Immobilier : Vers une stabilisation du marché résidentiel

par Olivier Eluère, économiste au Crédit Agricole

En 2010, le marché immobilier s’est fortement redressé, notamment dans l’ancien, avec des ventes en hausse de 32% et une croissance des prix de 9,5%. La phase de correction du marché a été courte (de mi-2008 à mi-2009) et mesurée, plus qu’ailleurs et plus que dans les cycles précédents. Le rebond qui a suivi a été très soutenu, ce qui peut surprendre, avec un taux de chômage élevé et des prix surévalués. Au-delà des fondamentaux favorables, on l’explique par :

  • Un effet « valeur refuge » marqué, les investisseurs privilégiant l’immobilier du fait d’une aversion pour le risque et de marchés financiers volatils, incertains et peu rémunérateurs.
  • Des acheteurs ayant cherché à bénéficier de conditions optimales en matière de taux de crédit habitat et d’avantages fiscaux, sachant que sur ces deux points, l’année 2010 était extrêmement favorable et que l’année 2011 risquait de l’être moins.
  • Une offre assez basse en France et très limitée en Ile-de-France. D’où un net déséquilibre offre-demande et des hausses de prix marquées, ce qui conduit à s’interroger sur l’émergence de nouvelles « bulles », notamment à Paris (hausses de prix très marquées qui traduisent non pas un marché de spéculateurs, avec ventes nombreuses et rotation rapide, mais un marché de pénurie). En 2011-2012, ces tendances devraient s’infléchir et le marché se rééquilibrer en partie.
  • Les taux de crédit habitat remontent graduellement, les avantages fiscaux vont devenir moins attractifs et l’effet « valeur refuge » devrait moins jouer. Cette tendance ne devrait toutefois pas totalement se dissiper, étant donné la grande incertitude qui entoure les évolutions économiques et financières. De plus, le taux de chômage va rester élevé, et les prix sont clairement surévalués, de l’ordre de 15% en France et 35% à Paris.

Une correction marquée du marché semble toutefois assez peu probable. On pourrait plutôt retrouver un processus de soft landing comparable à celui observé en 2006-2007 : le marché reste porteur mais les acheteurs sont moins nombreux, plus exigeants et attentistes, l’offre un peu plus large et les prix en hausse modérée, de l’ordre de +5% en 2011 et +2% en 2012.

Vif rebond des ventes en 2010

Les ventes se sont redressées vigoureusement en 2010, après la forte baisse de 2008-2009. Elles retrouvent presque les points hauts de 2004-2006.

En France, le nombre de transactions dans l’ancien a atteint 782 000 en 2010 (source : Conseil général de l’environnement et du développement durable, d’après les bases fiscales et notariales). Les ventes se sont ainsi redressées de 32% par rapport à 2009. Rappelons que le nombre de transactions avait chuté de 17% en 2008 et de 12% en 2009. Le rebond de 2010 efface donc le repli des deux années précédentes. Les ventes ont été particulièrement soutenues au quatrième trimestre, 208 000. Sur l’ensemble de l’année, elles ne retrouvent pas tout à fait les records de 2004-2006, 824 000 par an, mais n’en sont guère loin, en retrait de 5%.

En Ile-de-France, le rebond est encore plus marqué. Les ventes de logements anciens, qui s’étaient effondrées au premier trimestre 2009, sont remontées rapidement ensuite. Sur les appartements anciens, les ventes ont atteint 113 000 unités en 2010, +36% sur un an, et retrouvent le niveau moyen des pics observés en 2004-2006 (source : Notaires Paris Ile-de-France). Les ventes de maisons anciennes sont également en forte hausse en 2010, +38% sur un an, à 50 000 unités.

Début 2011, les premières indications font état d’un volume de ventes encore très élevé, mais un peu moins que fin 2010.

Redémarrage sensible des prix

Le rebond des prix de l’ancien en 2010 a également été très marqué. Selon les indices INSEE Notaires, les prix de l’ancien se sont nettement redressés au cours de l’année 2010. Au quatrième trimestre, la hausse a atteint 9,5% sur un an, après 8,4% au troisième trimestre. Les progressions sont assez comparables entre les appartements (9,1%) et les maisons (9,9%). En province, les hausses de prix ont atteint 8% sur un an.

