par Sandrine Boyadjian, Bénédicte Kukla, Axelle Lacan et Paola Montperrus-Veroni, économistes au Crédit Agricole
Après une performance médiocre au quatrième trimestre 2010 (+0,3% t/t), le PIB de la zone euro a repris des forces au premier trimestre 2011. Selon la première estimation du PIB publiée par Eurostat, l’activité a progressé de 0,8% t/t en zone euro.
Alors que les faiblesses de sa construction institutionnelle n’ont pas cessé de fragiliser son unité ces derniers mois, la zone euro affiche au premier trimestre 2011 une assez bonne santé, selon la première estimation du PIB fournie par Eurostat. Avec un taux de +0,8%, en nette accélération par rapport au dernier trimestre 2010 (+0,3%), le raffermissement de la croissance est partagé par huit des treize pays membres pour lesquels les chiffres sont rendus disponibles.
Parmi les grands pays, l’Allemagne joue le rôle de locomotive (+1,5%) et partage avec la France (+1,0%) la surprise d’une croissance bien plus soutenue qu’anticipé. Ce n’est pas le cas de l’Italie, qui s’installe dans sa position de lanterne rouge confirmant la stagnation du PIB (+0,1%) déjà connue fin 2010, alors que l’Espagne réussit à afficher un très modeste rebond (+0,3%). Tous les pays de l’ancienne zone mark enregistrent des taux de croissance plus qu’honorables et en accélération, tirés, entre autres, par le dynamisme allemand. C’est le cas des Pays-Bas (+0,9%), de la Belgique (+1%), de l’Autriche (+1%) et de la Slovaquie (+1%). Dans les pays de la périphérie, où prime l’austérité budgétaire, la situation est plus hétérogène. Si au Portugal le PIB confirme le repli connu fin 2010 (-0,7%), en Grèce le redressement de la croissance (+0,8%) intervient néanmoins après un repli fin 2010 davantage révisé à la baisse.
France : fort rebond de la croissance au 1er trimestre
Après une fin d’année décevante, en lien avec des facteurs temporaires (grèves, vague de froid), le mouvement attendu de correction à la hausse de la croissance a effectivement eu lieu en France au premier trimestre. Il a même dépassé les attentes. L’activité a progressé de 1% en rythme trimestriel (t/t), après 0,3% t/t au quatrième trimestre 2010. Les variations de stocks ont contribué très favorablement à la croissance (+0,7 point, après -0,3 point fin 2010) La consommation des ménages est restée robuste (+0,6% t /t). L’effet « prime à la casse » a, en effet, perduré, grâce aux livraisons de commandes d’automobiles, passées en fin d’année.
Enfin, l’investissement des entreprises a fortement accéléré (+1,9% t/t, après +0,8% t/t), notamment dans le secteur de l’information-communication.
Seul le commerce extérieur aura finalement pénalisé l’activité en ce début d’année. Les importations ont rebondi plus vivement que les exportations, qui affichent malgré tout une performance robuste (+1,4% t/t).
Ces résultats du premier trimestre, et notamment la consolidation de la demande domestique, sont sans conteste encourageants. Toutefois, l’avenir proche s’annonce comme moins dégagé pour la croissance française.
Les enquêtes de confiance publiées depuis mars témoignent d’un tassement de la conjoncture en France. Le mois d’avril a vu s’interrompre trois mois de hausse continue de l’indicateur synthétique de l’enquête INSEE dans l’industrie. Ce dernier s’est stabilisé, à 110. La confiance de ménages est quant à elle toujours bien en-deçà de sa moyenne de long terme (à 83, contre 100).
Au total, la progression de l’activité devrait largement ralentir ces prochains trimestres. Avec l’arrêt de certaines mesures de soutien, la remontée de l’inflation et le niveau élevé du taux de chômage, la consommation des ménages devrait ralentir. Les entreprises devraient quant à elles rester prudentes en matière d’investissements et de stocks, du fait de perspectives de débouchés intérieurs mitigées, du manque de visibilité à l’international, de la hausse des prix des matières premières et d’une amélioration encore fragile des profits. Enfin, du fait d’une offre insuffisamment compétitive, les exportations ne profitent pas pleinement de la bonne tenue de la croissance mondiale.
Au total, la croissance française devrait rester proche des 2 % en 2011, soit un peu plus que la moyenne de la zone euro.
