par Fabrice Jacob, Directeur Général de JK Capital Management
Nous avons rencontré un grand nombre de nos investisseurs européens en mars et sommes surpris de leur pessimisme envers la Chine. Comme jamais auparavant, les données macroéconomiques de la Chine sont disséquées avec un parti pris négatif, les analystes occidentaux s'efforçant d'identifier la faille qui fera s'effondrer toute l'économie de ce pays. Cette méfiance est motivée par le fait que, comme la Chine est la deuxième économie du monde et celle où la croissance est la plus rapide alors qu'elle garde un régime dictatorial, ceux qui ont d'elles une connaissance limitée ont peur.
Ces deux dernières années, seuls quelques gestionnaires de hedge fund pariaient contre l'Empire du milieu. Aujourd'hui, on dirait que beaucoup d'investisseurs anticipent sa chute. Je profite de cette occasion pour montrer à quel point ils sont pessimistes en examinant les statistiques macroéconomiques les plus récentes et la manière dont elles ont été analysées en Orient et en Occident. Je citerai ensuite quelques exemples illustrant les idées fausses sur la Chine que nous rencontrons fréquemment lors de nos voyages à l'étranger.
Commençons par l'inflation
En mars, l'indice des prix à la consommation a augmenté de 3,6 % contre 3,2 % en février, tandis que Bloomberg tablait sur 3,4 %. D'après les commentaires que nous lisions, la Chine ne pouvait plus se permettre d'assouplir sa politique monétaire parce qu'elle avait épuisé ses marges de manoeuvre. Rien n'est plus éloigné de la vérité. L'augmentation du taux d'inflation en avril est due uniquement au temps exceptionnellement froid du mois de mars. Il a fait bondir les prix alimentaires de 7,5 % par rapport à mars 2011 et, surtout, les prix des légumes frais ont flambé : +20,5 %.
A eux seuls, les prix des légumes expliquent 64 points de base de la hausse de l'indice des prix à la consommation observée en mars. Si on les retire, la dérive de l'indice des prix à la consommation n'est plus que de 3 %. Nous sommes à présent en avril, l'hiver est fini et les prix des légumes ont retrouvé leur étiage normal. Et l'on prévoit que l'IPC se repliera en deçà de son niveau de février, ce qui signifie qu'il sera nettement plus bas qu'en mars. Sa hausse devrait même tomber bien en dessous de l'objectif du gouvernement pour 2012 (4 %). Rappelons que l'inflation hors alimentation et énergie a été inchangée en mars à 1,4 % et que l'indice des prix à la production, dont la variation était nulle en février, a baissé de 0,3 % en mars.
L'indice PMI et les exportations sont aussi une source de malentendus
L'indice PMI HSBC/Markit est revenu de 49,6 en février à 48,3 en mars, ce qui a beaucoup inquiété les observateurs. Dans le même temps, l'indice PMI officiel a grimpé de 51 à 53,1, mais ce chiffre positif est passé quasiment inaperçu. Bien que l'indice PMI officiel ne soit pas corrigé des variations saisonnières, une telle divergence entre les deux a déjà été observée par le passé. L'indice PMI HSBC est axé sur les petites et moyennes entreprises du secteur privé, généralement exportatrices, tandis que l'indice PMI officiel appréhende surtout les entreprises nationalisées qui répondent à la demande intérieure.
Les exportations ont marqué le pas ces derniers temps, encore que les chiffres de mars soient meilleurs que ceux de janvier et février. Beaucoup de gens croient encore que l'économie chinoise est tributaire des exportations comme elle l'était il y a 10 ans. Mais beaucoup de choses ont changé depuis ; en particulier, les activités à faible marge ont été délocalisées au Cambodge et au Bangladesh sous la pression d'une augmentation régulière du salaire minimum. Les exportations nettes sont tombées à 1,9 % du PIB, contre 6 % en 2005. Quant aux exportations brutes, elles se montent à 26 % du PIB. Par comparaison, celles de l'Inde, de la Corée, de Taiwan et de la Thaïlande s'établissent respectivement à 24 %, 52 %, 76 % et 77 % du PIB. La Chine a changé et il semble que nombre de gens ne s'en soient pas encore rendu compte.
Enfin, la croissance économique
Le PIB a crû de 8,1 % au premier trimestre, sensiblement moins que les 8,9 % enregistrés sur les trois derniers mois de l'an dernier. Le marché s'attendait à +8,4 %. Ce chiffre est de toute évidence mauvais. Quatre autre statistiques sont parues simultanément : la production industrielle a progressé de 11,9 % contre 11,4 % en janvier et février, les ventes au détail ont crû de 15,2 % en glissement annuel, l'investissement de 20,9 % et la production de prêts a surpassé toutes les prévisions à 1 000 milliards de renminbis ; en particulier, les ouvertures de prêts sont supérieures de 25 % aux prévisions. A lire leurs commentaires de vendredi, tous les économistes de la région disent la même chose : la croissance de la Chine a touché son point bas, l'assouplissement de la politique monétaire commence à produire ses effets et il devrait être amplifié dans les semaines qui viennent.