En Ile-de-France, elles ont été très fortes, 12,1%, et à Paris les prix ont rebondi de 17,5%. En moyenne annuelle, les hausses sont un peu plus mesurées, 6,3% en France, 10,5% à Paris. Fin 2010, le prix moyen du mètre carré des appartements anciens s’élève à 7330€ à Paris, 4150€ en Petite Couronne et 2970€ en Grande Couronne. Toutefois, les prix tendent à se stabiliser, au moins provisoirement, dans certaines régions, notamment en Grande Couronne : +0,3% t/t au T4 2010 (dont -0,1% t/t en Yvelines). De plus, début 2011, la hausse des prix a commencé à ralentir légèrement en Ile-de-France : 11,9% sur un an en janvier contre 12,1% en décembre 2010.

Au total, le rebond de 2010 a compensé la baisse de 9% observée entre mi-2008 et mi-2009 et les prix dépassent même légèrement les points hauts de la mi-2008. Ils restent ainsi clairement surévalués et la solvabilité des acheteurs est nettement dégradée.

Les chiffres FNAIM donnent une tendance plus modérée. Au T1 2011, les prix sont en hausse de 1,9% t/t. En glissement annuel (T1 2011/T1 2010), ils sont en croissance de 4,5%.

 Poursuite de la hausse des ventes de logements neufs

Au quatrième trimestre 2010, les ventes de logements neufs (réservations, filière promoteurs, programmes d’au moins cinq logements) sont restées bien orientées, atteignant 28 000 unités, en hausse de 6% sur un an. Sur l’ensemble de l’année 2010, 115 000 logements ont été vendus, soit une progression de 8% par rapport à 2009. Les ventes de neuf, qui avaient rebondi de 35% sur un an en 2009 (après une chute très marquée en 2008) ont donc continué à se redresser. Elles ont même un peu accéléré en cours d’année. Comme dans l’ancien, les volumes de ventes retrouvent presque les niveaux records des années 2004-2007, 122 000 par an. Le mouvement est encore plus net en Ile-de-France. Les ventes ont progressé de 15% sur un an en 2010 et ont légèrement dépassé les points hauts de 2004-2007.

Les ventes dans le neuf ont donc été soutenues. Mais, à la différence de l’ancien, ceci tient avant tout au segment « investisseurs ». La part des investissements locatifs, déjà très importante dans le neuf (promoteurs), est devenue prédominante en 2009. Sur 106000ventes, 68000 correspondaient à des investissements locatifs soit 64%, contre 40% habituellement (source : Fédération des Promoteurs Immobiliers). En 2010, la proportion d’investisseurs a été de 63%. Le dynamisme des ventes est donc largement lié aux investisseurs, Ceci est en bonne partie imputable au dispositif Scellier pour l’investissement locatif dans le neuf, mis en place en 2009 et fiscalement très attractif. Il permettait (en 2009 et 2010) une réduction d’impôt de 25% (étalée à parts égales sur neuf ans) du montant de l’investissement, dans la limite de 300 000 euros. L’économie d’impôt pouvait donc atteindre 8 333 euros par an. Le succès de ce dispositif a été d’autant plus marqué que jouait à plein l’effet « valeur refuge ». Face au manque de visibilité et à des marchés financiers incertains, volatils et offrant des rémunérations peu attractives, les investisseurs ont privilégié l’immobilier.

En 2011-2012, l’effet valeur refuge pourrait s’atténuer. La fiscalité du dispositif Sellier sera moins attractive : réduction d’impôt ramenée à 22% en 2011 et 18% en 2012 pour les logements BBC(« bâtiment basse consommation ») ; et réduite à seulement 13% en 2011 et 9% en 2012 pour les logements non-BBC. D’où le risque d’arbitrages un peu moins favorables aux investissements immobiliers.

