par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
Le changement d'équilibre politique en Espagne, résultat des élections régionales du week-end, crée des incertitudes nouvelles sur l'économie espagnole et sur les marchés financiers. Les spreads se sont écartés en raison d'une incertitude supplémentaire. Est-ce simplement un ajustement temporaire ou le processus est il plus complexe ?
On peut évoquer 5 points importants pour comprendre les enjeux espagnols au cours des prochains mois
1 – Le Parti Socialiste (PSOE) a perdu les élections au bénéficie du Parti Populaire (PP). Le PSOE mène toujours le gouvernement central espagnol mais les régions sont désormais très majoritairement menées par le PP ou des partis régionaux. Seules deux régions sur 17 sont encore tenues par le PSOE. L'Andalousie qui représente près de 18 % de la population, région la plus peuplée d'Espagne, ne votait pas ce week-end et est donc restée aux mains du PSOE (c'est aussi la région avec le taux de chômage le plus élevé). L'équilibre entre le centre et les régions est altéré.
2 – Au sein de l'économie espagnole, les échelons locaux sont très importants. Dans la gestion des finances publiques, il faut bien distinguer entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux. Entre 2009 et 2010, le déficit public est passé de 11.1 % du PIB à 9.2 %. Ce mouvement reflète deux situations très différentes puisque le gouvernement central a réduit son déficit de 9.3 % à 5 % alors que les régions ont accru le leur de 2 % en 2009 à 3.4 %. Les profils ne sont pas les mêmes et cette divergence sera maintenue en 2011 puisque le gouvernement central devrait réduire son déficit à 2.3 % alors que les soldes régionaux resteraient négatifs d'environ 3.3 %. Une question posée est, à la lumière de situation de la Catalogne l'an dernier, de savoir si les comptes régionaux sont fiables. Après les élections catalanes, les comptes avaient été révisés faisant apparaître un déficit plus important.
3 – Les banques régionales (cajas) sont en phase de restructuration. La particularité à mettre en avant après ses élections est que ces banques et leurs dirigeants ont un ancrage régional fort. La restructuration bancaire pourrait ainsi être affectée.
4 – D'une manière plus générale, l'économie espagnole tarde à retrouver une dynamique de croissance robuste et durable. L'Espagne a connu une croissance de 3.4 % entre 2000 et 2007 mais son modèle, basé à l'époque sur l'immobilier et le crédit, ne fonctionne plus. Les excès se corrigent et l'Espagne doit trouver de nouveaux repères et de nouvelles sources durables de croissance.
Pour l'instant, l'économie espagnole est en phase de transition. La progression de son activité est réduite, de l'ordre de 0.8 % l'an sur un an à la fin du 1er trimestre 2011 et uniquement en raison de la hausse des exportations. La dynamique interne reste médiocre même si l'on constate une stabilisation de l'investissement productif (mais quasiment 30 % en dessous du niveau du 1er semestre 2008). Cette expansion très lente et en opposition avec ce qui était observé avant 2008 se traduit par la progression rapide du chômage. A la fin du mois de mars 2011, le taux de chômage est de 20.7 %. Toutes les catégories sont touchées.
5 – Les manifestations récentes ont mis en avant le chômage des jeunes. Sur ce point, deux aspects doivent être observés. Effectivement le taux de chômage des jeunes est passé de 15 % à la fin 2007 pour les 21-24 ans à 41 % au 1er trimestre 2011 (c'est 41 % des jeunes de 21-24 % qui ont un emploi ou en recherche un. Ce n'est pas toute la tranche d'âge comprenant notamment les étudiants). L'autre remarque est que ce ne sont pas les jeunes qui ont été les plus touchés par la hausse du chômage. La part des moins de 25 ans dans l'ensemble des chômeurs baisse tendanciellement. Elle était de 15-16 % en 2001, elle est voisine de 11 % aujourd'hui. Cela signifie que les autres classes d'âge ont davantage souffert de la crise. Cette situation de la jeunesse pourrait fragiliser la société espagnole.
6 – Cette question de l'emploi fait ressortir celle de l'équilibre de la sécurité sociale. Ces comptes étaient excédentaires depuis 2000. Ils sont devenus négatifs en 2010. Ils sont passés de +1.3 % en 2007 à -0.2 % en 2010 (en % du PIB). L'absence de reprise forte du marché du travail va pénaliser ce compte, provoquant certainement des ajustements sur son mode de fonctionnement et de prise en charge (retardant aussi l'ajustement global des finances publiques).
7 – Les élections générales auront lieu en mars 2012. Le PP voudra certainement accentuer son résultat des élections régionales. Ce souhait sera d'autant plus fort que le premier ministre sortant, Jose Luis Zapatero, a annoncé qu'il ne se représenterait pas. Aucun des deux partis (PSOE et PP) n'a appelé à des élections anticipées.
La situation est complexe car la dynamique de la croissance ne va pas changer spontanément. Cela signifie que des efforts continus devront être mis en œuvre pour réduire les déséquilibres budgétaires et tendre vers la stabilisation de l'endettement public. Le gouvernement central reste sur ses engagements de réduction de son déficit. Il pourrait ne pas en être de même du coté des gouvernements régionaux. Car compte tenu du nouvel équilibre politique, quelle sera la meilleure stratégie de conquête du pouvoir par le PP. L'austérité de José Luis Zapatero n'a pas plu. Si les représentants du PP adoptent la même attitude restrictive ils risquent de réduire leur chance d'élection et de prise de pouvoir en mars 2012.
La macroéconomie ne permet pas de gommer les difficultés que provoque l'opposition politique entre le centre et les régions. Il faut vite que chacun s'engage pour réduire l'incertitude et définir l'orientation qui sera mise en œuvre sous peine de fragiliser la dette espagnole sur les marchés financiers et par contagion l'ensemble de la zone Euro.