par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse d’Amundi AM
Mi-juillet, les marchés financiers étaient encore soumis à un stress important : nombreux étaient ceux qui considéraient que la sortie de la Grèce de l’UEM pouvait être imminente, ou encore que l’Espagne se rapprochait dangereusement d’une véritable crise de solvabilité … la BCE ne montrait guère de signes d’apaisement, les indicateurs économiques chutaient et le débat austérité contre croissance prenait de l’ampleur. Bref, le stress financier gagnait du terrain. Il aura fallu attendre la fin du mois de juillet pour que le calme revienne.
Les européens faisaient preuve une fois de plus, d’une plus grande solidarité, le cas de la Grèce redevenait « isolé ». J.C. Juncker, président de l’Eurogroupe rappelait qu’une sortie de l’UEM de ce pays était gérable … un grand contraste avec la situation de 2011, synonyme d’un stress tel que la sortie de la Grèce de l’UEM était perçue par les officiels européens comme un séisme majeur pour l’Europe. Mais c’est surtout la BCE, qui par la voix de son président Mario Draghi, et par deux fois, a su redonner confiance aux marchés financiers.
Le caractère irrévocable de l’euro, la certitude que la BCE allait poursuivre ses achats d’éléments venus rappeler que la BCE ne souhaite pas un démantèlement de la zone.
Plus encore, de l’aveu même de son président, elle sera prête à acheter – pour des montants illimités, mais stérilisés – la dette courte des pays ayant fait appel à l’aide du FESF / MES. Une telle aide est synonyme de contraintes et de rigueur fixées par la Troïka. « Tout cela sera suffisant, faites moi confiance », avait insisté Mario Draghi fin juillet. Au total, les marchés financiers ont montré depuis le 24 juillet un tout autre visage. L’Eurostoxx et le CAC 40 progressent respectivement de 18% et 14,5% depuis cette date, tandis que le DAX affiche +13% (+22% depuis janvier). Même tendance sur les taux : les spreads souverains se sont fortement resserrés contre Allemagne : -7pb pour la France, -190pb pour l’Irlande, -358pb pour le Portugal, -370pb pour l’Espagne et -265pb pour l’Italie. Dans le même temps, la remontée du 10 ans allemand n’était finalement que de 28pb. La surperformance du Portugal par rapport à l’Espagne est liée à quatre facteurs : i) la perspective d’un surplus primaire dès 2012, ii) la perspective d’un retour de la croissance dès 2013, iii) des commentaires plutôt favorables de la part de la Troïka, et enfin iv) des échanges très limités (30 millions € en moyenne par jour), un atout en période de détente sur la crise de la dette souveraine. L’Espagne, de son côté, reste sans conteste le maillon faible : niveau du déficit budgétaire, ampleur de la récession, poids de la dette des régions, niveau du chômage, créances douteuses, état du secteur immobilier, disparition du modèle de croissance … autant de facteurs qui rendent ce pays extrêmement vulnérable. A noter cependant qu’Espagne et Portugal ne sont plus dans la même catégorie : l’un est «investment grade», et l’autre «speculative grade», et le Portugal est «sous perfusion» depuis quelques trimestres (aide financière et plan de redressement sous l‘égide de la troïka). L’apaisement des marchés ne doit pas masquer les questions importantes, dont certaines restent sans réponse.
Grèce : in ou out ?
Notre scénario est inchangé. Tant que les pays européens souhaitent aider la Grèce, et tant que les autres pays européens doivent faire face à des problèmes similaires, la Grèce ne sortira pas de la zone euro. Les risques de contagion sont trop forts. La Grèce n’est pas totalement un cas isolé, et même si les lignes de défense sont sorties renforcées au cours des derniers trimestres, les pays européens ne prendront pas le risque d’une contagion généralisée. En revanche, si la croissance économique de la zone euro venait à sombrer davantage, il sera bien difficile de contenir les envies pour certains pays d’en sortir, qu’il s’agisse de pays en difficulté ou même de pays ne souhaitant plus participer au financement collectif. Le risque de démantèlement à court terme de la zone euro est devenu un risque à plus long terme. Le risque n’a pas disparu, il a changé de nature et d’horizon.
