par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions chez Dexia AM
Une lutte sans merci se poursuit entre le processus de désendettement et la réponse politique. Les espoirs d’un rebond durable ont été réduits à néant par la dégradation de la situation du système bancaire et l’impact visible de la récession économique. La récession bât désormais son plein et la contraction de l’économie est proche de son rythme maximum.
Les investisseurs continuent à être hantés par le scénario d’une déflation. La réponse politique sera cruciale pour déterminer si la désinflation cyclique évolue vers une période de déflation bien établie et plus pernicieuse. Les dispositifs massifs de stimulation fiscale contribueront à amortir le choc mais il faudra du temps pour irriguer le système. Plus important, les investisseurs sont toujours à la recherche d’une solution définitive, convaincante et complète au problème bancaire.
La solution d’une « bad bank » semble gagner du terrain parmi les décideurs politiques. L’idée de racheter en masse les actifs toxiques fait écho à l’idée originelle de l’ancien Secrétaire d’État Paulson, abandonnée en faveur de l’investissement direct dans les banques après qu’il ait été conclu que le programme serait trop lent, coûteux et difficile à mettre en place. La décision de réaliser des investissements directs a permis d’éviter un effondrement du système financier en septembre mais a peu fait pour remettre les banques d’aplomb et pour restaurer leur capacité de financement de l’économie. Une « bad bank » seule ne peut suffire, il faudrait qu’elle fasse partie d’une réponse politique plus large, plus complète. Extraire les actifs toxiques des bilans des banques pourrait contribuer à éliminer une partie de l’incertitude qui plane sur leur état de santé, mais n’apporterait pas de solution au fait que beaucoup de banques ont besoin de plus de fonds propres. Pour cette raison, la constitution d’une « bad bank » ne sera probablement qu’un élément dans un effort plus large visant à permettre au crédit d’irriguer de nouveau l’économie.
D’un autre côté, quelques signes positifs sont peut-être en voie de se manifester. Un élément encourageant est en train d’émerger sur les marchés du crédit. Les spreads ont commencé à se resserrer et le marché obligataire des entreprises est en train de se réanimer, ainsi que nous l’avons constaté pour des signatures de catégorie Investment Grade (Schneider, EON, GDF …) qui ont procédé à plus de 40 milliards d’émissions en janvier. Ces émissions ont été très bien accueillies.
Nous allons assister au pire en termes de publications au cours du premier trimestre 2009, tant sur le plan macro que sur le plan des entreprises. Le premier trimestre 2009 va contribuer à remettre les pendules à l’heure pour ce qui concerne les anticipations de bénéfices, ramenées à un niveau plus réaliste. Mais le momentum macro va commencer à s’améliorer bien que partant d’un niveau relativement bas. La production industrielle mondiale a reculé de 20 % en taux annualisé au cours du quatrième trimestre et la détérioration ne peut tout simplement pas se poursuivre à ce rythme. Un mouvement de restockage devrait se manifester, naturellement avec le risque qu’il ne soit pas soutenu par une nouvelle source de demande. Nous ne prévoyons pas une stabilisation soudaine et miraculeuse de l’activité économique, nous estimons par conséquent que nous devrions assister à un accroissement de la divergence entre l’économie réelle et les marchés d’actions mais avec une forte possibilité de faux départs.
Il est essentiel de garder à l’esprit que le désendettement est un processus long de plusieurs années et que, dans la mesure où il n’existe pas de moyen unique et direct de sortir de la crise économique actuelle, la performance du marché des actions sera marquée par le conflit entre le processus de désendettement et la réponse politique. Nous allons probablement assister à une récession caractérisée par de multiples rechutes s’étendant sur plusieurs années jusqu’à ce que le nouveau catalyseur de la prochaine phase d’expansion mondiale se mette en place. Et un tel moteur de croissance devra être structurel. A notre avis, il s’agira de la consommation dans les pays émergents, particulièrement en Asie, hors Japon.
A la recherche de nouveaux évènements imprévisibles (Théorie des « black swans)
Les aberrations pourraient ne pas être des symptômes d’irrationalité mais indiquer des changements fondamentaux passés inaperçus dans le cadre du comportement habituel des investisseurs. Un « black swan » (ou évènement hautement improbable) est un choc violent, un évènement difficile à prévoir et apparemment rare qui peut se produire plus fréquemment que ce que l’on croît généralement. La faillite de Lehman Brothers restera dans l’histoire comme une bonne illustration de « black swan ». Dans l’environnement actuel, ce type d’évènement ne devrait plus être écarté, il devient une réalité plus fréquente. Nous essayons d’évaluer quel pourrait être le candidat le plus probable au titre de prochain « black swan ».