Allemagne : la locomotive poursuit son chemin
En Allemagne, la première estimation du PIB pour le premier trimestre 2011 a surpris les anticipations les plus optimistes (+1,5%). Notre prévision (+0,8%) tablait déjà sur un rebond marqué après le ralentissement du quatrième trimestre, selon les indications de notre indicateur avancé et en ligne avec l’indicateur avancé du DIW (+0,9%). La fin 2010 avait été marquée par un repli de la production dans le bâtiment, suite à la rigueur hivernale et un contrecoup était attendu en début 2011. L’activité a été au rendez-vous. L’indice de la production dans l’industrie a progressé de +1,8% par rapport au dernier trimestre 2010. La production dans le bâtiment a plus que compensé le repli dû à la rigueur climatique de la fin 2010 (+15,7% t/t). Le chiffre d’affaires réalisé sur le marché allemand témoigne d’un raffermissement de la demande intérieure (+3,1%t/t), alors qu’un ralentissement de la demande étrangère se profile. Les commandes au secteur manufacturier ont augmenté de 2,3% t/t, malgré le repli du mois de mars, plus marqué pour celles en provenance de l’étranger. Les créations d’emploi toujours dynamiques et la poursuite de la baisse du taux de chômage (6,3% en mars) ne se sont pas encore traduites par un rebond marqué des dépenses des ménages et l’indice du commerce au détail a encore stagné en termes réels au premier trimestre (+0,2%).
Cette bonne performance sera difficilement reproductible, compte tenu du ralentissement du cycle de l’investissement international déjà confirmé par la baisse de la production en machines et équipement et en biens de transport (hors véhicules) au cours du trimestre. Les indicateurs qualitatifs ont atteint leur pic. Après le retournement de l’indice PMI composite au mois de février, les signaux d’un ralentissement de la croissance au deuxième trimestre 2011 se multiplient. L’indice ZEW pour l’économie allemande a interrompu en mars sa remontée sous les craintes d’accélération de l’inflation et d’un éventuel durcissement de la politique monétaire. L’indice Kfw des PME a aussi fléchi en avril. L’indice IFO du climat des affaires dans l’industrie et le commerce a signalé depuis le mois de mars un recul des anticipations s’accompagnant de perspectives d’embauche plus prudentes. L’indice composite demeure néanmoins à un niveau bien plus élevé que sa moyenne de long terme et sa dégradation reste compatible avec le simple ralentissement, sans cassure, du rythme de progression de l’activité au deuxième trimestre, inscrit dans nos prévisions.
Néanmoins, avec un acquis de croissance de +2,7%, les perspectives pour l’année se sont améliorées et le maintien de notre profil de prévision ramènerait le taux de croissance à +3,3% pour 2011.
Italie : lanterne rouge
En Italie, la première estimation du PIB pour le premier trimestre 2011, signale une stagnation de l’économie avec une croissance de +0,1% en deçà de notre prévision (+0,3%) pourtant déjà prudente. Le rebond attendu après le ralentissement enregistré au quatrième trimestre 2010 (+0,1%) n’a pas eu lieu. Les anticipations d’une reprise tirée par le raffermissement du cycle industriel mondial, qui avaient conduit à une reconstitution des stocks fin 2010, n’ont pas été validées. Ce résultat est en ligne avec l’évolution de la production industrielle au cours du trimestre, car son sursaut en février et mars a à peine compensé le repli enregistré en janvier se soldant par une croissance nulle (-0,1%t/t). Le chiffre d’affaires a été tout aussi atone en termes réels (+0,2%), signalant la fin du processus de restockage. Les ventes au détail ont aussi stagné sur les deux premiers mois de l’année.
Si les carnets des commandes se sont étoffés en février, notamment celles en provenance de l’étranger, les indicateurs qualitatifs ne suggèrent pas une embellie au deuxième trimestre. L’indice PMI a atteint un pic au mois de février, l’enquête auprès des entreprises de l’ISTAT indique une stabilisation du climat des affaires dans l’industrie depuis janvier à son point le plus haut depuis son rebond début 2009. Le taux d’utilisation des capacités a poursuivi sa remontée, mais reste sensiblement inférieur à sa moyenne de long terme. Le moral des consommateurs baisse depuis le début de l’année, tiré vers le bas par des anticipations sur la situation économique ayant atteint le creux connu en 2008 lors de l’éclatement de la crise financière. Après sa remontée à l’automne 2009, le taux de chômage s’est stabilisé à 8,3% en 2011, mais les consommateurs continuent d’anticiper une hausse du nombre des chômeurs, confirmée par la remontée des heures de chômage partiel pour cause de restructuration d’entreprise en février et mars.
Les premières informations sur le deuxième trimestre suggèrent une croissance toujours aussi atone à +0,1%, ce qui attribue à notre prévision (+0,2%) un risque baissier. L’acquis de croissance pour l’année en cours est un faible +0,5% et le maintien de notre profil prévisionnel implique un taux de croissance de +0,9% en 2011.