Espagne : problème de liquidité ou problème de solvabilité ?
La question reste d’actualité. Certes, l’Espagne continue de se financer, et les dernières adjudications sont plutôt rassurantes, avec des taux d ’ intérêt quasiment 100pb au dessous des adjudications de la mi-juillet. Certes, elle a encore de la ressource, essentiellement via les dispositifs européens (EFSF / ESM et désormais BCE), qu'elle devrait utiliser très bientôt. La situation reste cependant compliquée, le recours externe étant finalement la seule option crédible pour ce pays.
Espagne : too big to fail … ou too big to save ?
Grande question. Il est évident que sans aide extérieure, l’Espagne n’y arrivera pas. Encore faut-il que les pays de la zone euro acceptent une telle aide. Ce n’est pas un hasard si M. Rajoy a «visité» l’Allemagne, mais aussi bientôt la Finlande pour expliquer son projet et s’attirer les faveurs de pays désormais au bord de l’exaspération. Ce n’est pas un hasard non plus si l’Espagne est le prochain pays à demander de l’aide, vraisemblablement après la prochaine réunion de l’Eurogroupe (mi septembre).
Que peut faire la BCE ?
Acheter des obligations souveraines et conserver des taux d’intérêt faibles, cela semble évident et inévitable.
La situation économique dégradée, le manque d’enthousiasme de certains investisseurs, et la taille du FESF / MSE certes importante, mais insuffisante pour résoudre à elle seule la crise actuelle … tout cela rend indispensable l’action de la BCE. Nul doute que l’on se retrouvera dans quelques temps avec un bilan de la BCE encore plus grand, et une part d’obligations souveraines encore plus forte.
La différence, c’est que la BCE n’assurera pas à elle seule le soutien aux pays. Seuls les pays ayant accepté les contraintes de la Troïka (FESF / MES) auront « droit » à l’aide de la BCE.
Problème de dette … combien de temps encore ?
Le cycle de désendettement public durera plusieurs décennies. En fait, cela peut être pire que cela encore. Il suffit de regarder l’évolution de la dette au Japon ou encore aux Etats-Unis pour constater que la dette peut progresser rapidement, fortement, en données brutes et en pourcentage du PIB. Sauf à renier ou réduire une partie de sa dette, il n’y a pas d’exemple dans l’histoire permettant de constater une réduction rapide de la dette publique. Tant qu’elle se finance aisément, ce n’est pas un problème, a-t-on coutume de dire … avec pour exemple le Japon (dette publique/PIB proche de 250% mais achetée à plus de 95% par les japonais eux-mêmes). Ce qui pose problème, c’est bien l’impact de la dette sur la croissance. On sait que l’accumulation de déficits a tendance à peser sur la consommation via l’effet d’équivalence ricardienne : l’augmentation de la dette publique (et des déficits) fait craindre des hausses de fiscalité, ce qui pèse sur la consommation et sur la croissance (les ménages préfèrent ainsi épargner en vue des hausses de fiscalité à venir), et cela dégrade en retour recettes fiscales et équilibres budgétaires. Pas toujours facile à démontrer empiriquement, cette « équivalence » pourrait bien jouer dans la situation actuelle qui vise à instaurer l’austérité budgétaire comme principal rempart à l’augmentation de la dette. Autrement dit, il est bien peu probable que les pays européens soient capables de renouer rapidement avec un potentiel de croissance élevé. Selon Moody’s, la résolution de la crise de la dette est en cours, et une partie du chemin a été réalisée : les programmes de réformes structurelles sont au mieux réalisés à 50%, selon le pays en question, mais les déséquilibres économiques vont encore durer plusieurs années.
Récession ou crise financière ?
