par Cédric Thellier, économiste chez Natixis
Comme prévu, la BCE a donc procédé hier à un nouveau resserrement de sa politique monétaire : après un premier geste en avril, les taux directeurs ont été augmentés de 25 points de base supplémentaires, portant le principal taux de refinancement à 1,50%. Un taux encore historiquement bas. Cependant, si la décision n’était pas une surprise dans la mesure où la BCE avait explicitement évoquée sa posture de « forte vigilance » le mois dernier, les banquiers centraux ont fait l’objet de nombreuses questions (pour ne pas dire critiques) ces dernières semaines à propos de la justification d’un tel geste, dans un contexte de turbulences accrues pour les pays dits « périphériques ».
Aussi, le ton adopté par le Président Trichet lors de la conférence de presse était-il encore relativement dur concernant les risques inflationnistes. Selon lui, il est impératif que les tensions sur les prix, en provenance essentiellement de l’énergie et des matières premières, ne se diffusent pas à l’ensemble de l’économie. Ce resserrement monétaire vise alors à ancrer solidement les anticipations d’inflation à moyen terme, condition nécessaire pour soutenir de façon durable la croissance et l’emploi dans la zone euro. Interrogé sur l’éventuel impact négatif d’une politique monétaire plus restrictive sur les pays déjà en grandes difficultés économiques, sociales et financières, il souligne qu’a contrario, un dérapage des anticipations d’inflation pèserait encore davantage sur la confiance des agents et nuirait à l’ensemble des pays de la zone euro.
En outre, après la Grèce et l’Irlande, la BCE a élargi ses mesures exceptionnelles au Portugal : l’application d’une qualité minimum de crédit requise pour les titres publics apportés en collatéral par les banques au guichet de la BCE dans le cadre des opérations de refinancement a été suspendue, suite à la dégradation de la notation souveraine du Portugal de quatre crans (!!) par Moody’s en début de semaine. La BCE justifie sa décision, et prend donc une nouvelle fois ses distances par rapport aux agences, par l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre le plan d’ajustement économique et financier négocié avec la Commission Européenne et le FMI ; un plan évalué par la BCE et jugé crédible.
L’institut monétaire fait ainsi montre une nouvelle fois de son pragmatisme, contrairement à ce que d’aucuns prétendent parfois. En revanche, l’opposition à un défaut, sélectif ou non, de la Grèce a été fermement répété. La coopération, oui, mais pas à n’importe quel prix !
La question du rôle des agences de notation a du reste été abordée lors de la session de questions / réponses avec les médias, l’occasion pour le Président Trichet de rappeler la nécessité d’une réflexion au niveau mondial, notamment dans le cadre du Conseil de Stabilité Financière. Déplorant le caractère pro-cyclique de certaines décisions, il a également souligné que la situation oligopolistique des agences ne correspond pas à ce qui est « désirable », leur conférant une influence « écrasante ». Il a néanmoins concédé que la question était complexe et qu’il n’y avait pas de solution évidente. Il apparaît cependant assez souhaitable selon nous de multiplier les acteurs, privés de préférence, et notamment européens.
Pour conclure, et nonobstant l’évolution de la crise des dettes souveraines ainsi que les résultats des tests de résistance du système bancaire qui devraient être dévoilés la semaine prochaine, il nous semble que les perspectives macroéconomiques plaident pour une pause prolongée dans le resserrement monétaire de la BCE. En effet, le ralentissement de l’activité, déjà perceptible et pour l’instant minimisé dans les propos du Président Trichet, devrait se poursuivre sur les prochains trimestres, maintenant le taux de chômage à l’échelle de la zone euro juste en deçà de la barre des 10%. Parallèlement, grâce notamment aux effets de base favorables sur les prix du pétrole, la hausse des prix à la consommation devrait ralentir (le pic d’inflation est sans doute derrière nous à 2,8% en avril, puis 2,7% en mai et juin) avec un retour progressif vers l’objectif de 2% à horizon début 2012. De quoi inviter la BCE à la prudence. Selon nous, elle pourrait alors maintenir le statu quo sur ses taux directeurs jusqu’au printemps 2012.
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