Parallèlement, la demande des acquéreurs classiques et notamment des primo-accédants a été assez faible, en dépit de la baisse des taux de crédit habitat et du doublement du prêt à taux zéro (PTZ) (jusqu’à la mi-2010). Le nouveau PTZ+ devrait toutefois contribuer à soutenir la demande en 2011.

Au regard des récentes enquêtes auprès des promoteurs, la demande de logements neufs à acheter reste élevée et sensiblement supérieure à sa moyenne de longue période.

Reprise des mises en ventes et recul des stocks

Les mises en ventes de logements se sont assez nettement redressées au quatrième trimestre 2010, 25 500 unités, en hausse de 15,5% sur un an. Sur l’année 2010, elles ont totalisé 109 000 unités, en net rebond par rapport à 2009, + 41%. Les mises en vente étaient en fait très basses en 2009 (77 500), les promoteurs s’étant montrés très prudents après la chute des ventes de 2008 et ayant réduit leur offre de nouveaux programmes. Les stocks sont ainsi revenus rapidement à la normale. Avec ces niveaux de stocks et une demande en reprise, les promoteurs ont accrû leurs mises en vente en 2010. Ils restent toutefois vigilants. A 109 000, les mises en ventes restent nettement en deçà du niveau moyen annuel de 2004-2007, 136 000.

Les stocks de logements neufs atteignent 59 000 logements au quatrième trimestre, en baisse par rapport au trimestre précédent (62 700). En effet, le nombre de ventes a été supérieur à celui des mises en ventes au cours du trimestre. Sur un an, les stocks sont en baisse assez marquée, de 15%. Le ratio stocks/ventes, qui mesure le délai moyen d’écoulement des stocks, atteint 6 mois en décembre 2010, contre 7,8 mois en décembre 2009. Il se situe en-deçà du niveau moyen de 2000-2010, 7,7 mois (mais encore largement au-dessus du point bas de 3,8 mois atteint en 2004). Seulement 38% des stocks sont achevés ou en cours de construction, et 62% sont en projet.

En Ile-de-France en revanche, les stocks ont déjà retrouvé leurs plus bas historiques, à 3,8 mois de vente. La demande est soutenue et l’offre nouvelle assez faible, du fait notamment des difficultés des promoteurs à mobiliser du foncier. La demande est clairement bridée par la faiblesse de l’offre.

Rebond des mises en chantier

Les promoteurs et constructeurs avaient été très prudents et réactifs pendant la crise de 2008. La chute des ventes et la nette remontée des stocks les avaient conduits à réduire nettement leurs mises en vente et leurs mises en chantier de logements en 2008 et 2009.

Depuis quelques trimestres s’est mis en place un redressement, lié à la très bonne tenue de la demande et à des stocks repassés au-dessous de leur moyenne de longue période. Ce mouvement, déjà perceptible depuis plusieurs mois sur les permis de construire, se concrétise enfin sur les mises en chantier (qui réagissent avec un certain délai). Sur les trois derniers mois connus (décembre-février), les mises en chantier rebondissent de 54% sur un an et les permis de construire de 23%. En cumul douze mois, les mises en chantier totalisent 375000unités, +16% sur un an et les permis de construire 471 000 unités +22% sur un an. Les mises en chantier demeurent toutefois nettement en deçà des records de 2006-2007, 460 000 unités par an.

Hausse des prix de vente des appartements neufs

Les prix des appartements neufs se sont accrus de 5% sur un an au quatrième trimestre 2010. Sur les douze derniers mois comparés aux douze mois précédents, les prix ont été en hausse de 6% pour les appartements. En Ile-de-France, la hausse annuelle moyenne est de 9,2%.

Cette hausse des prix est liée à la baisse des taux et aux faibles niveaux des stocks, inférieurs à leur moyenne de longue période. Elle s’explique aussi par la nécessité d’amortir les hausses de coûts de production, avec notamment le poids des normes environnementales (« bâtiment basse consommation »). Il s’agit de prix « à la réservation ».

