par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Le retour de l’inflation est devenu l’un des thèmes dominants de l’actualité économique ces derniers mois. Dans les pays émergents, l’inflation augmente sensiblement dans la plupart des pays, sous l’effet du choc matières premières mais aussi, dans certains cas, en raison de tensions domestiques. Les banques centrales ont commencé depuis déjà quelques trimestres à resserrer leur politique monétaire. Dans les pays développés, en particulier aux Etats-Unis et dans la zone euro, l’inflation a également sensiblement progressé mais reste cependant à des niveaux encore considérés comme raisonnables.
Plus important, la hausse récente est toujours jugée par les banques centrales comme transitoire, impliquant une absence de réaction de la part de la Réserve Fédérale alors que la BCE préfère ancrer sa crédibilité en agissant selon nous de façon trop précoce.
Les dernières statistiques d’inflation publiées en zone euro et aux Etats-Unis ont été mitigées : en Europe, l’inflation recule légèrement à 2,7% en mai (après 2,8% en avril) avec toujours des écarts importants en fonction des pays, l’Irlande enregistrant un taux d’inflation de seulement 1,2% alors que l’inflation au Portugal et en Espagne se situe à 3,7% et 3,4% respectivement. L’inflation française reste sensiblement inférieure à l’inflation de la zone euro à 2,2% (pour l’IPCH) et nous continuons de penser, contrairement à ce qui est anticipé par le marché, que l’écart d’inflation entre la zone euro et la France va rester positif à horizon 18 mois1, en raison principalement de la différence d’évolution des coûts salariaux unitaires (plus élevés en zone euro qu’en France). Aux Etats-Unis, l’inflation est restée sur sa tendance haussière en mai, atteignant 3,6% (après 3,2% en avril) mais cette forte progression est à nuancer quelque peu en raison d’effets de base (les prix ayant baissé en mai 2010).
Aux Etats-Unis, comme en zone euro, les pics d’inflation devraient être atteints au début de l’été (juin-juillet) à respectivement 3,9% et 2,9%, l’inflation refluant ensuite au cours du second semestre 2011. La baisse de l’inflation attendue est liée à la stabilisation du prix de l’énergie que nous incorporons dans nos prévisions. L’inflation reviendrait vers 2% au premier semestre 2012, avec cette fois des effets de base « positifs », les fortes hausses de prix du printemps 2011 étant progressivement gommées des taux d’inflation.
Outre l’évolution de l’inflation totale, qui est certes la plus importante pour appréhender l’effet sur le pouvoir d’achat des ménages, la tendance de l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) nous semble la plus pertinente pour mesurer l’ampleur des tensions inflationnistes domestiques. Or, l’évolution des inflations sous-jacentes en zone euro comme aux Etats- Unis ces derniers mois mérite d’être soulignée : en effet, après un point bas respectivement en mai 2010 à 0,8% en zone euro et en octobre 2010 à 0,6% aux Etats-Unis, l’inflation sous-jacente a sensiblement progressé, surtout au cours des derniers mois, reflétant en autres la transmission de la hausse des prix de production dans les prix des produits finis (« pass through »). Elle a atteint 1,7% en zone euro et 1,5% aux Etats-Unis au mois de mai et elle devrait continuer à progresser dans les mois qui viennent. Pour autant nous anticipons un maintien sous 2%, en l’absence d’effet de second tour via les salaires en raison de l’ampleur des surcapacités productives. Le retour de l’inflation sous-jacente américaine dans la zone de confort de la Fed (1,5%) n’est pas anodin car il pourrait ranimer le débat au sein de la Fed entre ceux qui pensent qu’il y a un risque inflationniste (certains présidents de Fed régionales) et d’autres qui sont beaucoup plus inquiets sur les perspectives de croissance (Bernanke, Yellen, Dudley).
Plus structurellement, certains facteurs à l’origine de la forte désinflation qui a caractérisé les vingt cinq dernières années pourraient disparaître dans les années qui viennent. Ainsi, la période de désinflation des produits pourrait bien arriver à son terme avec des prix de matières premières restant plus élevés et surtout avec le rattrapage progressif des salaires dans un certain nombre de pays émergents. L’ampleur des dettes accumulées peut également sembler un argument en faveur d’un taux d’inflation plus élevé dans la décennie à venir. Nous sommes cependant assez sceptiques sur la capacité de la BCE à accepter durablement un taux d’inflation supérieur à sa cible et la Réserve Fédérale, même si elle est clairement moins orthodoxe que la BCE étant donné la dualité de son mandat, ne nous semble pas non plus encline à tolérer une inflation plus importante de façon pérenne.
NOTES
- SR n°60 « L’écart d’inflation zone Euro / France au plus haut depuis dix ans : causes et perspectives d’évolution »