par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas
L’Union européenne serait-elle sur le point de vouloir remettre le soutien à la croissance au cœur du dispositif économique de résolution de la crise ? A l’occasion du dernier Conseil européen qui s’est tenu les 1er et 2 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement ont rappelé que la croissance et l’emploi étaient tout aussi importants que la consolidation budgétaire.
A cet égard, ils ont estimé que les efforts pour atteindre les objectifs intégrés dans la stratégie Europe 2020 avaient jusqu’à présent été insuffisants. Le Conseil a donc souligné qu'il est important de se concentrer sur la mise en œuvre de réformes, avec une attention particulière sur les mesures ayant un effet à court terme sur la croissance. Si peu de mesures concrètes ont été avancées, il n’en demeure pas moins qu’un changement de mentalité est en train de s’opérer. Si nul pays membre de l’Union européenne ne conteste que l’austérité budgétaire est nécessaire, celle-ci ne peut être la panacée. Elle doit s’accompagner de réformes structurelles et d’initiatives en faveur de la croissance.
L’Espagne pourrait être le premier pays membre à profiter de cette prise de conscience. Quelques jours avant le Conseil européen de Bruxelles, à l’initiative de son homologue britannique, David Cameron, le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, avait signé avec onze autres pays membres de l’Union européenne (Estonie, Finlande, Irlande, Italie, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Suède) une lettre adressée à la direction de l’Union européenne, appelant à une modernisation des économies nationales, au renforcement de la gestion du marché commun européen et à la formation vers 2014 d’un marché énergétique intérieur efficace.
Puis, à la veille du sommet de Bruxelles, M. Rajoy a créé la surprise en annonçant que l’Espagne ne respecterait pas ses engagements de réduction du déficit budgétaire en 2012. Face au dérapage de ses finances publiques en 2011 (le déficit a atteint 8,5% contre un objectif initial de 6%), l’Espagne, qui a déjà mis en oeuvre des mesures de consolidation budgétaire courageuses (réformes du marché du travail, gel des salaires et des embauches dans la fonction publique, relèvement de l’ensemble des tranches d’imposition en 2012 et 2013…), a décidé d’adopter, unilatéralement, de nouveaux objectifs, moins ambitieux.
L’objectif de réduction du déficit public pour 2012 a été ramené à 5,8% du PIB au lieu de 4,4% prévu initialement dans le programme de stabilité et de croissance espagnol 2011. L’objectif de 3% est maintenu pour 2013. Cette annonce nous semble aller dans le bon sens. En effet, le respect du précédent objectif pour 2012 impliquait une réduction du déficit public de plus de 4 points de PIB. Un tel effort aurait exercé un effet pro-cyclique négatif particulièrement délétère sur l’activité espagnole. Rappelons qu’après un première contraction du PIB au T4 2011 (-0,3% t/t) l’Espagne devrait retourner en récession cette année, enregistrant un repli de l’activité de l’ordre de 2% (-1,7%, selon le gouvernement), particulièrement marqué au premier semestre.
En outre, le niveau relativement bas de la dette publique rapportée au PIB (68,1% en 2011 par rapport à une moyenne de 88,4% pour l’ensemble de la zone euro) est soutenable à moyen terme et ne justifie pas un effort de consolidation budgétaire à marche forcée. Il est toutefois probable que la Commission européenne n’accepte pas, sans difficulté, le changement de trajectoire annoncé par le gouvernement espagnol. La Commission a jugé le dépassement « grave » et annoncé qu’elle effectuerait « une évaluation complète » de la situation des finances publiques espagnoles avant de proposer quelque mesure que ce soit. Il est, en effet, hors de question de délivrer un blanc-seing à l’Espagne s’il s’avère que ce dérapage est d’ordre structurel.
Annoncée trop tardivement aux instances européennes, la mauvaise gestion des treize régions autonomes est la principale accusée, mais la faiblesse de la croissance (+0,7%) et la poussée du chômage en 2011 sont aussi à prendre en compte dans la dégradation des finances publiques. Le gouvernement espagnol présentera son budget 2012, avec l’ensemble des mesures nécessaires pour atteindre les objectifs retenus, fin mars. Quinze jours plus tard, comme l’ensemble de ses autres partenaires européens, M. Rajoy transmettra cette mise à jour à la Commission. A ce stade, on ne peut donc exclure que la Commission ne recommande de prendre des sanctions contre Madrid qui fait déjà l’objet d’une procédure pour déficit excessif depuis 2009.
Le pire de la crise de la dette souveraine dans la zone euro pourrait désormais être derrière nous. Le résultat de l’offre officielle de l’Etat grec d’échange de dette volontaire à ses créanciers privés va aussi dans le bon sens.