par Grégory Claeys et Frederik Ducrozet, économistes au Crédit Agricole
• La BoE porte son taux directeur à 1 %. La BCE passe son tour mais signale un geste en mars. Dans les deux cas, les baisses de taux de 50 pdb attendues le mois prochain pourraient être les dernières.
• Si la BoE est déjà engagée sur la voie du credit easing, la BCE n’a pas changé de stratégie : « ni ZIRP, ni QE », mais une expansion de son bilan qui reflète sa politique de gestion souple de la liquidité.
• La communication des banques centrales sera déterminante dans les semaines qui viennent.
Sans surprise, la BCE a laissé son taux directeur inchangé à 2 %, tout en laissant la porte ouverte à une baisse de taux dès le mois prochain. Son président avait prévenu qu’aucune baisse ne serait décidée ce mois-ci, compte tenu de la proximité de la réunion avec celle de janvier. On ne retiendra aucun changement majeur dans le discours, ni dans le communiqué, ni au cours de la conférence de presse qui a suivi. Le diagnostic économique reste le même : la crise financière s’est aggravée, l’activité s’est fortement contractée, et la demande devrait rester faible dans les mois qui viennent. Malgré les premiers signes de stabilisation des indicateurs avancés (qui reste par ailleurs à confirmer), les données d’activité resteront mauvaises à court terme. Exportations et production industrielle, en particulier, continuent de se contracter fortement en décembre.
Le recul historique du PIB de la zone euro au quatrième trimestre (-1,3 % t/t selon nous) devrait confirmer l’intensité de l’épisode de récession actuel. Sur une note moins pessimiste, la baisse des prix des matières premières devrait soutenir les dépenses des ménages cette année. Les plans de relance des gouvernements pourraient également permettre d’atténuer les effets de la récession.
Le jugement sur la dynamique des prix n’a pas radicalement changé non plus. L’inflation s’établit désormais à 1,1 % en janvier et devrait continuer de refluer, pour se rapprocher du seuil de zéro d’ici l’été. Mais M. Trichet l’a répété, cette forte volatilité de l’indice des prix n’entraînera pas nécessairement de réaction de la part de la BCE puisque l’inflation est amenée à ré-accélérer en fin d’année sur fond d’effets de base défavorables.
L’inflation sous-jacente reste relativement stable à ce stade, tout comme les anticipations d’inflation à long terme, une variable cruciale aux yeux de la BCE. Selon les informations partielles communiquées par M. Trichet, la dernière mouture du Survey of Professional Forecasters suggèrerait une inflation anticipée proche de 1,9 % à l’horizon de cinq ans. Par ailleurs, les anticipations d’inflation tirées des swaps d’inflation (une source jugée plus fiable que les obligations indexées dans le contexte actuel d’assèchement de la liquidité) fluctuent toujours autour de 2,5 %.
BCE : baisse de taux le 5 mars, la dernière ?
M. Trichet n’a pas exclu une nouvelle baisse de taux le mois prochain, ce qui signifie en langage de banquier central qu’un tel geste est très probable. Or, à cette occasion, la révision à la baisse des prévisions de croissance et d’inflation du staff de la BCE devrait fournir une justification toute trouvée. Nous attendons une baisse de 50 pdb du taux de refinancement, à 1,50 % dès le 5 mars. Entre autres points importants, les dernières informations disponibles (et en particulier le Bank Lending Survey de ce trimestre) suggèrent un ralentissement marqué de l’offre de crédit en fin d’année 2008, en lien avec la baisse anticipée de la demande.
BCE : risque de déflation limité, mais y a-t-il un plan B ?
A ce stade, la BCE se refuse toujours à adopter une politique de taux zéro (ZIRP), tout comme elle se refuse à acheter directement des actifs sur les marchés comme le font la Fed, la Banque du Japon, et comme s’apprête à le faire la Banque d’Angleterre (mesures non conventionnelles de type « credit easing »). Fondamentalement, le risque déflationniste est toujours jugé limité en zone euro. En pratique, la BCE considère que de telles mesures présentent un certain nombre d’inconvénients, une façon détournée d’admettre qu’elle ne dispose pas des outils adaptés.