Une reprise assez surprenante en 2010

En 2010, le marché immobilier a connu un redressement marqué, décrit dans les pages précédentes. Les ventes se sont accrues de 32% dans l’ancien par rapport à 2009, et de 8% dans le neuf (promoteurs). Elles retrouvent des niveaux proches des points hauts de 2004-2006. Les prix se sont accrus de près de 10% dans l’ancien en glissement annuel et dépassent légèrement les points hauts de la mi-2008. Ils ont rebondi de 17,5% à Paris. Le rebond du crédit habitat est également spectaculaire. La croissance de l’encours de crédit habitat a atteint 8,2% sur un an en décembre 2010. La production de crédit habitat (en cumul douze mois) a accéléré beaucoup plus fortement, en hausse de 77,4% sur un an, du fait de la reprise du marché immobilier mais aussi des opérations de remboursements anticipés/nouveaux prêts liés à la baisse des taux de crédit.

Cette reprise est surprenante. Après un boom immobilier soutenu de dix ans (1998-2007) et une hausse cumulée des prix de 135% dans l’ancien, puis une crise économique et financière d’une ampleur historique, une correction significative semblait logique. Or, la phase de baisse a été courte (de mi-2008 à mi-2009) et modérée, de plus le rebond qui a suivi a été très vigoureux. Pourtant, la conjoncture est restée médiocre, le taux de chômage élevé et la solvabilité dégradée. Au regard de la prime de risque sur un investissement immobilier ou du taux d’effort théorique1, les prix étaient, au point haut du cycle, fin 2007, surévalués d’au moins 20%. Fin 2010, ils restaient surévalués d’environ 15%. Notons par ailleurs que le rebond du marché français contraste avec le freinage ou la correction baissière que l’on continue à observer dans la plupart des autres pays européens.

 Conjonction de trois facteurs exceptionnels

La résistance du marché français tient d’abord à ses « fondamentaux » qui sont favorables. En premier lieu, Il n’y a pas eu de « bulle » du crédit et de prises de risques excessives ; un processus de « develeraging » marqué n’était donc pas nécessaire, à la différence des pays anglo-saxons et de l’Espagne. L’octroi d’un prêt habitat est fondé sur la capacité de l’emprunteur à rembourser son prêt et non pas sur la valeur du bien, le taux d’effort doit être limité à environ un tiers du revenu, les prêts sont majoritairement à taux fixe et l’extraction hypothécaire est très peu utilisée. De plus, les promoteurs sont restés prudents, échaudés par la crise immobilière du début des années 90 et il n’y a pas eu de surabondance de l’offre. Enfin, la demande de logements reste structurellement forte, soutenue par une série de facteurs (démographie favorable, décohabitation, préparation de la retraite, désir d’accession à la propriété, nombreuses incitations fiscales).

La permanence de ces « fondamentaux », l’amélioration de la conjoncture (à partir de la mi-2009) et la décrue des taux d’intérêt pouvaient logiquement conduire à une correction mesurée du marché puis une phase de stabilisation. Mais ceci ne suffit pas à expliquer le net rebond des derniers mois.

Celui-ci a été permis par la conjonction de trois facteurs exceptionnels :

  • Un effet « valeur refuge » très marqué : face au manque de visibilité sur l’environnement économique, à des marchés boursiers volatils et incertains et aux faibles rémunérations des placements financiers, l’immobilier est apparu plus que jamais comme une valeur refuge. Les taux de rendement locatifs (hors avantages fiscaux) sont devenus supérieurs aux rendements obligataires et les hausses de prix renforçaient les espérances de plus-values. Cet effet valeur refuge ne s’applique pas seulement aux investisseurs, mais aussi aux acheteurs « classiques » : l’achat d’une résidence principale, même à un prix très élevé, permet de se constituer un patrimoine sûr, appelé à se valoriser, pour notamment préparer sa retraite.
  • Des taux de crédit habitat très attractifs, atteignant des plus bas historiques fin 2010, 3,41% pour un prêt habitat à taux fixe de durée supérieure à un an (contre 3,9% fin 2009 et 5,2% fin 2008).
  • Les mesures de soutien fiscal, notamment le dispositif Scellier pour l’investissement locatif dans le neuf, le prêt à taux zéro et le crédit d’impôt pour les intérêts d’emprunt.

