Taux longs : quelle rationalité aux niveaux actuels

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis début avril, les taux longs (10 ans) américains et des pays core de la zone euro sont revenus sur une tendance baissière, repassant sous les 3% pour atteindre le 23 juin 2,91% aux Etats-Unis et 2,87% en Allemagne contre des niveaux de respectivement 3,58% et 3,49% début avril.

Ce mouvement de baisse a plusieurs origines :

  • d’une part, l’affaiblissement des primes « inflation » contenues dans les taux longs, en raison principalement de la correction du prix du pétrole depuis début mai. En effet ce dernier est passé d’un pic à 126$ le baril début mai à 107$ actuellement. En corollaire, les points-mort d’inflation sont passés de 2,4% à 1,9% sur les swaps 10 ans européens expliquant près de la moitié de la baisse des taux longs.
  • d’autre part, la montée de l’aversion pour le risque. Cette dernière est très visible dans les indices de perception du risque qui ont sensiblement progressé ces dernières semaines1 et plus marginalement dans la remontée du VIX. Elle implique des mouvements de « flight to quality » dont bénéficient les taux souverains AAA. Le retour de l’aversion pour le risque s’explique par les craintes sur la croissance mondiale avec la chute d’un certain nombre d’indicateurs mais également par l’intensification de la crise des dettes souveraines européennes.

Si ce mouvement de fuite vers la qualité est susceptible de s’intensifier à court-terme, nous pensons que les taux longs risquent fort de repartir à la hausse au cours du second semestre.

En zone euro, l’issue à la crise actuelle, qui nous semble la moins douloureuse et qui fait appel à la solidarité européenne implique qu’une partie de la charge sera financée par les pays core. Or le corollaire de la mutualisation des risques est une dégradation des conditions de financement des pays core par rapport à la situation actuelle, les investisseurs demandant une prime de risque plus importante compte tenu du risque accru porté par les pays. Les taux longs devraient donc revenir sur une tendance haussière lorsque les marchés auront intégré ce facteur.

Aux Etats-Unis, la baisse du taux 10 ans a été concomitante à la mise sous surveillance de la dette fédérale par les agences de notation, ce qui peut paraître paradoxal. En effet, alors que le déficit public va avoisiner 10% en 2011 et que la dette publique (fédérale détenue par le public) a quasiment doublé entre 2007 et 2011 (pour atteindre 74% en 2012), les taux 10 ans sont inférieurs à 3% ! Outre les facteurs mentionnés plus haut, ce phénomène s’explique également par la monétisation de la dette publique opérée par la Réserve Fédérale américaine. Celle-ci a acheté 728Md$ de titres du Trésor depuis novembre dernier dont 244Md$ depuis début avril 2011. Or le programme d’achats de la Fed (Quantitative Easing 2) se termine à la fin du mois de juin ce qui implique que d’autres acteurs devront absorber le déficit public. Il est loin d’être sûr qu’ils acceptent une rémunération si faible sur un pays dont les perspectives sont assez dégradées : croissance en-deçà du potentiel, proche de 2 1⁄4% ; marché immobilier encore déprimé ; difficultés politiques avec un Congrès divisé ; nécessité de réduire le déficit public. Au total donc, les taux longs américains sont également appelés à augmenter dans les mois qui viennent.

Si nous pensons que les taux longs vont être orientés à la hausse, des facteurs plaident cependant pour une progression modérée : d’une part, les anticipations d’inflation devraient rester bien ancrées que ce soit aux Etats-Unis ou dans la zone euro, grâce à la crédibilité des banques centrales mais aussi grâce à un retour de l’inflation vers 2%, aidant à maintenir la prime inflation incorporée dans les taux longs à un niveau raisonnable. Par ailleurs, la faiblesse de la croissance des deux côtés de l’Atlantique suggère que les banques centrales ne devraient pas sur-réagir. Les politiques monétaires resteront accommodantes en dépit du mouvement haussier sur les taux courts (à court-terme pour la zone euro ; plus tardivement pour la Fed).

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