En effet, si le Traité lui laisse des marges de manœuvre théoriques, des achats directs de titres de dette publics ou privés poseraient un certain nombre de problèmes : quels actifs choisir ? Quelle institution désigner pour supporter des pertes éventuelles sur ces titres ? La stratégie de la BCE reste aujourd’hui basée sur une politique de gestion de la liquidité particulièrement souple, qui a par ailleurs entraîné une forte baisse des taux d’intérêt à court terme.
L’incertitude reste toutefois très élevée et la BCE « n’exclut rien », selon les propres mots de son président. Sa communication sera donc particulièrement suivie lors des prochaines réunions.
BoE : en attendant le non conventionnel
Comme prévu, la Banque d’Angleterre (BoE) a abaissé son taux directeur de 50 pdb à 1 % lors de sa réunion du 5 février. Dans un communiqué très similaire à celui de la réunion du mois de janvier, la BoE a justifié cette nouvelle baisse par la dégradation de la situation économique mondiale (en particulier dans les pays émergents), par la récession britannique et par la décrue rapide de l’inflation. Néanmoins, comme en janvier, elle a aussi rappelé que les relâchements monétaire et fiscal mis en place ces derniers mois, combinés à la décrue de l’inflation et à la forte dépréciation de la livre sterling, devraient apporter un soutien significatif à l’activité tout au long de l’année 2009, Elle n’écarte pas pour autant de nouvelles baisses de taux dans les mois à venir, d’autant plus qu’elle admet qu’il existe un risque non négligeable de voir l’inflation passer largement sous la cible de 2 % à moyen terme.
Selon nous, cette baisse de taux ne suffira pas à elle seule à éviter le risque de déflation et ne marque donc pas la fin du cycle de relâchement monétaire.
Certes, avec un taux directeur à 1 %, il ne reste plus beaucoup de munitions à la BoE en termes de politique monétaire conventionnelle. Elle devrait donc abaisser son taux directeur de 50 pdb supplémentaires lors de sa réunion de mars (laissant ainsi son taux à 0,5 % afin d’éviter que les dépôts ne se tarissent faute de rémunération et n’amplifient la crise bancaire actuelle). Mais elle va surtout mettre en place une politique monétaire non conventionnelle afin de contribuer au retour de la liquidité dans certains segments du marché du crédit.
A ce sujet, le communiqué contient très peu d’indications sur la stratégie future de la BoE, si ce n’est qu’elle accueille favorablement la mise en place par le gouvernement de l’Asset Purchase Facility devant lui permettre d’acheter 50 milliards £ d’actifs du secteur privé.
Elle pourrait profiter de la publication de l’Inflation Report le 11 février prochain pour annoncer les modalités de la mise en place d’une telle politique. Pour l’instant, la BoE est toujours en train de réfléchir à quel type d’actifs elle pourrait acheter afin de minimiser le risque de crédit pour les contribuables et de ne pas soutenir artificiellement un marché pour lequel il n’y aurait pas de demande en temps normal.
BoE : en attendant l’Inflation Report
La publication de l’Inflation Report sera aussi l’occasion pour la BoE de revoir ses prévisions de croissance et d’inflation publiées en novembre. En ce qui concerne la croissance, certes, les indices PMI sont légèrement remontés en janvier (à 35,8, contre 34,9 en décembre dans le secteur manufacturier et à 42,5, contre 40,2 dans les services), mais leurs niveaux largement sous le seuil des 50 plaident toujours pour une poursuite de la récession dans la première moitié de l’année 2009. Après une baisse de 1,5 % t/t au T4, le PIB devrait encore reculer selon nous de 1,1 % t/t au T1 2009 et de 2,6 % sur l’ensemble de l’année 2009. La BoE devrait revoir sa copie en ce sens.
Quant à l’inflation, qui se situe désormais à 3,1 % a/a, contre 5,2 % il y a encore quelques mois, elle devrait poursuivre sa décrue rapide dans les prochains mois. Certes, pour l’instant ce mouvement s’explique en partie par des effets de base liés à l’effondrement des prix du pétrole, mais aussi par une forte baisse de l’inflation sous-jacente liée à la réduction de la TVA de 2,5 % depuis le 1er décembre. Combiné aux effets déflationnistes de la récession, ce mouvement pourrait pousser l’inflation en territoire négatif à l’automne. La BoE devrait prendre la mesure de ce risque et revoir ses prévisions en conséquence avant de mettre en place des mesures capables d’éviter que ce passage en territoire négatif ne se transforme en véritable phénomène déflationniste.