par Frédérique Cerisier et Caroline Newhouse, économistes chez BNP Paribas
Jeudi matin, à quelques heures encore du Sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement, les marchés n’espéraient plus d’avancées concrètes, tant le clivage apparaissait net entre tenants des réformes structurelles, nécessaires au renforcement de l’euro, et partisans d’une action d’urgence face à la crise. Alors que Chypre avait fait appel à l’aide internationale, les coûts de financement des dettes italienne et espagnole atteignaient des taux records, à respectivement 6,27% et 7% pour le 10 ans. Une situation qui ne pouvait durer. Les mesures d’urgence annoncées par le sommet de la zone euro, dès jeudi soir, répondent à la fois à la nécessité de rompre le "cercle vicieux" de dépendance entre la dette bancaire et la dette souveraine et la volonté de renforcer l’intégration du système financier européen.
Un mécanisme d’intervention plus rapide, plus souple et moins contraignant pour les Etats
Premièrement, un mécanisme unique de surveillance des banques européennes, auquel sera associée la BCE, va être créé. Deuxièmement, le Mécanisme européen de Stabilité pourra, sous conditions, recapitaliser directement les banques. Troisièmement, concernant les banques espagnoles, celles-ci seront recapitalisées par le FESF puis le MES qui abandonnera la seignorité de son statut. Enfin, le FESF/MES pourra intervenir « de manière souple et efficace » pour stabiliser les marchés financiers des Etats respectant leurs engagements européens. L’Italie et l’Espagne seront les premiers bénéficiaires de ces interventions.
Vers une "véritable union économique et monétaire"
Au-delà de ces avancées notables, MM. Von Rompuy, Barroso, Juncker et Draghi ont préparé un document qui esquisse de façon complète et cohérente une feuille de route pour une sortie "par le haut" de la crise actuelle et donnerait naissance à une union économique et monétaire beaucoup plus intégrée qu'à l'heure actuelle. En proposant d'avancer pas à pas, mais simultanément sur tous les fronts, ce document cherche à dépasser les positions allemande (les abandons de souveraineté sont un préalable) et française (la solidarité, c'est maintenant). A vrai dire, on en attendait pas moins d'un document dans lequel le président de la BCE a accepté de miser une partie de sa crédibilité, denrée précieuse en zone euro et dont la Banque centrale est la première garante.
Le rapport propose ainsi une vision de ce que devrait être, à horizon d'une décennie, la gouvernance de l'Union économique et monétaire. Quatre chantiers ont été identifiés (système financier, politique budgétaire, politique économique, représentation démocratique) pour lesquels il s'agit de parvenir à une intégration bien plus poussée des économies de la zone. Sur certains sujets, les grands mots sont lâchés. S’agissant de l’intégration financière, le mécanisme européen de supervision bancaire pourrait être complété par des systèmes communs de garanties des dépôts et de résolution des crises bancaires, qui, en dernier recours, pourraient s'appuyer sur les fonds du Mécanisme Européen de Stabilité. L’intégration budgétaire impliquerait qu’un Etat ne respectant pas les critères de dette et de déficit serait mis sous tutelle européenne : il n'aurait plus la possibilité d'émettre de la dette sans l'accord formel de ses partenaires ; une autorité européenne, du type ministère des Finances européen, serait en position d'imposer des modifications dans ses lois de finances. Au fur et à mesure qu'elle serait réalisée, cette intégration budgétaire pourrait s'accompagner d'un partage accru des risques, débouchant sur une forme ou une autre d'émissions de dettes communes. Enfin, ces abandons de souveraineté au profit d'institutions européennes ne pourront se concevoir sans un renforcement majeur de leur légitimité démocratique.
Cette feuille de route doit être transformée en véritable agenda. Les auteurs s’y sont engagés. Un rapport intermédiaire doit être livré en octobre, finalisé et formellement adopté – ou pas – par les chefs d'Etat et de gouvernement en décembre 2012. Il reste d’autres inconnues. Quels seront les modes d’interventions du FESF/MES ?
Ces interventions pourront-elles juguler les mouvements spéculatifs ? Une chose est sûre, la BCE sort renforcée d’un Sommet qui a entériné plusieurs de ses propositions. Dans ces conditions, elle a les coudées franches la semaine prochaine, notamment pour baisser ses taux.