Sur ces deux derniers facteurs a notamment joué l’idée de bénéficier d’une fenêtre d’opportunité maximale. L’amorce de remontée des taux d’intérêt suggérait que les taux de crédit étaient arrivés à leur point bas et allaient prochainement remonter. De même, l’annonce de la remise à plat des mesures de soutien fiscal et de la suppression du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt à partir de 2011 ont poussé les acquéreurs à acheter avant la fin 2010. D’où une accélération des ventes et des prix au second semestre, notamment dans l’ancien et les catégories les plus chères.

Au sein de la demande, la part des investisseurs s’est accrue, aux dépens de celle des primo-accédants.

Parallèlement, l’offre était basse en France et très limitée en Ile- de-France. Les propriétaires de logements mis en location hésitaient à les mettre en vente, ces actifs étant jugés plus sûrs et plus rentables que les investissements financiers. Les ménages désirant vendre un bien pour en acheter un autre sont restés prudents, par crainte de vendre à un prix jugé insuffisant et de ne pas trouver le bien adéquat du fait de la faiblesse de l’offre. De plus, dans le neuf (promoteurs), l’offre était très faible en Ile- de-France, avec des stocks au plus bas

Ceci a conduit à des hausses des prix marquées, acceptées par les acheteurs, car compensées en partie par la baisse des taux de crédit et par l’effet valeur refuge. Le déséquilibre offre- demande était encore plus net dans les grandes villes et notamment à Paris, avec des hausses de prix très accusées et des niveaux de surévaluation très importants (de l’ordre de 35% à Paris) qui conduisent à s’interroger sur l’émergence de nouvelles « bulles ».

2011-2012 : stabilisation à un haut niveau

En 2011-2012, ces tendances devraient s’infléchir et le marché se rééquilibrer peu à peu. La demande devrait se stabiliser, voire baisser un peu. Des premiers signes de tassement des ventes et de freinage des prix apparaissent au premier trimestre 2011, effet de contrecoup après la forte hausse de la fin 2010. Les facteurs de soutien à l’œuvre en 2010 deviennent en effet moins favorables :

  • Les taux de crédit habitat ont atteint leur point bas fin 2010 et ont commencé à remonter début 2011 : 3,55% en février pour un prêt habitat à taux fixe de durée supérieure à un an, contre 3,41% en décembre. Ce mouvement va se poursuivre au cours des prochains mois, compte tenu de la hausse prévue des taux trois mois et dix ans : le taux Euribor trois mois devrait remonter à 2,25% fin 2011 et 3% fin 2012, contre 1% fin 2010, et les taux dix ans à 4,20%, puis 4,40% (contre 3,30%).
  • Les avantages fiscaux seront moins attractifs : suppression du crédit d’impôt pour les intérêts d’emprunt et moindre réduction d’impôt pour le dispositif «Scellier» (mais en contrepartie, mise en place d’un PTZ renforcé).
  • L’effet «valeur refuge» devrait un peu moins jouer, à mesure que les taux d’intérêt (à court et à long terme) remonteront, et sous l’hypothèse d’un certain redressement des marchés boursiers, même si les incertitudes géopolitiques et économiques restent présentes. En particulier, les investisseurs vont devenir plus réticents face à une prime de risque réduite par la hausse des taux d’intérêt à long terme.

De plus, les prix sont clairement surévalués et le taux de chômage va rester assez élevé, 9% en moyenne en 2011. Tout cela devrait conduire à une demande moins forte et plus hésitante. La demande ne devrait toutefois pas baisser sensiblement, grâce aux « fondamentaux »,à un climat économique un peu plus allant et au fait que l’immobilier restera considéré comme un investissement sécurisant et garant de plus-values à moyen terme.

Parallèlement, l’offre pourrait s’élargir un peu. Certains vendeurs du type investisseurs seront plus enclins à vendre, les secondo-accédants vont revenir peu à peu et, dans le neuf, l’offre devrait s’élargir progressivement.