- Le retour de l’étatisme : on va inévitablement assister au cours des prochaines années à un accroissement de la pression fiscale et de l’interventionnisme des gouvernements, à la fois dans les secteurs bancaire et corporate, ainsi qu’à de nouvelles vagues de renforcement de la réglementation
- Instabilité géopolitique : une période marquée par un sévère affaiblissement de l’économie de la première puissance militaire mondiale a souvent mené à une plus grande instabilité dans le monde – Mondialisation: un point d’interrogation entoure la volonté d’étendre le libre échange et la mondialisation
Avec la montée en flèche du chômage dans de nombreux pays, les décideurs politiques s’inquiètent de plus en plus d’une réaction de rejet de la mondialisation et du libre-échange. De nombreux pays ont déjà pris des dispositions pour freiner les importations ou pour protéger leurs industries en difficulté et leurs économies. Le protectionnisme apparaît comme le candidat le plus probable au titre de prochain « black swan ».
Le déblocage du système bancaire
La crainte d’une vague de nationalisations à grande échelle figure désormais en tête des préoccupations des investisseurs après les conditions dans lesquelles le gouvernement britannique a renfloué RBS et Lloyds-HBOS. En effet, les dernières mesures de sauvetage financier dévoilées par le gouvernement britannique ont nourri les craintes que des nationalisations à grande échelle, effaçant toute valeur actionnariale, ne deviennent la norme. La leçon de ces deux dernières semaines est que, si des interventions spectaculaires sont satisfaisantes sur le moment, elles ne résolvent pas nécessairement les problèmes. La nationalisation peut s’avérer nécessaire mais n’est pas la panacée.
Le Trésor britannique va assurer les banques contre une large gamme de risques inscrits à leurs bilans, allant des prêts hypothécaires résidentiels et du papier commercial aux leveraged loans quelque soit la provenance de l’actif sous-jacent ou la devise dans laquelle il est libellé. Ce faisant, les autorités britanniques font le pari qu’en fournissant cette garantie contre de futures dépréciations, ces pertes auront une moindre probabilité de se réaliser. C’est là un énorme pari et, s’il échoue, les conséquences économiques pour le Royaume-Uni seront catastrophiques.
On en voit le reflet dans l’évolution des CDS. Jusqu’à présent, aucune solution définitive et complète n’a été trouvée pour résoudre les difficultés du système financier. Il est temps de traiter en profondeur le problème des actifs toxiques qui plombent le système bancaire.
Les dernières indications concernant le volume total des encours de prêt d’une douzaine de grandes banques américaines, qui ont reçu des capitaux du gouvernement fédéral, ont diminué de 1,4 % au cours du dernier trimestre, suscitant des doutes sur l’efficacité du plan Paulson.
Le capitalisme semble faire une trêve
2009 sera vraisemblablement une année au cours de laquelle la distinction entre risque souverain et risque de crédit continuera à s’estomper.
La Grèce est devenue le premier État de la zone euro à souffrir d’une dégradation de sa note souveraine. Ce pays est particulièrement vulnérable dans la mesure où il présente un ratio dette/PIB très élevé et le plus important déficit de la balance courante de la zone euro, ce qui le rend particulièrement dépendant des financements extérieurs.
Il est intéressant d’examiner ce qui se passe au Royaume-Uni. La situation s’y est tellement dégradée que le gouvernement doit désormais apporter sa garantie non seulement au système bancaire mais aussi aux lignes de crédit de fonds de roulement du secteur des petites et moyennes entreprises. Le monde capitaliste occidental est peut-être finalement en train de suivre le modèle chinois dans lequel le gouvernement décide de l’allocation du crédit.
Trop de gens sous-estiment la durée des mesures de stimulation fiscale. Le déficit budgétaire des États-Unis devra être beaucoup plus important que le déficit structurel. Etant donné que le taux d’épargne est en hausse à peut-être 6 % sur une longue période, si le déficit structurel de la balance courante restait à 4 % du PIB, le déficit fiscal global devrait atteindre 10 % du PIB. Le plan Obama pour une stimulation fiscale complémentaire de 5 % du PIB sur deux ans est tout simplement insuffisant. Un « paquet » plus important est nécessaire et il sera difficile d’échapper à des déficits énormes et prolongés.
Le piège des plans de sauvetage commence à émerger. La question clé à leur propos est de déterminer s’ils conduisent le gouvernement à exercer une influence sur le management, de telle manière qu’elle satisfasse des buts politiques mais qu’elle nuise à l’activité sur le long terme. Par exemple, GMAC a déclaré qu’il allait recommencer à prêter aux emprunteurs moins solvables, après la mise en place de son plan de sauvetage.
Il est désormais parfois plus coûteux de s’assurer contre le risque souverain que contre celui d’une banque privée (Santander contre l’Espagne par exemple). Comment expliquer cette étrange situation ? La première explication possible est que les investisseurs ont accepté le fait qu’après la débâcle de Lehman Brothers aucun gouvernement ne laissera une banque importante faire faillite.
