par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas
Le sommet européen du 26-27 octobre 2011 a acté le principe d’une décote de 50% de la valeur nominale de la dette publique grecque détenue par les créanciers privés. Cette initiative, connue sous le nom de participation du secteur privé (Private Sector Involvement, PSI en anglais) satisfait une double logique.
D’une part, elle répond au diagnostic d’insolvabilité de l’Etat grec posé par la Troïka. Grâce à cet abandon de créance, la dette publique sera délestée de plusieurs dizaines de milliards d’euros, ce qui améliore sa soutenabilité. D’autre part, elle réduit considérablement les besoins de financement de la Grèce à court terme.
Partant du postulat que le financement des besoins de l’Etat grec des trois prochaines années (au moins) passera essentiellement par des prêts concessionnels octroyés par les pays de la zone euro, la participation du secteur privé à l’effort collectif rend l’aide publique moins onéreuse et politiquement acceptable. Cependant, en instituant un précédent dans la gestion de la crise souveraine en zone euro, elle crée aussi le risque d’accentuer et/ou d’étendre la contagion financière qui menace l’Europe. Pour limiter ce risque, les dirigeants de la zone euro se sont engagés à faire du PSI l’exception plutôt que le principe rappelant la singularité de la situation grecque.
D’après l’agenda établi au moment de l’accord, l’échange de dette doit avoir lieu début 2012, idéalement dès janvier, au pire début mars. En effet, le 20 mars la Grèce fera face à une tombée de dette de 14,4 milliards d’euros qu’elle ne pourra honorer sans le versement préalable d’une partie de la seconde aide européenne (130 milliards d’euros). Or cette dernière est conditionnée à la mise en œuvre du PSI. Dans les grandes lignes, l’opération se réaliserait comme suit : 206 milliards d’euros de créances seraient échangées contre de nouvelles obligations d’une valeur faciale de 103 milliards d’euros arrivant à échéance dans 10 ans ou plus. Les créanciers volontaires à l’échange recevraient, en parallèle, 30 milliards d’euros puisés dans le second prêt officiel, afin de collatéraliser le principal des nouveaux titres. La réduction nette de la dette publique serait donc de 70 milliards (environ 32% du PIB). Par ailleurs, les banques grecques, qui seraient particulièrement fragilisées par la restructuration de la dette, recevraient 30 milliards d’euros, issus également du second prêt européen, afin d’être recapitalisées.
Dans les détails, deux points ont, semble-t-il, concentré les débats entre les créanciers privées et l’Etat grec : le taux d’intérêt et la domiciliation juridique des nouvelles obligations. Il apparaît que les créanciers ont obtenu des nouveaux titres qu’ils soient gouvernés par une législation britannique et non grecque, s’alignant ainsi sur les conditions des prêts officiels du FMI et des Etats membres de la zone euro. Un tel régime juridique permet, entre autres, de saisir les actifs de l’Etat en cas de défaut. En contrepartie de cette garantie, les créanciers seraient prêts à accepter un coupon plus faible, de l’ordre de 5%.
Le taux de participation à l’échange reste sujet à conjecture. Le PSI se réalisant sur la base du volontariat, il laisse la porte ouverte à un comportement de « passager clandestin » : certains créanciers pourraient ne pas participer à l’échange de dette, tout en souhaitant sa réalisation, pour profiter de la détente des taux qui devrait suivre et/ou être remboursés au pair grâce aux fonds débloqués par les pays de la zone euro. Le comportement du passager clandestin, s’il est généralisé, fait naturellement peser une menace sur la réalisation de l’échange. Pour contourner cette difficulté, les négociations sont conduites de façon intermédiée.
L’Institut de la Finance internationale (IFI) représente les principales institutions financières mondiales et négocie pour elles avec l’Etat grec. Cela réduit le risque de passager clandestin sans, toutefois, le faire disparaître. Les fonds « vautours », qui ont acheté de la dette publique grecque fortement décotée dans l’espoir de profiter des effets positifs d’une restructuration à laquelle ils ne participeront pas, ne sont évidemment pas représentés par l’IFI. Aussi, même si le comportement de passager clandestin ne compromet pas l’échange de dette, il pose le problème de l’aléa moral qui est au cœur de la gestion de la crise de la dette souveraine européenne. Pour pallier cet inconvénient, certaines sources rapportent que la Grèce envisagerait d’introduire rétroactivement des clauses d’action collective (CAC) dans ses obligations en circulation. Les CAC permettent d’imposer une restructuration à tous les créanciers dès lors qu’une part – fixée à l’avance – d’entre eux est favorable à cette option.
Enfin, même en prenant en compte un taux ce participation élevé (supérieur ou égal à 90%), certains considèrent qu’une décote de 50%, qui ramènerait le taux d’endettement public à 120% du PIB en 2020, est insuffisante pour assurer la solvabilité du pays. Or, négocier un abandon de créance significativement plus important (>60%) risque de se heurter au principe de participation volontaire, qui garantit le non-déclenchement des CDS. L’alternative qui consiste à étendre les titres éligibles à ceux détenus par les créanciers publics (notamment la BCE qui en détient environ 45 milliards d’euros) demeure difficilement envisageable. Beaucoup dépendra donc de la capacité de la Grèce à améliorer le dénominateur du ratio dette/PIB, ce qui suppose de transformer en profondeur la structure de l’économie.
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