La BCE accommodante, mais pas trop

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

  • La BCE a laissé entendre, à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs du mois de juin, qu’elle relèverait prochainement ses taux directeurs : +25 points de base très probablement dès juillet.
  • Les tensions inflationnistes perdurent et le cycle de resserrement se poursuit, mais à un rythme modéré.
  • Les pays « périphériques » reste fragiles, et leurs banques tributaires de la liquidité de la BCE.
  • Si la BCE a suspendu son Programme d’achats d’obligations d’Etat, elle a décidé de maintenir ses mesures non conventionnelles. Les opérations de refinancement continueront d'être entièrement servies au moins jusqu'à la fin du troisième trimestre 2011.

 

Lors de la réunion du mois de juin, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de laisser inchangé son taux d'intérêt directeur, mais indiqué qu'un relèvement devrait intervenir d'ici à un mois. Le communiqué publié à l'issue des deux jours de réunion contenait l'expression « forte vigilance » qui, par le passé, avait annoncé une hausse de taux dans un délai d'un mois. Le taux de refinancement devrait, par conséquent, être porté à 1,5 % en juillet.

Le cycle de resserrement se poursuit.

Le cycle de resserrement devrait donc se poursuivre. Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a insisté sur le fait que les risques pesant sur la stabilité des prix sont orientés à la hausse. La BCE a révisé en hausse ses projections d'inflation pour cette année, laissant inchangées celles pour 2012. Si l'inflation a fléchi en mai (passant de 2,8 % à 2,7 %) c’est de manière temporaire (en raison de la date tardive de Pâques). La tendance haussière devrait reprendre, à un rythme certes plus modéré, au cours des prochains mois. Les entreprises continuent de répercuter les augmentations passées des cours des matières premières sur les prix de vente finals. D'autres mesures des tensions sous-jacentes sur les prix, comme la moyenne tronquée qui exclut les composantes les plus et les moins volatiles de l'IPCH chaque mois, et qui par le passé s'est révélée être un bon indicateur avancé des mesures traditionnelles de l'inflation sous-jacente, sont orientées à la hausse. Enfin, la croissance de l'activité mondiale, bien que moins soutenue, continuera à maintenir les cours du pétrole à des niveaux plutôt élevés. L'inflation totale va donc croître dans les prochains mois et pourrait atteindre, voire dépasser, la barre des 3 %.

D'autres indicateurs, comme la réduction de l’output gap (l’écart de la production à son potentiel), confirment que les tensions sur les prix s'accumulent.

Il convient, néanmoins, de signaler que la diminution de l'écart de production est imputable à deux raisons. D’abord, la reprise dans la zone euro s'est renforcée, notamment durant le premier trimestre 2011(+ 0,8 % t/t, contre 0,3 % t/t le trimestre précédent), alimentée par les investissements et les exportations. La consommation privée, freinée par une situation toujours difficile sur le marché du travail et les mesures d'assainissement budgétaire, a progressé, en revanche, à un rythme beaucoup moins soutenu. La BCE a également révisé en hausse ses prévisions de croissance pour cette année. Ensuite, la production potentielle a probablement diminué après la crise, qui a entamé le stock de capital et accru le niveau du chômage structurel. La Commission européenne et la BCE prévoient un taux de croissance potentielle du PIB de l'ordre de 1 à 1,2 %, contre près de 2 % avant la crise.

… mais à un rythme modéré

La conjoncture en zone euro masque des différences profondes. Les grands pays, surtout l'Allemagne, s'en sortent plutôt bien. Outre Rhin, l'activité a renoué avec son niveau d'avant la crise. Mais l’économie des pays « périphériques » (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne) tarde, elle, à redémarrer, lorsqu’elle ne se contracte pas toujours. Ces divergences continueront d'être un problème pour la mise en œuvre de la politique monétaire unique. Elles l’affecteront sur deux plans : le rythme auquel les taux vont remonter, et le retrait des mesures non conventionnelles.

