par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
Le Conseil des gouverneurs a maintenu hier ses taux directeurs inchangés, à l’unanimité, tout en conservant un biais à l’assouplissement. Nous continuons de tabler sur une baisse du taux Refi de 25 pdb en décembre (et sur un taux de la facilité de dépôt stable à 0 %), le risque étant de voir une telle décision décalée en 2013.
La BCE a clairement indiqué qu’elle était prête à activer son programme de rachats de titres d’Etat (OMT) dès lors que les gouvernements rempliraient les conditions requises. La balle est plus que jamais dans le camp de Madrid pour débloquer la situation.
Sur les autres sujets du moment, Mario Draghi n’a pas fait preuve de flexibilité : il a notamment écarté tout rééchelonnement de la dette grecque détenue via le programme SMP, et il a par ailleurs précisé qu’un accès « complet » au marché serait requis dans le cas du Portugal et de l’Irlande afin que ces pays bénéficient du programme OMT.
Bien que la réunion de la BCE ait été délocalisée à Ljubljana (Slovénie), Mario Draghi n'avait pas visiblement pas l’intention de s'éterniser en conférence de presse. Dans l’ensemble, le président de la BCE a expédié une série de questions qui lui ont été adressées en répétant les arguments avancés le mois dernier, notamment sur la question de l’indépendance de la BCE et des conditions requises pour l’activation de son nouveau programme OMT (Outright Monetary Transactions). Un mois à peine après la présentation des OMT, le maintien du statu quo sur les taux n’a surpris personne, d’autant que plusieurs membres du Conseil des gouverneurs, dont Nowotny et Coeuré, avaient laissé entendre récemment que l’opportunité d’une nouvelle baisse de taux n’était plus aussi évidente qu’auparavant. L’option d’une baisse des taux n’a même pas été évoquée hier et la décision de maintenir le statu quo a donc été prise à l’unanimité.
En revanche, la BCE conserve un biais évident à l’assouplissement de sa politique monétaire dans un contexte de ralentissement économique et de niveaux hétérogènes de l’activité, de hausse du chômage, de resserrement de l’offre du crédit et d’absence de pressions sous-jacentes sur les prix. Le risque, selon nous, est désormais celui d’un décalage du prochain geste sur les taux, compte tenu de l’insistance de M. Draghi sur l’objectif de restauration de la transmission de la politique monétaire qui devrait précéder tout recours à l’outil conventionnel des taux d’intérêt. Si la BCE se tient effectivement à cette hiérarchisation de ses objectifs (la « réparation » des canaux de transmission du crédit et des taux d’abord, la baisse des taux ensuite, de façon à ce que cette dernière soit mieux transmise à l’économie réelle), alors la prochaine baisse de taux que nous prévoyons toujours pourrait être différée au début 2013.
La situation macro-économique reste, au mieux, contrastée
L’activité économique se stabilise à des niveaux bas, avec des différences marquées d’un pays à l’autre. En particulier, les enquêtes de confiance auprès des ménages et des chefs d’entreprise, comme les indices PMI de la zone euro, ne font état d’aucun redressement significatif de la confiance après le lancement du programme OMT. Au contraire et exception faite de l’Allemagne, le ralentissement est généralisé, y compris dans les pays du noyau dur comme la France. Il ne fait aucun doute que les données disponibles plaident toujours en faveur d’une nouvelle baisse des taux. La BCE prévoit toujours des risques à la baisse pour la croissance à court terme, ce qui pourrait se traduire par de nouvelles révisions des projections du staff de la BCE lors de la réunion de décembre.
L’inflation a rebondi à 2,7 % en zone euro en septembre sous l’effet des prix élevés de l’énergie et de la hausse de la TVA en Espagne. Toutefois, la BCE n’a exprimé aucune inquiétude concernant la dynamique sous-jacente des prix, les risques pour les perspectives d’inflation restant « globalement équilibrés ».
La croissance de la masse monétaire est en repli en raison d’effets de base mais aussi de la modération des flux mensuels de crédit, de la préférence accordée à la liquidité et de l’assainissement en cours du bilan des banques.
On observe une détente progressive sur les marchés financiers, à la faveur des annonces faites par la BCE. A noter tout particulièrement, comme l’a indiqué M. Draghi, que les données récentes indiquent une stabilisation des déséquilibres Target2 et des afflux de capitaux en direction de l’Italie (notamment les dépôts bancaires) au mois d’août. Ces indicateurs de fragmentation financière seront déterminants pour estimer l’impact des mesures de la BCE. Pour le moment, cette dernière reste prudente, indiquant qu’il est trop tôt pour dire si les scénarios extrêmes ont été écartés pour de bon.
S’agissant du processus d’exécution budgétaire, les résultats récents sont contrastés : l’Irlande et l’Italie sont en bonne voie d’atteindre leur objectif de déficit annuel pour 2012 (objectif révisé dans le cas italien), tandis que l’Espagne semble en retard à mi-année.
Les développements récents sur le plan politique n’ont pas permis de clarifier la séquence des événements à venir. Le gouvernement espagnol a annoncé une série de mesures fiscales et structurelles pour se conformer aux objectifs budgétaires de 2013 et aux exigences de la Commission européenne. Toutefois, aucune précision n’a été donnée sur une éventuelle demande d’aide financière officielle de la part de Madrid ; M. De Guindos, ministre de l’économie a, au contraire, démenti qu’une décision dans ce sens serait prise dans les prochains jours, ajoutant que le gouvernement continuait à « étudier » les différentes options qui s’offrent à lui ainsi que le programme de la BCE.
