par Frederik Ducrozet, Isabelle Job et Paola Monperrus-Veroni, économistes au Crédit Agricole
Les atermoiements politiques continuent à nourrir craintes et incertitudes et ont débouché sur une aggravation des interactions délétères entre risques, souverain et bancaire, au point de menacer la croissance, en cas de resserrement trop brutal du crédit (credit crunch).
– Des enquêtes en zone dangereuse
En dépit de leur chute, le niveau des enquêtes de confiance reste à ce jour compatible avec une croissance positive, mais modeste au troisième trimestre (de l’ordre de 0,1%- 0,2% en variation trimestrielle, en ligne avec nos prévisions), suivie d’une stagnation de l’activité en fin d’année. Néanmoins, compte tenu de la vitesse de dégradation de ces enquêtes, le risque que le PIB de la zone euro enregistre une croissance négative au dernier trimestre est loin d’être nul. Une simple régression, avec comme variables explicatives l’indice composite PMI en niveau et en variation mensuelle, donne une croissance nulle au dernier trimestre, mais ce à supposer une stabilisation à niveau de l’enquête. Toute nouvelle détérioration de la confiance pourrait donc être annonciatrice d’une contraction de l’activité au quatrième trimestre, ce qui fait peser un risque clairement baissier sur notre prévision d’une croissance séquentielle de 0,2% fin 2011. Par ailleurs, une récession étant définie techniquement comme deux trimestres consécutifs de croissance négative, sa probabilité d’occurrence augmenterait nettement en cas de recul du PIB, en fin d’année.
Nous avons, depuis le départ, défendu l’idée selon laquelle la ligne de démarcation entre un scénario de reprise intacte, quoique très molle, et un scénario de plongeon en récession de la zone euro était très ténue et largement dépendante de la capacité du politique à offrir rapidement une solution crédible et convaincante à la crise des dettes souveraines pour faire renaître la confiance et stabiliser les marchés.
– De la contagion à tous les étages : entre Etats, vers le système bancaire, jusqu’à l’activité
Or jusqu’à présent, les atermoiements politiques ont continué à nourrir craintes et incertitudes et ont débouché sur une aggravation des interactions délétères entre risques souverain et bancaire, au point de menacer la croissance en cas de resserrement trop brutal du crédit (Credit Crunch).
L’impuissance des officiels européens à gérer le problème grec, petit par sa taille mais grand par ses implications, a induit de la part des investisseurs des comportements d’extrême réserve à l’égard de tout souverain européen à finances fragiles. A la question de l’arbitrage risque/rendement est venue s’ajouter celle du risque de perte en capital, en cas de défaut et/ou de restructuration. Dans un premier temps, ce run sur les souverains a contraint l’Europe à mettre sous assistance financière d’autres petits États de la périphérie (Irlande, puis Portugal) afin de les sortir des marchés.
Lorsque que la contagion a atteint des poids lourds de la zone euro (Italie surtout, mais aussi Espagne), la BCE n’a eu d’autre choix que se porter acheteur en dernier ressort de titres publics, afin de faire redescendre la pression sur les rendements des États attaqués. Ces effets de contagion entre États s’auto-alimentent selon un schéma circulaire, lorsque la hausse de la probabilité de défaut entraîne un renchérissement du coût de la dette, ce qui pèse sur les équilibres budgétaires et en retour rehausse la probabilité de défaut… Le caractère pro-cyclique des notations d’agence ne fait qu’amplifier cette dynamique auto-réalisatrice avec le déclenchement mécanique de ventes, en cas de dégradations des notes.
La contagion s’est également frayée un chemin en direction du système bancaire européen qui porte ce risque souverain. Les canaux de transmission sont multiples (exposition directe, dégradations concomitantes des notes souveraine et bancaire, valorisation des collatéraux éligibles à la BCE ou utilisées dans le cadre d’autres opérations sécurisés…) avec pour ultime résultante une hausse du coût de (re)financement des banques.
Le déploiement par la BCE de ses outils de crise avec des enchères illimitées et à taux fixe permet de contenir (sans les faire disparaître) les pressions sur la liquidité à court terme mais le renchérissement du coût de refinancement à plus long terme devrait avoir des implications sur les activités d’intermédiation des banques, avec au final des contraintes plus fortes sur la distribution de crédits. Surtout que les nouvelles normes prudentielles (Bâle III) et l’arrivée a échéance, l’année prochaine, d’un flux important de dette devraient contraindre les banques à lever davantage de fonds sur les marchés.
La dernière enquête de la BCE sur les critères d’octroi de crédit fait d’ailleurs état d’un nouveau resserrement au cours de l’été, au plus fort des turbulences financières. Le solde de réponses pondérées entre les banques ayant durci et celles ayant assoupli leurs conditions de prêts atteint 16% pour les crédits aux entreprises et 18 % pour les crédits immobiliers aux ménages, contre respectivement 2% et 9% il y a trois mois. En outre, les banques envisagent de durcir davantage leurs critères d’attribution en invoquant principalement des difficultés de refinancement sur les marchés et des tensions sur la liquidité.
Si l’offre apparaît davantage contrainte, la demande aussi ralentit dans un climat empreint d’une grande incertitude. Ceci montre que la contagion à l’activité passe aussi par le canal de la confiance en alimentant des comportements d’extrême prudence qui, pris individuellement, sont rationnels (report des décisions d’achat et d’investissement des ménages et des entreprises), mais deviennent collectivement destructeurs s’ils occasionnent un freinage brutal de la demande privée.
Plus la crise dure, plus le risque d’un atterrissage douloureux de l’économie augmente, compte tenu de ces interactions délétères entre confiance, finance et activité réelle. D’où l’urgence à agir… Si la croissance en fin d’année ne peut être sauvée, la récession, elle, peut être évitée.
Il y a, en effet, des raisons de rester confiant. La normalisation des conditions d’approvisionnement en composants et pièces détachées en provenance de Japon devrait occasionner un rebond de la production industrielle un peu partout, y compris en Europe tandis que le contre-choc pétrolier va libérer du pouvoir d’achat pour les ménages. De plus, les craintes d’une rechute imminente en récession de l’économie américaine se sont nettement dissipées après une série de bons indicateurs conjoncturels. La sphère émergente possède, de son côté, des marges de manœuvre suffisantes pour actionner les leviers monétaire et budgétaire, afin d’amortir le creux cyclique et soutenir la demande domestique.
L’Allemagne très dépendante de son moteur extérieur aura, certes, du mal à jouer un rôle de locomotive dans une économie mondiale au ralenti. Mais, la capacité de résilience de la croissance allemande avec des ressorts domestiques plus solides devrait permettre d’éviter une rupture de croissance en zone euro. Enfin et surtout, les conditions financières sont globalement souples avec des taux sans risque (entendez là les taux allemands court et long !) au plancher et un taux de change effectif réel de l’euro qui s’inscrit en retrait depuis quelques mois, une tendance appelée d’ailleurs à se poursuivre. Mais pour que cette courroie de transmission fonctionne, il est impératif d’insuffler la dose de confiance nécessaire à la réanimation des esprits animaux pour aider à la compression des primes de risque et ainsi huiler les mécanismes de financement, le tout permettant de remettre en ordre de marche la machine économique.
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