S'agissant du premier point, la BCE devrait continuer à relever les taux d'intérêt tous les trois mois, contre tous les deux mois lors des cycle précédents et s’arrêter plus tôt (nous prévoyons un maximum de 2,50% pour le refi qui serait atteint mi 2012). Si le dosage est plus prudent, c’est que les économies les plus fragiles y sont très sensibles.

L'Espagne et le Portugal, par exemple, figurent parmi les pays les plus menacés par le cycle de resserrement monétaire de la BCE, car presque tous les prêts hypothécaires sont à taux variables et indexés sur les taux de l'Euribor. Le revenu disponible des ménages espagnols est bien plus sensible aux fluctuations de l'Euribor que la moyenne de la zone euro.

Fin du SMP ?

En mai 2010, lorsque les tensions se sont intensifiées sur les marchés de la dette souveraine et que la BCE a lancé son Programme pour les marchés de titres (SMP), les taux d'intérêt sur les émissions de dette souveraine étaient inférieurs aux niveaux d'aujourd'hui. Ce qui laisse à penser que le SMP devrait être élargi. La BCE a, toutefois, de facto mis un terme au programme aux alentours de 75 MdEUR. La Banque est intervenue sur les marchés pour la dernière fois en mars 2011. De cette façon, elle accentue la pression sur les gouvernements pour qu'ils trouvent une solution à la crise de la dette. A eux de réduire leurs déficits budgétaires, la BCE n’ayant pas vocation à les financer.

Dans un certain sens, cette stratégie porte ses fruits. Les responsables de l'UE se rapprochent d'un accord au sujet d'une rallonge financière pour la Grèce, qui permettra au pays de faire face à ses besoins de financement jusqu'à la mi-2014. Etant donné que le SMP est source de divisions au sein du Conseil des gouverneurs, il est très peu probable que la surface financière du programme soit augmentée.

D’une manière générale, le processus de transmission de la politique monétaire par le canal des taux d'intérêt ne fonctionne pas correctement. En situation normale, le processus de transmission passe par la courbe des taux et affecte les coûts de financement des Etats, des entreprises et des ménages. Avant la crise financière, la corrélation entre les rendements à deux ans dans tous les pays (où les risques de crédit ne jouent pas un rôle crucial) et les taux directeurs était plutôt forte. Il existe toujours une corrélation étroite entre les rendements des obligations d'Etat à deux ans de la France et de l'Allemagne et le taux de refinancement. Cela n'est cependant plus le cas pour les pays qui sont davantage affectés par la crise de la dette souveraine. Les coûts de financement de ces économies sont, par conséquent, bien plus élevés compte tenu la nervosité des marchés en ce qui concerne leur situation budgétaire. La situation est également plus difficile pour l'Italie et l'Espagne.

Maintien des mesures non conventionnelles

La BCE continuera, néanmoins, de soutenir les économies périphériques à travers ses mesures de prêts non conventionnelles. Lors de la réunion du mois de juin, la Banque a décidé que ses opérations de refinancement seraient entièrement servies jusqu'à la fin du T3 au moins. Plus de 60 % des liquidités mises à disposition par la BCE sont allouées à la Grèce, au Portugal, à l'Espagne et à l'Irlande, alors que ces économies ne représentent que 16 % du PIB de la zone euro.

Les banques portugaises, grecques, irlandaises restent tributaires de la liquidité de la BCE. Leur difficulté croissante à se financer sur les marchés se répercute localement dans le coût du crédit à l’économie. Les taux d'intérêt des prêts bancaires en zone euro ont logiquement commencé d’augmenter à partir de mars 2011 (première hausse du « refi »). Mais la situation est différente dans les pays périphériques où les taux des prêts bancaires ont commencé à augmenter plus tôt et à un rythme plus soutenu, ce qui signifie que les coûts de financement pour ces économies ont progressé plus rapidement que ce que l'on aurait pu prévoir au vu des taux directeurs.

En résumé, la BCE va user avec parcimonie de l’arme des taux directeurs, pour maintenir l'inflation en ligne avec son objectif de stabilité des prix. Elle va aussi continuer de prêter durant les trois prochains mois sans limite de montant. Une position médiane que J. C. Trichet résume ainsi : « quel que soit le taux d'intérêt, le marché monétaire doit fonctionner. »

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