Un meilleur équilibre offre/demande et la remontée des taux de crédit devraient conduire à des hausses de prix mesurées. En 2011-2012, les ventes seraient stables à un haut niveau dans le neuf et l’ancien, et les prix en hausse modérée, de l’ordre de + 5% en 2011 et +2% en 2012. Une baisse des ventes et des prix est même probable sur certains segments.

On retrouverait un processus de soft landing (atterrissage en douceur) comparable à celui observé en 2006-2007. Ces années-là ont correspondu à l’apogée du boom immobilier. Le marché restait très porteur, mais les taux de crédit habitat se sont accrus de 105 pdb sur deux ans (de 4,29% à 5,34% pour le TEG). La solvabilité des acheteurs a atteint des niveaux jugés « limites ». Ceci n’a pas entrainé une chute du marché mais une stabilisation : les ventes dans l’ancien se sont maintenues à des niveaux très élevés (820 000 en 2006 et 810 000 en 2007) et les prix, en hausse de 10 à 15% par an entre 2002 et 2005, ont freiné à +6,5% sur un an fin 2006 et +2,6% fin 2007. Les acheteurs sont restés nombreux, mais sont devenus plus attentistes, et plus exigeants sur les niveaux de prix. La chute du marché en 2008 a été due à la poursuite de la hausse des taux, mais aussi, voire surtout, à l’ampleur de la crise économique et financière.

Si la remontée des taux de crédit s’avérait très marquée et très rapide, une chute des ventes et une baisse des prix en résulteraient, mais un tel scénario semble assez peu probable.

Risque mesuré en France

Les prix immobiliers sont repartis à la hausse en 2010, après une phase de correction (2008-2009) courte et modérée. Les hausses de prix ont été très fortes sur certains segments. Faut-il s’inquiéter d’un risque de bulle immobilière ?

Rappelons la définition d’une bulle immobilière : il s’agit d’un emballement généralisé et autoentretenu des ventes, des prix et du crédit, avec un développement des prises de risque et des comportements spéculatifs ; les prix deviennent fortement surévalués, ne sont plus en rapport avec les « fondamentaux », et les comportements d’achat sont avant tout dictés par l’idée que les prix seront encore plus élevés demain qu’aujourd’hui et par la recherche de plus-values a court terme (une hausse éventuelle des taux d’intérêt ne joue pas dans ce cas une force de rappel car elle est compensée par les attentes de plus-value). Un point de rupture finit par apparaître.

Sur l’ensemble du marché français, on ne peut pas parler de signes avérés, ni de risque tangible de bulle immobilière. Pendant le boom de 1997-2007, les prix et le crédit n’ont pas connu un emballement excessif. La hausse des prix cumulée entre 1997 et 2007 a atteint 135% dans l’ancien et 80% dans le neuf (filière promoteurs) soit au total 120%. Ceci est très élevé, mais a été en bonne partie compensé par la baisse continue des taux de crédit. Les hausses de prix ont été beaucoup plus fortes ailleurs en Europe. Le taux d’endettement des ménages demeure à des niveaux acceptables. Les prises de risque sont restées mesurées, compte tenu des exigences des banques en matière de solvabilité des emprunteurs. Les comportements spéculatifs sont demeurés limités. Les prix étaient surévalués de 20% environ au point haut du cycle, fin 2007.

La hausse des prix de 2010 (9,5% dans l’ancien en France) a à peu près compensé la baisse des prix de 2008-2009, les prix ont retrouvé des niveaux proches du pic de la fin 2007 et sont encore surévalués, mais cette surévaluation reste relativement mesurée, d’environ 15%. Une stabilisation du marché, ou une correction en douceur, est attendue pour 2011-2012. On n’est donc pas a priori, sur l’ensemble du territoire, dans un schéma de bulle immobilière spéculative et de risque de retournement violent du marché.

Risque plus marqué à Paris

A Paris (mais également dans certains segments de l’Ile-de-France ou de quelques grandes villes de province), la situation est, en revanche, plus préoccupante et on peut parler d’un emballement excessif et d’une forme de bulle immobilière.