Dans un tel environnement, aussi incertain, la BCE n’a apporté que de très légers changements à son discours. La seule modification notable du paragraphe introductif se limite à la dernière phrase, dans laquelle la BCE note que le risque de matérialisation des scénarios catastrophes pour la zone euro a diminué depuis l’annonce de son programme OMT. La BCE réitère également son engagement prioritaire à restaurer la transmission de la politique monétaire tout en respectant son mandat de stabilité des prix. En dehors des considérations de très court terme, le reste du communiqué est quasiment un « copié-collé » de celui du mois dernier.
L’Espagne au centre de toutes les attentions pendant que la périphérie poursuit son ajustement
Mario Draghi n’a fourni aucun détail supplémentaire sur le dispositif OMT ou son déclencheur, rappelant que le Conseil des gouverneurs était « prêt à activer » le programme une fois toutes les conditions réunies. Le dispositif, a déclaré le président de la BCE, doit être approuvé par les gouvernements nationaux qui ne doivent pas nécessairement mettre en place de nouvelles mesures draconiennes d’austérité mais plutôt s’engager par écrit à lancer de nouvelles réformes et accepter un suivi régulier. Il s’est par ailleurs défendu de nuire à l’indépendance de l’institution en reposant ainsi sur une décision d’ordre politique, seule solution selon lui pour préserver le mandat de la BCE.
S’agissant de l’Espagne, la BCE semble partager l’opinion positive de la Commission européenne sur les mesures budgétaires et structurelles annoncées la semaine passée, sachant qu’il appartient au gouvernement lui-même de faire la demande, et que la balle reste donc fermement dans le camp de Madrid. Draghi n’a fait aucune allusion dans sa déclaration aux commentaires plus mitigés du gouverneur de la Banque d’Espagne, Luis María Linde, selon lequel le gouvernement espagnol risque de ne pas atteindre son objectif budgétaire en 2012 (en raison notamment de la hausse de l’inflation entraînant une augmentation des dépenses au titre des retraites et un dérapage budgétaire dans les régions) ni en 2013 (principalement du fait d’une hypothèse « optimiste » portant sur une contraction de 0,5 % du PIB en 2013).
Pour ce qui est de la Grèce, M. Draghi a réaffirmé sa position selon laquelle tout réaménagement ou rééchelonnement des titres de dette grecque détenus dans le cadre du programme SMP reviendrait à un financement monétaire et donc à une violation du Traité. Cela nous conforte dans l’idée que la BCE n’apportera pas de soutien direct à la Grèce tant qu’un accord n’aura pas été trouvé au niveau politique, et en tout cas pas via des mesures susceptibles de générer des pertes au niveau de l’Eurosystème. Rappelons que la BCE s’est d’ores et déjà engagée au début de cette année à redistribuer les bénéfices nets qu’elle réaliserait sur son portefeuille de titres grecs après l’annonce du plan de participation du secteur privé (PSI)1, même si cette notion de redistribution des profits est quelque peu faussée.
En effet, la BCE répartit déjà ses profits et pertes 2e.0ntre les Banques Centrales Nationales (BCN) comme l’exigent ses statuts. La seule différence dans le cas de la Grèce viendrait du fait que les BCN feraient transiter ces flux par leurs trésors -p1.u0blics nationaux afin de les reverser in fine à la Grèce.
Concernant le Portugal, Mario Draghi a souligné que par le programme d’ajustement et les réformes structurelles mises en place, le pays avait accompli des «progrès des plus remarquables » au point de faire figure d’exemple. En revanche, il a précisé que les opérations récentes sur le marché de la dette (l’adjudication de bons du Trésor à 18 mois et l’offre d’échange de titres visant à réduire le besoin de financement en 2013), aussi « rassurantes » soient-elles, ne témoignaient pas d’un « accès plein et entier au marché », condition préalable applicable aux pays de la zone euro faisant l’objet d’un plan de sauvetage intégral pour bénéficier du programme OMT (ce dernier n’ayant pas vocation à se substituer à un accès insuffisant au marché primaire). On peut considérer que cette définition de l’accès au marché est plus stricte que ce que la BCE avait initialement laissé entendre, lorsque le programme OMT avait été décrit comme un moyen d’accompagnement des pays sous programme qui « regagnent » un tel accès au financement de marché. Le Trésor public portugais pourrait toutefois relancer un programme d’émission de dette plus ambitieux, revenant ainsi à la situation antérieure au programme d’aide, et bénéficier à terme d’un accès total au marché avant l’échéance prévue par la Troïka. Une telle annonce pourrait être faite prochainement, ce qui renforcerait la probabilité d’une intervention de la BCE sur le marché obligataire portugais dans les prochains mois.
Concernant le cadre institutionnel européen, la gouvernance économique, ainsi que la perspective d’une union bancaire et d’un mécanisme européen de supervision unique, Mario Draghi a de nouveau appelé à une accélération des réformes en liaison avec le Conseil de l’UE. A propos du communiqué publié par les ministres des Finances allemand, néerlandais et finlandais, et des doutes exprimés sur la processus de recapitalisation directe des banques par le Mécanisme Européen de Stabilité financière (MES), M. Draghi a insisté sur le fait qu’il fallait au préalable s’entendre sur une définition des « actifs bancaires hérités du passé (bank legacy assets) » avant d’envisager leur traitement par le MES. Autrement dit, les négociations se poursuivent et il existe probablement une marge de manœuvre de part et d’autre. Enfin, la BCE publiera bientôt un avis juridique en réponse aux réserves exprimées récemment sur sa capacité à intervenir en qualité de superviseur unique des banques commerciales européennes.
NOTES
- Cela pourrait avoir lieu à la fin de l’année dans le cadre de l’examen annuel des comptes de profits et pertes.