par Thomas Julien et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis
• Tandis que les chiffres de croissance du T4-11 ont été confirmés à 3,0% en rythme annualisé (ra), le «news flow» portant sur le premier trimestre de l’année reste globalement positif et les dépenses d’investissement des entreprises de même que le léger redémarrage de la construction devraient continuer de soutenir l’activité au cours de l’année.
• En parallèle, malgré un ralentissement des créations d’emplois en mars, le marché du travail offre une amélioration substantielle en ce début d’année, avec une baisse marquée des licenciements.
• Toutefois, la situation globale est toujours dégradée : le rythme des créations d’emplois est toujours inférieur à son niveau d’avant crise avec de surcroit l’émergence d’une classe de chômeurs de longue durée et de nombreux individus contraints de travailler à temps partiel.
• La question de la pérennité de cette reprise se pose également, dans la mesure où les chiffres de croissance semblent être décorrélés du rythme des créations d’emplois.
• Pour l’année 2012, nous anticipons un ralentissement des embauches en ligne avec la dynamique de croissance anticipée, qui se situe actuellement proche de son potentiel. Les perspectives pour 2013 sont en revanche moins certaines et dépendront de la politique fiscale qui sera effectivement mise en place.
Confirmation des chiffres de croissance du T4-2011
La troisième estimation du PIB pour le T4-11 n’a pas apporté de changements majeurs et ne modifie que très partiellement la lecture des chiffres de croissance : la consommation est restée inchangée à +1,6% T/T en ra, l’investissement en structures a baissé d’une manière moins prononcée, l’investissement en équipement et logiciels a progressé plus rapidement et la variation des stocks a moins contribué à la croissance ce qui au final traduit un rapport légèrement plus positif pour la composante investissement. Les exportations nettes ont en revanche été révisées à la baisse, avec finalement des exportations beaucoup moins dynamiques comparativement à la première estimation. Ce n’est toutefois pas surprenant, cette période coïncidant avec le creux du ralentissement dans les émergents.
Etant donnée le « news flow » toujours globalement positif nous avons maintenu nos prévisions de croissance à 2,4% pour l’année 2012 et à 1,8% pour 2013. L’économie américaine semble en effet profiter d’un nouveau cycle d’investissement lancé par les entreprises en deuxième partie d’année 2011, couplé à une légère amélioration de la construction résidentielle. Les consommateurs restent toutefois prudents malgré une baisse importante du taux d’épargne en février. En termes de croissance, l’année 2013 se caractérisera par l’expiration du stimulus fiscal et le déclenchement des programmes de consolidation budgétaire, qui pourrait peser de manière considérable sur les ménages.
Amélioration continue des chiffres de l’emploi…
Le marché du travail semble en revanche soutenir la confiance des ménages avec une embellie visible des créations d’emplois : les demandes d’allocations chômage avoisinent désormais 362K (en moyenne sur les quatre dernières semaines), un niveau comparable à celui qui prévalait en début de l’année 2008. En parallèle, malgré le ralentissement du mois de mars, les créations d’emplois dans le secteur privé (private NFP, establishment Survey) se sont avérées dynamiques en début d’année (+210K en moyenne sur les trois premiers mois de l’année contre +175K en moyenne en 2011) et même si elles sont largement tirées par le secteur des services, l’industrie manufacturière contribue aussi de manière positive. A noter également le fort ralentissement des destructions d’emplois dans les collectivités locales ces derniers mois. Le taux de chômage (Household Survey) a également évolué favorablement passant de 9,1% en août 2011 à 8,2% en mars, avec cette fois-ci une contribution plus forte des créations d’emplois au détriment des sorties massives de population active (excepté en mars).
…avec moins de licenciements…
La dynamique observée du marché du travail depuis la crise montre que le rythme des licenciements qui avait considérablement augmenté fin 2007 début 2008 est aujourd’hui revenu sur une tendance comparable à son niveau d’avant crise. En revanche, le rythme des embauches, qui avait également ralenti au cours de la crise, reste sur un niveau relativement faible, bien qu’en légère progression.
Cette tendance s’explique d’une part, par de moindres créations de postes par les entreprises (jobs openings) qui de plus ne se traduisent pas toujours par des embauches équivalentes. En effet, les secteurs qui ont détruit massivement des emplois au cours de la crise (construction, finance…) ne sont pas ceux qui créent des emplois aujourd’hui, ce qui peut engendrer un problème d’appariement (« mismatch ») entre offre et demande de travail. Le comportement prudent des entreprises peut également expliquer la vacance de certains postes tant que la reprise reste incertaine.
…mais une situation toujours dégradée
Par ailleurs, malgré la récente embellie, la situation globale est toujours loin de la normale. En effet, près de 3 ans après la fin de la récession (datée par le NBER), le niveau de l’emploi est toujours inférieur à celui d’avant crise.
