par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis
Les politiques monétaires, en devenant plus expansionnistes, peuvent franchir plusieurs étapes :
- baisse des taux d’intérêt directeurs, éventuellement jusqu’à 0 % ;
- croissance rapide de la base monétaire par injection de liquidités dans les comptes des banques, en échange de l’achat (de la prise en pension) d’une liste large d’actifs ;
- prêts directs à l’économie, sans passer par l’intermédiaire des banques.
Cette troisième procédure peut être utilisée lorsque les banques n’utilisent pas la liquidité disponible pour prêter : le crédit bancaire n’est plus alors le canal de transmission de la politique monétaire. Mais, dans les circonstances présentes, améliorerait-elle vraiment l’efficacité de la politique monétaire ?
Dans les récessions, ou en période de crise, la politique monétaire peut passer à des modalités de plus en plus expansionnistes :
- baisse des taux directeurs ;
- élargissement de la liste des actifs achetés ou pris en pension par les Banques Centrales, de manière à accroître rapidement la liquidité bancaire (la base monétaire).
Mais ces pratiques monétaires traditionnelles utilisent les banques et le crédit bancaire comme canal de transmission de la politique monétaire : la baisse des taux directeurs et l’accroissement de la liquidité bancaire conduisent normalement à une hausse de l’offre de crédit, à une baisse des taux d’intérêt sur les crédits pour un volume donné de crédit.
Les deux instruments mentionnés ci-dessus de la politique monétaire (taux d’intérêt directeur, offre de monnaie de banque centrale) ne donnent qu’un seul degré de liberté à la politique monétaire, contrairement à ce qu’on entend parfois : le taux d’intérêt sur le marché interbancaire est le taux d’intérêt d’équilibre entre l’offre et la demande de monnaie de banque centrale ; pour réduire ce taux d’intérêt, il faut accroître l’offre de monnaie de banque centrale.
On observe aujourd’hui que ces techniques normales de la politique monétaire sont inefficaces : le crédit bancaire ralentit aussi bien aux Etats-Unis que dans la zone euro ; les banques constituent des réserves excédentaires, c’est-à-dire redéposent à la banque centrale la liquidité reçue par les opérations de politique monétaire, au lieu de l’utiliser pour prêter, pour acheter des actifs…
Cette disparition du canal normal de transmission de la politique monétaire vient à la fois :
- de la demande de crédit, avec le besoin de désendettement du secteur privé ; si les agents économiques privés veulent se désendetter, des taux d’intérêt plus bas ne les conduisent pas à emprunter davantage :
- de l’offre de crédit : les banques, pour augmenter leur profitabilité et tenir compte du risque accru ont augmenté les marges de taux d’intérêt (les primes de risque) sur les crédits.
Si les impulsions de la politique monétaire ne sont plus retransmises à l’économie par les banques, alors les Banques Centrales peuvent décider de prêter elles-mêmes à l’économie. C'est ce que fait aujourd’hui la Réserve Fédérale, qui, par exemple, a un programme d’achat de Commercial Paper, la demande pour ces titres s’étant effondrée, qui achète des titres liés aux crédits immobiliers.
Est-ce utile que les Banques Centrales prêtent à des « non- banques » ?
Si l’absence de redémarrage du crédit est due à la faiblesse de l’offre de crédit, au comportement des banques, la réponse est positive ; mais si elle est due à la faiblesse de la demande de crédit, cette pratique « non-conventionnelle » des Banques Centrales est vraiment inutile.
Quelle devrait-être l’attitude de la BCE sur ce point ?
Les enquêtes montrent qu’il y a probablement à la fois baisse de la demande et de l’offre de crédit (graphiques 7a-b), avec une forte baisse de la demande pour les crédits immobiliers, et une forte baisse de l’offre pour les crédits aux entreprises (mais pour lesquels il y a aussi baisse de la demande).
Prêter directement aux entreprises peut donc avoir un sens.