Au contraire, aux Etats-Unis et en Europe, la plupart des commentateurs se sont focalisés que sur la variation passée du PIB et ont totalement laissé de côté les données prospectives. Ces statistiques ont valu aux actions H cotées à Hong Kong une hausse de 2,6 % vendredi dernier. En Europe, l'indice Eurostoxx a cédé 2,6 % et, aux Etats-Unis, le S&P s'est replié de 1,3 %, ce que les opérateurs de marché ont imputé, pour l'essentiel, aux statistiques chinoises. De toute évidence, l'Asie ne voit pas les chiffres du même oeil que les observateurs occidentaux.
Pour changer de sujet, je voudrais tordre le cou à deux erreurs fréquentes.
La première est l'idée communément répandue que l'économie des Etats-Unis dépend fortement de la Chine parce que cette dernière détient la majeure partie de l'encours de bons et obligations du Trésor américain. C'est faux.
Replaçons les chiffres dans leur contexte : les titres du Trésor américain en circulation valent approximativement 14 000 milliards de dollars. Or, les réserves de change chinoises pèsent 3 200 milliards de dollars, soit un quart seulement de l'encours des valeurs du Trésor américain. Sur ces 3 200 milliards, 1 100 milliards étaient investis en titres du Trésor américain à la fin de l'an dernier. Cela ne représente que 7,5 % de la dette des Etats-Unis. En fait, 70 % de leur dette publique est détenue par des institutions américaines qui continuent à financer le déficit de l'Etat autant que les Chinois. Ces 70 % sont répartis entre la caisse de la sécurité sociale, le fonds de retraite des fonctionnaires, le fonds de retraite des militaires et, surtout, les investisseurs institutionnels et les particuliers de nationalité américaine, qui se partagent 42 % de l'encours de la dette. La Chine est donc importante pour M. Bernanke, mais moins qu'on ne le dit. La seconde erreur concerne le marché de l'immobilier chinois.
Il convient d'expliquer pourquoi la demande pour l'immobilier est si forte en Chine et de montrer qu'elle repose sur des besoins réels et non sur la spéculation. On a tendance à mettre entre parenthèses la question de la demande en affirmant que, en dehors de l'immobilier, les Chinois, n'ont pas beaucoup d'exutoires pour investir la masse colossale des liquidités dont ils disposent : la Bourse, les statues en or ou les jeux à Macao. Ce point de vue n'est vrai qu'en partie. La principale raison pour laquelle la demande de logements est si forte tient à la fois à la législation, aux déséquilibres démographiques et au confucianisme.
Commençons par la loi. La loi instaurant la propriété privée pour l'immobilier en Chine est entrée en vigueur en 1993. C'était il y a 19 ans à peine. Auparavant, personne ne pouvait posséder le moindre bien immobilier. On habitait dans un logement mis à disposition par l'entreprise publique ou l'administration pour laquelle on travaillait. A l'époque, beaucoup de gens n'avaient pas une épargne suffisante pour acheter un appartement à l'approche de la retraite. C'est d'ailleurs encore le cas pour la plupart d'entre eux.
Prenons à présent le cas d'un couple citadin de trente ou quarante ans avec un enfant, c'est-à-dire très probablement un garçon puisque la répartition des naissances par sexe est très déséquilibrée en Chine. Dans une société aussi matérialiste que celle de la Chine, cet enfant, lorsqu'il sera un jeune homme, ne pourra trouver une épouse que s'il est propriétaire d'un logement. Jamais les parents de sa petite amie n'autoriseront leur fille à épouser quelqu'un qui n'est pas propriétaire. Une fois que les parents sont devenus propriétaires de leur logement, leur premier souci est donc d'acheter un appartement pour leur fils.
Leur deuxième priorité est d'acheter un appartement pour leurs propres parents, aujourd'hui âgés de soixante voire soixante-dix ans, qui sont encore locataires. C'est là qu'entre en scène le confucianisme : s'occuper de ses parents est un devoir.
La conclusion est simple : ce couple ne se contentera pas d'acheter son logement car il lui en faut au moins deux, sinon trois ou quatre : un pour lui-même, un pour le rejeton et deux pour les parents de chaque lignée, maternelle et paternelle. Cette configuration est unique au monde.