Le chômage de long-terme, longtemps négligeable aux Etats-Unis atteint aujourd’hui un niveau considérable : presque 44 % des individus au chômage le sont depuis plus de 27 semaines. De plus, malgré la baisse récente du taux de chômage, la durée médiane du chômage s’est stabilisée à 20 semaines tandis que la durée moyenne continue d’augmenter et atteint aujourd’hui 40 semaines. Ceci suggère l’émergence d’une classe de chômeurs de très longue durée. L’observation des indicateurs alternatifs du chômage noircit davantage le tableau. Le nombre de personnes qui ne travaillent pas et ne recherchent pas ou plus d’emplois (donc non comptabilisé dans les statistiques officielles du taux de chômage) atteint 2,3 millions en février 2012 et le nombre de travailleurs à temps partiel pour des raisons économiques atteint 7,9 millions d’individus. Mais même si cette contrainte pèsera à moyen long terme sur la dynamique globale du marché du travail, elle ne devrait pas empêcher une reprise graduelle du marché du travail à court-terme.
Par conséquent, se pose la question du caractère structurel que peut prendre le chômage de longue durée. L’idée consensuelle (également défendue par la Fed) consiste à distinguer les effets temporaires et permanents. Le CBO a récemment introduit une nouvelle statistique pour mesurer le taux de chômage structurel de « court terme ». Selon ses estimations, ce dernier se trouve actuellement autour de 6% contre 5,5% pour le taux structurel de long terme qui reste relativement stable entre 5% et 5,5% depuis le début des années 1990. Selon le CBO, les effets temporaires devraient se dissiper vers 2018.
Le dynamisme des créations d’emplois va-t-il se poursuivre ?
Un autre sujet d’actualité concerne la pérennité de la reprise du marché du travail dans le cadre d’une croissance relativement limitée.
L’accélération récente des créations d’emplois et la baisse corolaire du taux de chômage ont mis à mal les relations qui s’observent en général entre emploi et croissance sur le long-terme. Ainsi, la loi d’Okun, qui stipule que tout point de croissance engrangé au dessus du potentiel de l’économie permet une baisse de 0,5 pt du taux de chômage se trouve malmené : les chiffres de croissance de l’année 2011 (+1,7%) expliquent difficilement la baisse de presque 1 point du taux de chômage observée sur la même période. Certes cette règle relève plus du calcul de coin de table, mais elle a le mérite de souligner un point important : l’amélioration récente du marché du travail est elle durable ?
Plusieurs hypothèses pourraient pour expliquer cette divergence (elles ont été avancés par Bernanke dans son discours sur le marché du travail): (1) le PIB pourrait éventuellement être révisé à la hausse, (2) la baisse du taux de chômage peut être biaisée par les sorties dans la population active et (3) le marché du travail bénéficie d’un effet de rattrapage par rapport aux destructions massives d’emplois en 2009. Les deux premiers facteurs pouvant difficilement expliquer la totalité de l’écart entre croissance et emploi, c’est donc l’hypothèse du rattrapage qui est privilégiée (notamment, par le président de la Fed).
Le ralentissement de la productivité
L’hypothèse du rattrapage a également été avancée pour expliquer le ralentissement récent de la productivité. Au cours de l’année 2011, après révision des chiffres, on note en effet un ralentissement de la productivité lié à une hausse marquée des heures travaillées et un rythme de croissance moins soutenu qu’en 2010. En parallèle, la mesure de salaires (compensation horaire) n’a augmenté que légèrement sur l’année, ce qui a toutefois fait rebondir les coûts salariaux unitaires, déprimés depuis la crise.
Le revenu des ménages continue de stagner
En parallèle, les salaires horaires publiés dans le rapport des NFP, continuent de ralentir en termes nominaux et baissent en termes réels depuis le début de l’année 2011. Cette évolution s’avère décevante compte tenu de l’importance croissante des salaires pour le revenu des ménages avec l’expiration graduelle des mesures fiscales de soutien et le redémarrage limité du crédit à la consommation. Nous anticipons le retour des salaires sur une tendance légèrement haussière au cours de l’année dans le cadre de l’amélioration généralisée du marché du travail. Toutefois, la déformation du partage de la valeur ajoutée devrait rester favorable aux entreprises et n’en permettra pas une hausse marquée.
Les perspectives pour l’emploi
La dynamique de croissance anticipée, qui se situe actuellement autour de son potentiel, plaide effectivement en faveur d’un rythme de création d’emplois moins soutenu (autour de 150K en moyenne par mois en deuxième partie d’année contre 196K attendue sur le S1). Le ralentissement des créations d’emplois (NFP) observé au cours du mois de mars, bien que surprenant au regard des autres indicateurs, pourrait indiquer le début de cette tendance. La présence d’un bruit dans les données statistiques lié aux ajustements saisonniers n’est toutefois pas à exclure.
Les perspectives pour 2013 sont toujours incertaines et conditionnelles à la politique de consolidation fiscale qui sera implémenté de manière effective. Nous anticipons pour le moment un ralentissement marqué de la croissance et des créations d’emplois. Ainsi, une fois pris en compte ce rythme moins soutenu des créations d’emplois et le retour progressif sur le marché des travailleurs découragés (une tendance qui s’annonce avec la baisse des sorties de la population active), le taux de chômage devrait continuer de baisser légèrement pour se stabiliser en 2013 en ligne avec le ralentissement de la croissance anticipée.