Mais, naturellement, si un gouvernement ne veut pas laisser une banque faire défaut, la réalité économique sous-jacente est que les gouvernements européens supportent des contraintes fiscales et monétaires sur la façon d’intervenir. Quand le gouvernement irlandais a décidé d’offrir une garantie de couverture sur toutes les banques irlandaises, les spreads irlandais sur CDS ont commencé à monter de façon régulière. Le marché a clairement commencé à s’interroger sur la capacité du gouvernement irlandais de prendre en charge une dette aussi importante. La seconde raison est que la situation financière de certains états européens est réellement en piteux état et que le marché s’interroge sur la façon dont certains pays vont pouvoir surmonter la crise actuelle, ou sur la crédibilité de la prophétie de Milton Friedman selon laquelle l’euro ne survivrait pas à la première récession européenne.
Le risque de déflation revient sous les projecteurs
L’aggravation de la récession et la baisse rapide de l’inflation apparente ont ranimé les craintes de déflation. Celle-ci ne se résume pas à une inflation apparente entrant en territoire négatif par suite d’une baisse des prix alimentaires mais plutôt à un déclin généralisé d’une large gamme de prix.
Quand nous essayons d’identifier les signaux d’alarme de déflation, le problème est que nous disposons de relativement peu de périodes de déflation à prendre comme modèle. En effet, les deux seuls épisodes disponibles sont la Grande Dépression des années 30 et plus récemment le Japon des années 90. La déflation est définie comme une baisse persistante du niveau général des prix. Les indicateurs de diffusion devraient par conséquent constituer un guide utile pour mesurer à partir de quel moment les baisses de prix deviennent généralisées. Alors qu’au Japon la moitié des composants clé de l’indice des prix à la consommation étaient négatifs en glissement annuel à la fin des années 90, l’indicateur reste actuellement très faible aux États-Unis avec seulement 7 % d’entre eux indiquant une tendance déflationniste.
Un autre moyen d’étudier la déflation est d’observer un élargissement de l’écart de production. La déflation survient au cours d’un ralentissement économique ou d’une récession lorsque la demande baisse comparativement à l’offre et lorsque, pour rester concurrentielles sur le plan des ventes, les entreprises baissent leurs prix. Cependant, l’écart de production présente une plus forte corrélation avec les évolutions du taux de l’inflation sous-jacente plutôt que celui de l’inflation elle-même. Même si nous entrevoyons clairement la formation d’un écart de production négatif alors que la croissance ralentit fortement sous la tendance, l’inflation sous-jacente doit encore diminuer (l’inflation sous-jacente est encore proche de 2 % dans la zone euro et au Royaume-Uni).
La chute de la demande et des baisses de salaires pourraient s’alimenter mutuellement dans une spirale baissière. Par conséquent, la résistance des salaires est un élément déterminant à surveiller. Jusqu’à présent, la croissance des salaires demeure plutôt soutenue.
On a beaucoup glosé sur les options politiques disponibles quand les taux à court terme atteindront zéro et il existe un large consensus sur les options à considérer. Celles-ci comprennent l’achat de la dette à long terme du gouvernement pour réduire les rendements obligataires afin de stimuler l’activité, la dévaluation du taux de change, réévaluer les mérites de l’inflation (le rôle de la communication de la banque centrale est important), augmenter la cible d’inflation, introduire une cible de prix plutôt qu’une cible d’inflation, et enfin sous-financer la hausse des déficits budgétaires (création monétaire).
Nous pensons qu’il est toujours nécessaire de surveiller la dérivée seconde, c'est-à-dire l’évolution du momentum macro. Une nouvelle détérioration à partir de l’étiage économique constaté au cours du quatrième trimestre 2008 est hautement invraisemblable et nous avons vu récemment l’évolution des données statistiques montrer une certaine amélioration. En temps normal, si la dérivée seconde montre une amélioration, les actifs à risque augmentent. L’indice des nouvelles commandes de l’ISM manufacturier est l’un des meilleurs indicateurs avancés, disposant de l’historique le plus long pour la plus importante économie mondiale. L’histoire nous apporte de nombreux exemples de cas montrant que les actions rebondissent fortement quand les nouvelles commandes dépassent le seuil de 40.
Nous ne sommes pas en train de bâtir un argumentaire haussier autour de l’amélioration d’une sérié de statistiques mais plutôt de mettre en lumière la nécessité de devenir plus constructif, particulièrement sur certains secteurs cycliques bon marché (materials). Nous ne croyons pas à une rotation sectorielle, du fait que nous ne sommes pas engagés dans un cycle d’activité normal, mais simplement que certaines valeurs cycliques bon marché (actions minières, sidérurgiques) constituent des opportunités intéressantes.