimations du CBO et nous considérons dans le budget, le coût net (valeur d’achat moins valeur actualisée des revenus futurs) qui, sur la base des opérations menées en décembre, représente environ 25% du montant du TARP (700Mds), soit 180Md$ . Le Trésor devrait en plus emprunter près de 520Mds afin de financer les opérations en capital. Nous ne prenons pas en compte le coût de la mise sous tutelle des agences.
Par ailleurs, l’achat de MBS élargirait également les besoins de financements (250Md$). Sur les deux premiers mois de l’exercice fiscal, le Trésor a acheté pour 44,7Md$ de MBS. A l’inverse, nous supposons que le Trésor ne devrait pas poursuivre les émissions de Cash Management Bills, ce qui rapporterait 300Md$ cette année.
Au total, notre prévision de besoin de financement atteint 1675Md$, contre 1600Md$ prévu en décembre dernier et une prévision de 1390Md$ du CBO (absence de stimulus). La dette détenue par le public atteindra 51,3% du PIB et la dette publique totale un record de 80% du PIB (70% en 2008). Ces niveaux pourraient même être dépassés, notre hypothèse d’un stimulus de plus de 300 Md$ étant conservatrice. Il ne serait guère étonnant d’avoir un besoin de financement et une dette supérieure d’au moins 1pt de PIB à notre prévision.
Emissions 2009, l’année de tous les records
La semaine passée, le Trésor américain a adjugé près de $166Mds de Treasuries (y compris T-bills) sur le marché, un montant exceptionnel au regard des programmes européens (€330Mds pour le programme annuel du plan allemand) mais relativement faible comparé aux $6900Mds de papiers (Tbills compris) qui pourraient être servis cette année. En effet, le creusement du déficit fiscal et la mise en place des mesures de soutien aux secteurs bancaire et hypothécaire ont, depuis le début du second semestre 2008, provoqué une augmentation sensible des volumes d’émissions. Alors que des volumes moyens de $200Mds de Treasuries et $1000Mds de Tbills étaient adjugés précédemment, ce sont désormais près de $350Mds et $1300Mds (en moyenne) qui pourraient être émis chaque trimestre. Sur l’année fiscale 2009, les programmes d’émissions de Treasuries et TBill pourraient donc atteindre des niveaux respectifs de $1350Mds et $5500Mds, des augmentations de 51% et 19% par rapport à 2008.
Marché des TBill : vers une normalisation
La disparition progressive des Cash management bills, dont le but était de financer le Supplementary Financing Program de la Fed, devrait permettre une chute progressive des émissions de bons du Trésor cette année (sur les deux derniers trimestres, les émissions nettes de TBills avaient atteint $400Mds). Ainsi, le volume d’émissions adjugé par trimestre pourrait chuter à un peu plus de $1300Mds au T1 puis à $1100Mds par la suite, des niveaux bien inférieurs $1950Mds adjugés au T4 2008.
Treasuries : vers un choc d’offre substantiel
Le véritable choc d’offre devrait davantage concerner le marché des Treasuries. Les émissions nettes pourraient en effet doubler cette année, passant de 400 à $800Mds (remboursements stables autour de $500Mds cette année). En termes de maturité, la zone 2 ans – 5 ans sera certainement la zone subissant le plus de pressions. Représentant d’ores et déjà la grande majorité des adjudications soit $900Md (plus de 70% du total), la zone devrait souffrir de la concurrence générée par les émissions garanties par la FDIC (un peu plus de $100Mds ont été émis depuis la fin novembre) et dont la maturité ne peut pas excéder juin-2012. Au même titre que les Trésors européens, le Trésor US devrait adopter une stratégie bien plus flexible en étant notamment plus actif sur le marché des off-the-run qui souffre régulièrement de short squeezes. En plus d’éventuels programmes d’échange afin de lisser la courbe des Treasuries, nous pourrions aussi avoir le retour des émissions sur le point 7 ans de la courbe, une maturité délaissée depuis 1993 (les $50Md de Tsy 7 ans que nous anticipons seraient réalloués sur les points 10 ans et 30 ans en cas de non-réouverture).
En ce qui concerne les maturités plus longues, ces dernières souffriront elles-aussi d’une augmentation sensible de l’offre. Le point 10 ans de la courbe sera abondé chaque mois contre une fréquence moins importante auparavant. Sur la zone 30 ans, ce sont près de 4 nouveaux benchmarks qui devraient être lancés avec un volume total qui doublerait. L’effet négatif généré par cette offre supplémentaire de papiers longs pourrait être limité par le retour des investisseurs sur les maturités longues, ce retour étant lui-même motivé par les rendements relativement élevés des papiers longs (2,45% et 3% pour les Tsy 10a et 30a contre seulement 0,80% pour le 2a), les besoins en duration des fonds de pension et la chute de l’inflation US. Segment de marché actuellement sous pression, les TIPS pourraient voir leur volume d’émissions passer à $100Mds, ce dernier étant principalement concentré sur le second semestre.
Profitant pour le moment d’un environnement favorable (récession économique et aversion au risque élevée), l’impact de la hausse de l’offre de papier pourrait se limiter à la seule contraction des swap spreads US à court terme. Néanmoins, un retour des investisseurs sur les actifs risqués pourrait compliquer la tâche du Trésor US. En cas de désaffection des investisseurs, nous pourrions ainsi observer un rebond important des rendements obligataires, notamment sur les maturités longues. Mais ce n’est pas le scénario que nous privilégions.