par Paola Monperrus Veroni et Leopold Jouven, économistes au Crédit Agricole
- L’embellie de la production industrielle en janvier n’efface pas l’incertitude émanant de la crise et n’est pas nécessairement annonciatrice d’une reprise durable.
- Les destructions d’emplois conduiraient le taux de chômage à atteindre un nouveau pic depuis la création de l’UEM, mais cette hausse serait une fois de plus déconnectée de l’évolution de l’activité.
- Le risque inflationniste resterait donc circonscrit par le contexte récessif limitant les compensations des pertes de pouvoir d’achat.
Le pire est-il derrière nous ?
Le léger rebond de l’activité dans la zone euro en janvier, après le plongeon des mois de novembre et de décembre est la première confirmation des signaux d’amélioration envoyés par les indicateurs d’enquêtes depuis la fin de 2011. La hausse de 0,2% de la production industrielle est néanmoins déconnectée des entrées de commandes en repli en fin d’année, qui peuvent être anticipatrices d’un nouveau coup d’arrêt de l’activité au cours du premier trimestre (-0,3% t/t selon notre prévision).
Jusqu’où ira la hausse du chômage ?
Cette amélioration de l’activité est néanmoins insuffisante à améliorer la visibilité et à envoyer un ferme message de confiance. Car la dégradation du marché du travail, avec un deuxième trimestre de recul de l’emploi en fin d’année en zone euro (-0,2% t/t au T4 2011), s’est étendue des pays de la périphérie à l’Italie, aux Pays-Bas et a marqué un arrêt des créations d’emploi en France. La remontée très rapide du taux de chômage (10,7% en février dans la zone euro) ne permet pas d’effacer le risque baissier assorti à un scénario de lente reprise de l’activité à partir du deuxième semestre 2012. Or, la reprise de l’activité depuis 2010 n’a pas été porteuse d’une amélioration de la situation économique et financière des entreprises dans tous les grands pays de la zone euro. Même en Allemagne où le cycle de productivité a été le plus dynamique, le taux de marge n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise. Le retournement conjoncturel s’est donc rapidement traduit par une montée du chômage, qui ne pourra que s’aggraver avec l’atonie de l’activité.
Nous prévoyons une remontée du taux de chômage qui atteindra un pic de 11,2% entre la fin 2012 et le début 2013. Cependant, cette hausse serait inférieure aux préconisations du trade-off basé sur une loi d’Okun standard. Déjà, la remontée du taux de chômage pendant la crise de 2008-2009 avait été plus modérée que la baisse de l’activité l’aurait suggéré selon la loi d’Okun.
Le chômage partiel, l’utilisation des différents leviers de flexibilité axés sur la durée du travail, des aides à la trésorerie des entreprises et des plans de soutien aux secteurs de l’automobile et financier avaient limité les destructions d’emplois dans les grands pays de la zone euro. Les destructions massives d’emplois avaient été circonscrites aux pays périphériques où le secteur de la construction portait la plupart des ajustements, du fait de l’éclatement de la bulle immobilière.
Mais une fois de plus l’existence de ces dispositifs déjà déployés pendant la crise pourra limiter les destructions d’emplois. En Allemagne, où le taux de chômage n’a connu qu’une simple stabilisation en février et où la croissance de l’emploi reste positive, autant le gouvernement (pour avoir dégagé des marges budgétaires) que les partenaires sociaux disposent de moyens pour poursuivre le financement de ces dispositifs, qui ont permis de maintenir 1,5 millions de salariés dans l’emploi lors de la crise. Par ailleurs, la durée du travail ayant pleinement retrouvé son niveau de 2007, ce mode « interne » d’ajustement paraît amplement mobilisable. En France, le Sommet social de janvier a bien dégagé des ressources supplémentaires pour le financement du chômage partiel, mais l’utilisation de ce dispositif a été bien moindre (275 000 emplois) qu’en Allemagne et en Italie. Des dispositifs axés sur les baisses des charges, notamment des PME, contribueront néanmoins à aider les entreprises à retenir la main-d’œuvre. En Italie, où, le chômage partiel est une ancienne pratique et a largement contribué à amortir le coût social de la crise, la montée rapide du taux de chômage s’est déjà accompagnée d’une première reprise à la hausse des inscriptions au dispositif au mois de février. Les pourparlers sur la réforme du travail engagés cette semaine risquent néanmoins de réduire la portée du chômage partiel.
L’inflation fait de la résistance
La dégradation de la situation du marché du travail permet en revanche de limiter le risque haussier sur l’inflation dans un contexte de remontée des prix de l’énergie sur fond de tensions géopolitiques, imposant une pression à la baisse sur les évolutions salariales.
La position de la Banque centrale européenne paraît en effet plus confortable par rapport aux perspectives de croissance des prix, même si l’inflation demeure obstinément au-dessus de sa cible depuis l’automne 2010. Car la viscosité de l’inflation, à 2,7% en février depuis le mois de décembre, s’explique par la composante énergétique et par des hausses de fiscalité indirecte, qui, masquent une dynamique des prix et des salaires en net ralentissement dans les pays du Sud. L’inflation sous-jacente, hors composantes volatiles s’est stabilisée à 1,5% en février, en ralentissement par rapport à la fin 2011.
Notre prévision d’inflation, cohérente avec les prévisions d’une Courbe de Phillips, prévoit une décélération de la croissance des prix à l’horizon 2013 (grâce aussi à des effets de base).
En effet, au-delà de notre hypothèse de stabilisation des prix de l’énergie, paradoxalement, ces pressions inflationnistes en amont portent le risque d’enchaînements de nature, eux, déflationnistes, notamment dans les pays de la périphérie : récession, déflation des prix d’actifs, montée des défauts et resserrement du crédit.
Le rattrapage salarial en zone dangereuse
En effet, les revendications salariales pour compenser les pertes de pouvoir d’achat ont une bonne chance de ne pas aboutir dans un contexte où le maintien dans l’emploi paraît l’objectif principal du monde salarié. Même dans cette île heureuse qui est l’économie allemande, où la situation de profitabilité des entreprises permet un rattrapage de la modération salariale qui avait suivi les premières années de la crise financière, le risque pesant sur l’emploi ne peut pas être écarté dans les branches exposées à la concurrence internationale. La bonne règle du respect des gains de productivité, dans un contexte de lent rétablissement de ces derniers, ne semble pas être oubliée par les partenaires sociaux. La résistance de l’inflation ne poserait donc pas un dilemme à la BCE dans sa politique de maintien d’un environnement monétaire favorable à la croissance, mais constituerait un élément supplémentaire pesant sur les revenus dans un contexte où l’austérité budgétaire écarte toute hypothèse d’une reprise soutenue de l’activité.