Cela fait désormais près de 6 ans que la crise a démarré, changeant régulièrement de forme : crise financière, puis crise économique et financière, crise d ’ endettement, crise économique …. Le risque majeur est qu ’ une récession sévère et généralisée entraîne une nouvelle crise financière qui a de grandes chances d’être généralisée, si elle intervient. L’enjeu est de taille. Sans croissance, ce n’est pas que l’UEM qui est en danger. D’ailleurs, en juillet, l’accélération du stress financier provenait d’indicateurs économiques décevants (quasiment partout dans le monde, y compris en Chine), du débat austérité vs politique de croissance … Il est frappant de remarquer qu’au cours du mois d’août, les perspectives économiques décevantes (qui nous ont amenés à revoir à la baisse les prévisions de croissance de l’Allemagne, de la France, de la Zone euro, mais aussi de l’Espagne, de l’Italie, de la Chine et du Royaume-Uni, entre autres) ont été masquées par les propos certes encourageants de Mario Draghi.
Quels préalables à une reprise économique ?
Le constat est finalement assez simple. Certains pays ont un niveau d’endettement privé trop élevé. On évoque souvent le cas de l’Espagne ou de la Grèce, mais l’Irlande, les Pays-Bas ou encore le Danemark ne sont pas en reste.
Du point de vue de l’endettement des ménages, c’est finalement l’Italie qui est le moins en risque en Europe (Danemark et Pays-Bas ont de loin les ménages les plus endettés). Hormis la réduction des déficits publics, la réduction des déficits commerciaux et courants est un deuxième préalable. La faible compétitivité, la désindustrialisation sont des dossiers cruciaux pour de nombreux pays de la zone euro. Allemagne et Pays-Bas mis à part, presque tous les autres pays ont fait face à cette situation (voir l’amélioration de l’Irlande sur ce point), y font face (l’Espagne ou la Grèce en sont les deux exemples actuels les plus significatifs) … ou vont y faire face (la France, qui voit son déficit commercial s’accumuler depuis plus de 15 ans, risque bien de devenir emblématique). Enfin, la confiance passera par une amélioration des conditions du marché de l’emploi : cela est valable partout en Europe, où chômage (voir l’Espagne, la Grèce …) et précarité (même en Allemagne) ne cessent de progresser.
Quels préalables à une « disparition » de la crise de la dette
Nous avons souligné à maintes reprises que l’objectif était de passer d’une situation de gestion de crise de la dette (qui entraîne stress, contagion, dissensions politiques … et nécessite des mesures à chaud) à une situation de gestion du désendettement (qui permet de mettre en place des mesures structurelles, de long terme … et qui se décident dans l’apaisement.
Pour passer d’un état de crise à un état de gestion de dette, il y a selon nous, deux préalables indispensables :
- Le retour de la confiance
- L’éloignement du risque d’insolvabilité
Premier préalable : le retour de la confiance
Il faut rappeler que la notion de dette souveraine euro a perdu de sa substance. En fait, elle n’a plus lieu d’être. Le marché de la dette est considérablement fragmenté, avec d’un côté des pays du noyau dur bénéficiant de taux anormalement bas, avec un rendement faible, un couple rendement – risque sans attrait et un risque totalement asymétrique, et de l’autre côté des pays périphériques avec également un risque élevé (risque de défaut), des spreads élevés mais qui représentent le niveau de risque.
Ajoutons à cela que le faible niveau des taux permet à certains pays de financer « trop » facilement leur dette et n’incite pas à mener rapidement des réformes structurelles pourtant nécessaires. Par ailleurs, plus du tiers de la dette euro n’est plus accessible aux investisseurs étrangers (Espagne et Italie notamment financent leur dette grâce à la présence des investisseurs domestiques … tandis que d’autres marchés sont quasiment fermés, avec des volumes quotidiens ridiculement faibles). Il faut dire que dans ces pays, le cercle vicieux récession – déficit public – austérité – récession n’a rien de rassurant, en dépit de spreads de crédit élevés.