Pendant le boom de 1997-2007, la hausse des prix à Paris a été beaucoup plus forte, 180%, qu’en France (120%). Les prix ont baissé faiblement en 2009 (-4% sur un an fin 2009) et ont fortement rebondi en 2010, +17,5% sur un an. Depuis 1997, la hausse cumulée est de 220%. Les prix atteignent 7 330 €/m2 fin 2010 (Chambre des Notaires) et sont très clairement surévalués. On peut estimer cette surévaluation entre 35 et 40%.

Paris avait connu une bulle immobilière très marquée entre 1985 et 1991, avec des hausses de prix très fortes, des taux de crédit élevés, des prises de risques excessives, des anticipations erronées (en matière de loyers, inflation, revenus) et des comportements spéculatifs avérés, à travers notamment une forte présence des marchands de biens. Une correction sévère des prix s’en était suivie (-30% entre 1992 et 1996). L’emballement actuel n’est pas comparable et n’est pas assimilable à une bulle spéculative classique. Il s’explique plutôt par la conjonction de trois séries de facteurs :

  • D’abord, les fondamentaux favorables du marché immobilier français ;
  • Ensuite, les facteurs exceptionnels propres à l’année 2010 : un effet valeur refuge marqué ; l’arrêt programmé de certaines incitations fiscales ; des taux de crédit habitat à des plus bas historiques ; une offre assez faible;
  • Enfin et surtout, une série de spécificités du marché parisien : une taille assez réduite ; une forte attractivité (effets qualité et prestige); une demande étrangère forte, attirée notamment par les quartiers historiques et le fait que les prix sont moins élevés que dans d’autres capitales ; une quasi-absence d’offre de logements neufs, du fait d’une offre de foncier disponible quasi-nulle; un marché du logement saturé et des niveaux de loyers très élevés. Le facteur valeur refuge a probablement joué beaucoup plus nettement qu’en province : les investisseurs étaient attirés par les produits biens situés et de bonne qualité, nombreux à Paris. De plus, les vendeurs potentiels hésitaient à vendre, préférant garder un bien très demandé, appelé à se valoriser ; ils préféraient le louer, le taux de rendement locatif à Paris étant assez modéré, 3,5% environ en 2010, mais supérieur aux taux de rémunération des placements financiers.

D’où non pas un marché de spéculateurs, avec ventes nombreuses et rotation rapide, mais un marché de pénurie, avec des stocks très bas et un nombre élevé d’acheteurs potentiels pour chaque produit à vendre. Les prises de risque restent a priori limitées. Les hausses de prix constatées montrent tout de même des comportements en partie irrationnels : les acheteurs continuent à accepter des niveaux de prix clairement excessifs et à opérer des concessions marquées sur la qualité ou la taille du bien ; à titre d’exemple, un acheteur parisien « moyen » voulant acheter en 2010 un bien d’une qualité comparable à celle qu’il pouvait acquérir en 2003 devait réduire sa surface de près de 20 m2. Le profil des acquéreurs se déplace de plus en plus vers des ménages à revenus élevés.

Les éléments défavorables prévus en 2011 devraient jouer davantage à Paris qu’en régions : en particulier, face à des niveaux de prix très élevés, et très surévalués, une hausse des taux de crédit peut avoir un effet marqué, avec effet d’éviction d’une partie des acheteurs et freinage rapide des prix ; de plus, l’effet valeur refuge peut se retourner rapidement si les grands investisseurs retournent vers les marchés boursiers.

Toutefois, les fondamentaux favorables du marché immobilier français et les spécificités du marché parisien continueront à jouer. D’où le risque d’une surévaluation persistante des prix parisiens et d’un assainissement assez lent du marché.

Le niveau des taux d’intérêt de marché et des taux de crédit sera déterminant. S’ils montent lentement, le marché parisien restera tendu au premier semestre 2011 et pourrait ensuite freiner graduellement. S’ils rebondissent fortement, un ajustement significatif des ventes et des prix deviendra possible.

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