Espagne : légère accélération du PIB
Le PIB espagnol a progressé de 0,3% t/t au premier trimestre 2011 (après 0,2% au quatrième trimestre 2010), soit un résultat légèrement meilleur qu’attendu (0,1% pour le Crédit Agricole). En glissement annuel, le PIB a accéléré, passant de 0,6% au quatrième trimestre 2010 à 0,8% au premier trimestre 2011. Selon l’institut statistique national, cette progression de l’économie espagnole provient de la contribution de la demande étrangère. En effet, au vu des chiffres sur les deux premiers mois de l’année, les exportations et les importations auraient progressé à un rythme comparable à celui de la fin de l’année dernière, conduisant à une contribution du commerce extérieur proche de 0,6 pp au premier trimestre 2011 (après 0,7 pp au quatrième trimestre 2010). Le détail des comptes trimestriels ne sera disponible que dans un mois. En attendant, le comportement des ménages a fait face à l’austérité budgétaire, à l’accélération des prix de l’énergie et à la hausse du taux refi de la BCE. Compte tenu de la contraction des ventes de détail et du niveau record du chômage (21,3% de la population active), nous avons anticipé un recul de 0,3% t/t de la consommation des ménages au premier trimestre 2011 (après +0,3%). Mais nous ne pouvons pas exclure le fait que les ménages aient pu également continuer de puiser dans leur épargne (proche de 14% du revenu disponible) pour ne pas freiner sensiblement leurs dépenses de consommation dans cet environnement particulièrement difficile.
Pour le deuxième trimestre 2011, les résultats des enquêtes conjoncturelles suggèrent un repli de l’activité espagnole. Outre les mesures d’austérité budgétaires qui vont jouer à plein ce trimestre-ci, de nouveaux chocs vont grever davantage la croissance, en particulier la poursuite anticipée de la hausse du taux directeur de la BCE qui va contraindre encore plus le budget des ménages qui ont déjà beaucoup puisé dans leur épargne ces derniers trimestres. Pour l’ensemble de l’année 2011, nous maintenons notre prévision de croissance de 0,4% (après -0,1% en 2010).
Pays de la périphérie : la croissance grecque surprend à la hausse
Les résultats du PIB du premier trimestre dans les pays de la périphérie ont été mitigés. Au Portugal, le PIB a reculé de 0,7% t/t (contre -1,4% prévu), après -0,6% au quatrième trimestre 2010. Cette contraction de l’activité devrait se poursuivre tout au long de l’année 2011 sous le poids des sévères mesures d’austérité mis en place pour réduire la taille du déficit budgétaire. Le PIB pourrait ainsi reculer de 2% en 2011, comme l’a annoncé le gouvernement début mai.
En Grèce, malgré des données dures et des enquêtes en fort recul, le pays a enregistré son premier trimestre de croissance positive depuis fin 2009. En effet, le PIB grec a progressé de 0,8% sur le trimestre (contre une prévision de -0,5% t/t). Néanmoins, cette performance étonnante doit être relativisée, car l’institut grec des statistiques a fortement révisé les données passées, notamment le chiffre du PIB du quatrième trimestre 2010 (de -1,4% t/t à -2,8%). En glissement annuel, le PIB a tout de même reculé de 4,8% a/a au premier trimestre 2011 (après -7,4% au T4). Au total, cette remontée de l’activité nous semble plutôt un rebond technique après deux années de contraction.
Avec une poursuite, voire une accentuation, de l’assainissement budgétaire, la pression baissière sur la croissance grecque et portugaise restera donc forte.
Perspectives zone euro : attention à la marche !
La zone euro s’affranchit donc assez prodigieusement d’un taux de change cher, d’une austérité budgétaire déjà en place dans plusieurs des pays membres, exacerbée par des conditions d’accès au financement durcies par la sanction des marchés. Mais cette capacité de résilience sera mise davantage à l’épreuve dans le courant de l’année sous l’effet d’une dynamique inflationniste plus soutenue et du retournement progressif de l’orientation de la politique monétaire.
Le ton des indicateurs qualitatifs d’enquête est déjà donné pour le deuxième trimestre : en avril, le climat des affaires de la zone euro publié par la Commission européenne s’est replié pour la deuxième fois consécutive. Le moral des ménages a sensiblement reculé en raison de la persistance de pressions inflationnistes liées aux fortes hausses des coûts des intrants de ces dernières semaines. L’ensemble des pays de la périphérie a enregistré une inflexion du moral des agents. Ce retournement est confirmé par les enquêtes PMI.
Le point haut de l’activité aurait donc été atteint au premier trimestre 2011 ce qui conforte notre scénario prévisionnel prévoyant un ralentissement de la croissance du PIB au deuxième trimestre 2011 à +0,3%.
L’acquis de croissance au premier trimestre est néanmoins élevé (+1,4%) et le dynamisme de l’activité en début d’année relève automatiquement notre prévision à +1,9% en 2011.
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