par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas
Le pays se rétablit plus rapidement que prévu du « grand tremblement de terre du Japon oriental ». Le PIB se serait toutefois contracté de près de 0,5 % au T2. La forte chute de l’activité a décidé la Banque centrale à assouplir sa politique monétaire. Le gouvernement a annoncé un premier plan de reconstruction de 4 000 mds de yens (soit 0,8 % du PIB). Le coût total de l’effort de reconstruction est estimé à 13 000 mds de yens. Entre le T3 2011 et le T4 2012, le PIB devrait croître à un rythme supérieur au potentiel de croissance. Les problèmes de la centrale de Fukushima Daiichi et des autres centrales nucléaires constituent le principal risque intérieur.
La reconstruction en avance sur le calendrier
Le pays se rétablit plus rapidement que prévu du « grand tremblement du terre du Japon oriental ». La catastrophe, qui a probablement fait plus de 20 000 morts et laissé plus de 150 000 personnes sans toit, est la plus coûteuse jamais enregistrée. De plus, le tsunami a provoqué plusieurs accidents nucléaires, en particulier celui de la centrale de Fukushima Daiichi, où trois réacteurs ont fondu.
Après la catastrophe, de nombreuses usines situées dans les régions du Tohoku et du Kanto ont cessé de produire en raison des dommages subis par les constructions ou les installations. De plus, la production a été sérieusement entravée par les coupures d’électricité périodiques. Enfin, les chaînes d’approvisionnement ont été gravement perturbées, ce qui s’est traduit par une pénurie de pièces détachées, non seulement au Japon mais aussi dans le reste du monde. La production industrielle a baissé de 15,5 % en mars, avant de se redresser en avril (+1,6 %) et en mai (+5,7%).
Un facteur important a été le rétablissement d’un approvisionnement régulier en électricité dans les régions du Kanto et du Tohoku début avril. Grâce à la mise en œuvre d’un plan d’économies d’énergie volontaires, la demande d’électricité a baissé de 10 % à 15 % par rapport à l’an dernier. Fin juin, la capacité de production maximale de TEPCO s’élevait à 47,8 GW, un niveau largement suffisant pour faire face au pic de demande, estimé à 42 GW environ.
L’enquête conduite début avril par METI montrait qu’à cette date plus de 60 % de l’outil industriel des zones affectées avaient été remis en état, et qu’il était prévu que 30 % supplémentaires le soient d’ici l’été. Depuis, de nombreuses entreprises ont annoncé que les travaux de restauration étaient largement en avance sur le calendrier prévu.
Les effets de la catastrophe se font aussi sentir au-delà du secteur manufacturier. Le désastre a provoqué un mouvement d’auto-restriction volontaire (jishuku). Les entreprises ont annulé certaines manifestations et les ménages ont montré une certaine réticence à consommer. En raison des coupures d’électricité, les salariés ont dû raccourcir leurs journées de travail pour attraper le dernier train. Les commerces de détail et les restaurants ont enregistré une baisse de la demande particulièrement forte. Dans le secteur des services, l’activité s’est progressivement normalisée. En avril, l’indice du secteur tertiaire a rebondi de 2,6 % après avoir chuté de 5,9 % en mars.
Néanmoins, le PIB s’est probablement contracté de près de 0,5 % au T2 (ce qui constituerait la troisième contraction trimestrielle consécutive), alors que le trimestre a démarré sur une base très faible. Une contraction plus prononcée de la consommation privée est attendue, qui serait partiellement compensée par la hausse des dépenses publiques (soutien aux victimes du tremblement de terre et opérations de nettoyage). Les statistiques du commerce extérieur signalent une forte contraction des exportations, en raison de la baisse de la production.
Les conflits politiques ralentissent la reconstruction
La chute brutale de l’activité a multiplié les appels en faveur d’un assouplissement de la politique monétaire de la Banque du Japon. La Banque centrale a accru son programme d’achat d’actifs de 5000 mds de yens immédiatement après le tremblement de terre, mais elle a résisté aux voix lui recommandant d’aller plus loin encore dans cette voie, craignant d’alimenter l’inflation dans une économie soumise à des contraintes d’offre.
La Banque du Japon a pris deux mesures supplémentaires visant à renforcer l’économie, du côté de l’offre. En premier lieu, elle a annoncé la mise en place d’un dispositif spécial visant à soutenir les institutions financières actives dans les zones touchées par la catastrophe, en leur procurant des fonds sous forme de prêts à un an au taux de 1 %. L’enveloppe totale de ces prêts est limitée à 1 000 mds de yens. L’objectif est d’encourager l’octroi de crédits dans ces zones, lorsque la reconstruction démarrera. En second lieu, la Banque offre aux institutions financières une nouvelle ligne de crédit destinée à encourager l’octroi de prêts aux entreprises les plus prometteuses, en vue d’améliorer le potentiel de croissance de l’économie. Les institutions financières sont responsables de la sélection des projets éligibles. L’efficacité du programme est toutefois incertaine, compte tenu de la difficulté à identifier les futurs champions.
L’inaction du gouvernement a été très critiquée. Le premier plan de reconstruction, d’un montant de 4 000 mds de yens (0,8 % du PIB), n’a été adopté qu’en mai. Il sera essentiellement financé par l’utilisation de réserves prévues au budget 2011 et d’une contribution de 2 500 mds de yens initialement destinée au régime général des retraites.
