Les faux pas de l’Espagne

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

Le flou qui entoure le sauvetage des banques coûte cher à l’Espagne. A 10 ans, l’écart entre le rendement souverain espagnol et son homologue allemand dépasse les 500 points de base. C’est avant tout l’absence de visibilité qui érode la confiance des investisseurs. Ces derniers se montrent réticents à financer une recapitalisation bancaire dont ils ne connaissent pas l’étendue complète. Pourtant, même à supposer que la recapitalisation totale s’élève à 100 milliards d’euros et soit intégralement prise en charge par l’Etat, cela représenterait 10% du PIB, loin des 45% du PIB du cas irlandais. Le sauvetage des banques gagnerait à être clairement (et indépendamment) estimé, plutôt qu’à se révéler au fil de l’eau.

Prise dans son ensemble, la dette espagnole est au même niveau qu’il y a deux ans (à environ 260% du PIB). Seule la répartition a changé (graphique). Le transfert de la dette privée vers la dette publique (et inversement) est un mécanisme classique. Lorsque l’activité se grippe, il est courant de voir l’Etat prendre le relais de la demande privée via des plans de relance ou plus simplement le jeu des stabilisateurs automatiques : la baisse des recettes et l’augmentation des dépenses répondent à la réduction de l’assiette fiscale et à la hausse du chômage. Le creusement du déficit public ouvre une fenêtre – temporaire – à l’assainissement des bilans du secteur privé dont l’expansion future permettra le retour à l’équilibre budgétaire. Ce jeu de vases communicants, en deux temps, s’opère sans tension obligataire si les marchés anticipent une réduction, sans recours, en t+1 des déficits publics creusés en t. Cela requiert une consolidation budgétaire crédible conduite au moment où l’activité est suffisamment résistante à la rigueur.

Or, malgré le possible octroi d’un délai supplémentaire, le calendrier de réduction des déficits imposé par la Commission européenne paraît trop serré. Il reflète autant le manque de coordination économique et politique en Europe que le déficit de confiance qui existe entre partenaires européens. En dépit des mesures d’austérité drastiques du budget espagnol 2012, les stabilisateurs automatiques continuent de peser à plein sur les comptes de l’Etat et les difficultés du secteur bancaire, non résolues, menacent le risque souverain.

Dans ces conditions, la recapitalisation du groupe Bankia fait figure de gageure malgré la faiblesse relative des montants en jeu (19milliards d’euros, soit moins de 2% du PIB) et le niveau, également relativement faible, de la dette publique espagnole (70% du PIB). Le problème se situe là, au niveau de la crédibilité. Il est peu probable que les difficultés du secteur bancaire espagnol ne se cantonnent à un seul établissement ni que les pertes ne concernent que les actifs liés à l’immobilier.

Un plan de recapitalisation, destiné à éviter le recours aux marchés, avait initialement été proposé. Ce dernier consistait en une injection directe d’obligations souveraines dans BFA, la maison mère de Bankia, contre l’entrée de l’Etat au capital. Utilisant les titres d’Etat comme collatéraux, BFA pouvait alors obtenir des liquidités auprès de la BCE et ainsi souscrire à l’augmentation de capital de Bankia. Sans surprise, cette option a été écartée par la BCE, s’apparentant à un financement direct de l’Etat espagnol par la banque centrale.

La recapitalisation de Bankia passera donc, probablement, par le FROB, le fonds de restructuration ordonnée des banques créé en 2009, qui réalisera pour cela une émission obligataire de 19 milliards d’euros avec la garantie de l’Etat espagnol. Cette solution sera forcément onéreuse, rendant plus difficiles d’éventuelles – et probables – nouvelles recapitalisations publiques. L’alternative consisterait à faire appel aux fonds de soutien européens, le FESF et le MES (activé le 1er juillet 2012), désormais utilisables pour recapitaliser les secteurs bancaires, mais qui supposent une requête de la part d’un Etat.

Pour l’instant, le gouvernement s’y refuse, préférant au coût politique, le coût financier d’une recapitalisation par les marchés. Il s’agit là d’une des faiblesses de la réponse européenne à la crise. L’appel à la solidarité financière est une démarche stigmatisante qui, jusqu’à présent, a échoué à restaurer la confiance des investisseurs. La Grèce, l’Irlande et le Portugal ont attendu d’être au pied du mur pour formuler leur requête. Evidemment, la facture s’en est trouvée alourdie, financièrement et socialement, pour les débiteurs comme pour les créanciers.

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