Le retour de la confiance est en réalité la seule option pour pouvoir mettre en place dans le temps des réformes structurelles parfois lourdes et le plus souvent inévitables, mais aussi la seule façon d ’ atténuer l’impatience voire l’exaspération de nombreux investisseurs internationaux. Il ne faut surtout pas confondre confiance et répit. La confiance est un concept de long terme, le répit est une notion de court terme. Malheureusement, la quasi-totalité des actions menées jusqu'à présent par les gouvernements, les sommets européens, les banques centrales … ont représenté des répits, et dans de nombreux cas ont fourni des occasions de prendre des profits ou de sortir du marché de la dette européenne à un meilleur prix. Les actions des gouvernements devraient représenter des « portes d’entrée » au marché européen, pas des « portes de sortie ». Tant que ce n’est pas le cas, on restera dans des situations de rally dans des marchés baissiers. 98 La confiance passe également par la conviction d’un engagement fort des pays européens. Nombreux sont les cas de discorde entre pays, et à l’intérieur même de certains pays. Parler d’une seule voix reste primordial.
Second préalable : l’éloignement du risque d’insolvabilité
Il y a trois principales raisons au désengagement de nombreux investisseurs, notamment non européens (ce qui implique des taux plus élevés, des spreads plus élevés, des primes de risque plus grandes …). La trop faible capacité à maîtriser la contagion pendant de nombreux trimestres : trois ans après le début de la crise de la dette, les solutions ne sont pas encore totalement connues et le dispositif anti-crise et anti-contagion n’est toujours pas complété. Dans ces conditions, les craintes d’insolvabilité ont gagné du terrain.
Les pays périphériques en crise n’ont toujours pas convaincu qu’il leur était possible de réduire les risques de défaut sauf à disposer d’une aide de la part des pays partenaires … qui n’arrivent pas à convaincre qu’ils vont parvenir à mettre en place un dispositif commun (fédéraliste, mutualisé … voir notre édition Cross Asset de juillet – août).
Et ce n’est évidemment pas le repli des conditions économiques en zone euro qui ajoute de la crédibilité en ces capacités. L’un des éléments clef des semaines à venir repose sur la mise en place du dispositif combinant Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), Mécanisme Européen de Stabilité (MES) et Banque Centrale Européenne (BCE). Les questions sont simples, mais parfois sans réponse : quel sera le rôle respectif de ces institutions ? Quelles seront les actions de taille limitée et de taille illimitée ? Quelle sera la taille totale du dispositif de soutien ? Ce soutien sera-t-il durable ? Y a-t-il des dates butoirs pour certaines composantes du dispositif ? Quand sera effectivement mise en place l’Union Bancaire Européenne ?
Au total, au regard des conditions actuelles et des incertitudes encore grandes, il faut évidemment se réjouir de l’atténuation de la situation de crise et de la remontée des marchés d’actions et de crédit. La déconnexion récession – stress financier donne une idée claire de l’impact des propos du gouverneur de la BCE. Mario Draghi a de façon évidente la capacité à calmer la crise et influencer les gouvernements.
En fait, force est de reconnaître que la BCE a su regagner la crédibilité qui était la sienne il y a quelques années et, plus encore, que la BCE est finalement la seule institution européenne réellement crédible. Il est heureux de constater que les divergences de vue à l’intérieur de cette institution (voir encore tout récemment la position isolée de la Bundesbank sur les achats de titres) n’ont pas entamé sa crédibilité. Par le LTRO, elle avait pu atténuer les risques d’illiquidité des banques, et par le « Outright Monetary Transactions» (le nouveau programme d’achats conditionnels de papiers souverains courts), elle parviendra à atténuer les risques d’illiquidité des Etats de la zone euro.
Est-ce suffisant pour renverser la tendance et éloigner durablement les risques ? On peut en douter. Le risque majeur, c’est bien de voir les conditions économiques se dégrader davantage, un risque qui viendrait rappeler la fragilité de la zone euro. .