De nouveaux plans de reconstruction pourraient suivre. Nous estimons que le coût total de l’effort de reconstruction au cours de la période 2011-2013 s’élèvera à 13 000 mds de yens environ (soit 2,6% du PIB). En juin, dans un moment exceptionnel de consensus politique, la Chambre haute, contrôlée par l’opposition, a adopté la loi de reconstruction à 236 voix contre 219.
La loi prévoit la création d’une agence pour la reconstruction et l’émission de bons pour la reconstruction, dont le remboursement pose toutefois un problème majeur.
Pour élargir sa base politique, le Premier ministre Naoto Kan a nommé ministre de l’Économie et du Budget Kaoru Yosano, auparavant une figure de proue du Parti Libéral Démocrate (PLD, dans l’opposition). M. Yosano est favorable à un doublement progressif de la taxe de 5 % sur la consommation d’ici à 2015. Le projet rencontre toutefois l’opposition du PLD et suscite également la division au sein du parti de Noato Kan (le Parti Démocrate du Japon). Début juin, M. Kan n’a pu échapper à une motion de censure qu’en promettant de quitter le pouvoir à une date, toutefois, non précisée.
Les coupures d’électricité pèsent sur la croissance
Le rythme de la reprise dépendra d’abord du délai nécessaire pour lever les différentes contraintes qui pèsent sur l’offre. Les constructeurs automobiles ont déjà annoncé que l’essentiel des chaînes de production seront rétablies à la fin du T2. La production industrielle pourrait retrouver son niveau d’avant la catastrophe dès le T3. Le problème de l’approvisionnement en électricité est, toutefois, loin d’être résolu.
Dans le Kanto et le Tohoku, les coupures d’électricité pourraient limiter l’activité économique au cours de l’été, lorsque la demande d’électricité atteindra un pic. De plus, les problèmes d’approvisionnement en énergie s’étendent également à l’ouest du pays. Le gouvernement a demandé à Chubu Electric Power d’arrêter définitivement sa centrale nucléaire en raison du risque élevé de tremblements de terre. Actuellement, 37 des 54 réacteurs nucléaires du Japon sont à l’arrêt, dont 16 font l’objet d’inspections obligatoires de trois mois. Les autorités locales étant réticentes à autoriser le redémarrage des réacteurs, la totalité du parc nucléaire japonais pourrait être arrêtée l’an prochain.
Entre le T3 2011 et le T3 2012, le PIB devrait croître à un rythme bien supérieur au potentiel de croissance. La croissance est tirée par l’effort de reconstruction. La forte demande de matériaux de construction dans la zone de Tohoku pourrait même ralentir l’activité du secteur de la construction dans d’autres régions du pays. De plus, les exportations vont commencer à se redresser, les chaînes d’approvisionnement fonctionnant à nouveau. Les entreprises japonaises pourraient réaliser des gains de compétitivité au cours de la période de prévision en continuant à contrôler leurs coûts et en bénéficiant en 2012 d’une légère dépréciation du yen vis-à-vis du dollar. Il est, toutefois, improbable que les exportations retrouvent leur niveau tendanciel d’avant la catastrophe, certains industriels japonais pouvant avoir relocalisé leur production sur d’autres sites et les clients étrangers s’être tournés vers d’autres fournisseurs.
Le redressement des exportations et de la production ne va pas améliorer l’emploi de manière significative, compte tenu des sureffectifs. Le chômage devrait, toutefois, être orienté à la baisse, en raison du départ à la retraite des baby- boomers nés après la Seconde Guerre mondiale. Les revenus pourraient se redresser grâce à la hausse des heures supplémentaires et des primes, ce qui permettra à la consommation privée de se relever progressivement. Les investissements des entreprises pourraient ne redémarrer que modérément, en raison de la forte chute des bénéfices et de l’impact de la hausse des prix des matières premières. De plus, avant même la catastrophe, de nombreuses sociétés envisageaient de délocaliser une partie de leur production en raison de la vigueur du yen. Le «grand tremblement du terre du Japon oriental» pourrait accélérer le processus.
Il n’est pas certain que les contraintes du côté de l’offre résultant du séisme aient tiré les prix à la consommation à la hausse. Les anticipations d’inflation sont restées pratiquement inchangées après les évènements. Si l’inflation est passée en territoire positif au cours des derniers mois, c’est essentiellement en raison de la hausse des prix énergétiques, ce qui ne signifie pas que l’économie soit définitivement sortie de la déflation. En août, l’impact de l’effet de base sur l’indice des prix à la consommation devrait se traduire par une baisse de l’inflation de 0,7 point de pourcentage, ce qui fera retomber l’économie dans la déflation.
De nombreux risques pèsent sur nos projections. Les problèmes de la centrale de Fukushima Daiichi et des autres centrales nucléaires constituent le principal risque intérieur. La seconde incertitude est le calendrier et le financement des futurs programmes de reconstruction. Le gouvernement pourrait renoncer à sa politique de consolidation budgétaire, qui visait à diminuer de moitié le déficit d’ici à 2015 et à dégager un excédent en 2020. La nouvelle détérioration des finances publiques accroît le risque d’une hausse des taux d’intérêt à long terme, laquelle aggraverait en retour le déficit.
Retrouvez les études économiques de BNP Paribas