par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Les économistes américains sont traditionnellement optimistes sur les perspectives de croissance de leur pays et sur la capacité de leur économie à rebondir. Dans les périodes de crise, ils pensent, à juste titre d’ailleurs, que la réactivité et l’ampleur des politiques économiques mises en œuvre permettront un rebond de leur économie ; dans les phases de reprise, l’idée défendue est celle du retour du « business cycle » c’est-à-dire le redémarrage de l’emploi et de l’investissement avec pour conséquence une croissance auto-entretenue.
Ils sont également confiants sur les capacités d’innovation de leur économie. Si dans le passé, cet optimisme était justifié, rappelons le fameux « don’t bet against the US consumer »1 qui soulignait la capacité du consommateur américain à se relever et à consommer même à des périodes difficiles, il pourrait en être autrement aujourd’hui.
Le stimulus budgétaire décidé par Barack Obama et les républicains en fin d’année 2010, associé à la mise en place du deuxième programme de politique quantitative (Quantitative easing 2 ou QE2) impliquant un policy-mix extrêmement accommodant, avait provoqué une vague d’optimisme sur la croissance américaine en début d’année 2011. A cette période, le consensus des économistes prévoyait une croissance de 3,2% pour 2011 et 3,3% pour 2012.
Parmi les plus pessimistes, nous attendions à l’époque une croissance de 2,7% pour 2011 et 2,4% pour 2012, avec l’idée que les entreprises resteraient prudentes en matière d’emploi et d’investissement. C’était sans compter sur le choc pétrolier qui a provoqué une très forte progression de l’inflation, gommant ainsi les effets positifs des baisses d’impôt sur le revenu des ménages et provoquant un recul du pouvoir d’achat. C’était sans compter sur la catastrophe japonaise qui a engendré des effets négatifs sur la production industrielle au printemps.
Au total, les économistes (nous y compris) ont été contraints de revoir leurs projections de croissance 2011 à la baisse : de notre côté, nous avons ajusté nos projections à 2,2% pour 2011 et 2,1% pour 2012 ; concernant le consensus, la prévision en juin 2011 n’était plus que de 2,5% pour 2011 mais encore de 3,1% pour 2012 ! Du côté de la Réserve Fédérale, la tendance centrale a également été revue à la baisse dans une fourchette de 2,7%/2,9% pour fin 2011 (vs 3,1%/3,3% en avril dernier) et de 3,3%/3,7% pour fin 2012 (vs 3,5%/4,2% en avril).
Ces projections révèlent que, malgré tous les risques qui pèsent sur l’économie mondiale, les économistes américains restent relativement optimistes sur leur croissance. En effet, tous anticipent un rebond de la croissance au second semestre 2011, avec la baisse de l’inflation (et en corollaire la remontée des salaires réels) et l’atténuation des effets négatifs liés au Japon. Ce rebond pourrait effectivement avoir lieu mais après un chiffre de croissance en T2-11 qui pourrait s’avérer plus faible que ce qui est attendu actuellement (nous anticipons un PIB en hausse de 1,6% en rythme annualisé vs environ 2% pour le consensus).
Au-delà de ces effets conjoncturels, nous restons convaincus que l’économie américaine ne peut pas croître sur des rythmes supérieurs à son potentiel (proche de 2 1⁄4%) sans perfusion des politiques économiques ou sans rebond du crédit. Or du côté de la politique budgétaire, les marges de manœuvre sont inexistantes, le débat s’oriente plutôt vers un resserrement de la politique fiscale, renforcé par la mise sous surveillance de la dette publique par les agences de notation.
Du côté de la politique monétaire, on pourrait encore envisager une hausse du bilan de la Fed mais sans certitude sur ses effets sur la croissance. Par ailleurs, les obstacles politiques à la mise en place d’un QE3 seraient difficiles à franchir, il faudrait donc une croissance très faible (1%/1,5%) accompagnée d’une tendance haussière du taux de chômage pour obtenir un consensus sur cette question. A ce titre la phrase de Bernanke soulignant que la politique monétaire n’est pas une panacée est révélatrice de la difficile situation dans laquelle se trouve la Fed. D’autre part, nous ne croyons pas à une reprise du crédit, le désendettement des ménages va se poursuivre et prendra encore plusieurs années.
Enfin, nous sommes également sceptiques sur un changement de stratégie de la part des entreprises qui consisterait d’une part à déformer le partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés permettant une reprise de l’emploi et des salaires et d’autre part à réinvestir massivement dans un environnement de surcapacités productives. Au total, la croissance américaine risque fort de décevoir dans les mois qui viennent, suggérant que le processus de révisions des projections à la baisse n’est pas terminé.
NOTES
- « Ne pariez pas contre le consommateur américain »
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