par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Cette semaine, la Fed a publié le Beige Book, le rapport sur l’état de la conjoncture américaine diffusé avant chaque réunion du FOMC. Il décrit un fléchissement de l'économie, comme en témoigne notre Index A2F (un indicateur qui fait le solde des termes relatifs à la force ou à la faiblesse des différents indicateurs), qui a diminué de 4,4 points. Il s'agit de la cinquième baisse consécutive qui a conduit l'indice à son plus bas depuis octobre de l’année dernière.
Bien sûr, les dommages et perturbations causées par l'ouragan qui a durement frappé les districts des Fed de New York et de Philadelphie (ainsi que dans une moindre mesure ceux des Fed de Boston et Richmond) a joué un rôle, mais il a surtout accentué une faiblesse préexistante. Le principal élément empêchant un rebond marqué de l’économie est «l'incertitude et les préoccupations au sujet du budget fédéral, en particulier le Fiscal Cliff».
À ce propos, les négociations sur l'avenir des finances publiques fédérales continuent à Washington. Pour éviter le Fiscal Cliff et augmenter le plafond de la dette fédérale, le Congrès et le Président doivent s'entendre sur les moyens de faire baisser d’environ USD 4 000 mds le déficit projeté sur les 10 prochaines années. Après les élections, les deux partis ont affirmé leur conviction qu'un accord serait trouvé avant Noël. Mais jusqu’à présent, ils continuent de parler beaucoup plus de cette certitude que de l’évolution des négociations…
Certes, plusieurs membres du parti républicain ont déclaré qu'ils étaient prêts à envisager une augmentation des recettes, c’est-à- dire une augmentation des impôts sans toucher aux taux d'imposition grâce à l'élimination ou à la limitation des niches fiscales. Certains d'entre eux ont également proposé des moyens pour réduire les dépenses liées à la Social Security et à Medicare (les programmes fédéraux de retraites et ce couverture maladie pour les personnes âgées, respectivement) qui pourraient contenter les démocrates, en augmentant les primes dont doivent s’acquitter les bénéficiaires les plus aisés de Medicare tout en limitant le montant de leurs retraites.
Ayant à l'esprit les difficultés des pourparlers bipartites au cours de l’actuelle législature, nous ne pouvons que douter de la capacité des politiques américains à s‘accorder sur un plan global. Le risque principal est qu'ils décident un correctif à court terme (reporter d’un an, voire pire, de six mois le Fiscal Cliff) arguant qu’ainsi, ils bénéficieront de plus de temps pour élaborer un plan global. Cette rhétorique est à l’œuvre depuis trop longtemps et son inefficacité a été maintes fois prouvée : jamais aucun plan global ou même partiel n’a été proposé. Une solution à très court terme est inévitable car le Fiscal Cliff frappera l'économie américaine dans quelques semaines alors que le plafond de la dette fédérale devra une fois de plus être relevé peu de temps après. A un mois à peine de Noël, il est illusoire de penser que le Congrès peut résoudre les problèmes à moyen terme de déficit du gouvernement fédéral. Le type de solution apportée à court terme sera décisif. Si l’accord se contente de reporter les problèmes avec une promesse vague d’apporter une solution plus tard, aucun soutien à la reprise ne sera apporté. Mais si la décision ouvre à la voie à un plan complet et détaillé qui sera examiné et adopté par la suite au Congrès, cela pourrait fonctionner. Si suffisamment de détails sont rendus publics, les entreprises et les ménages seront en mesure d’anticiper les impôts qu’ils auront à payer et les subventions et autres transferts auxquels ils pourront prétendre à l'avenir, leur permettant de prendre des décisions en termes de consommation, d’épargne, d’investissement et d’endettement.
Le défi est de taille, alors que les incitations à agir restent limitées. Tout d'abord, le pouvoir est divisé, et donc la responsabilité d’une absence de décision serait partagée. En outre, les taux d'intérêt restent très faibles, ce qui signifie que la dette peut être refinancée à moindre coût. Ceci est rendu possible par l'orientation très accommodante de la politique monétaire ainsi que par les achats de Treasuries par les investisseurs étrangers officiels qui n'ont d’autre choix que de détenir du dollar tant que celui-ci est la principale monnaie de réserve internationale.
Si l'économie américaine devait ne pas éviter le Fiscal Cliff, elle replongerait en récession, ce qui conduirait le nombre de chômeurs à croître de nouveau, creusant le déficit du budget fédéral et conduisant à davantage d'austérité aux niveaux inférieurs de gouvernement (Etats et collectivités locales). Cela remettrait en question la capacité de l'économie américaine à croître tout en augmentant l'encours de la dette, c'est à dire une recette parfaite pour une augmentation subite des rendements des Treasuries qui pourrait conduire à un effet boule de neige tout en exerçant davantage de pressions à la baisse sur le secteur privé.
Ceci reste un scénario catastrophe et nous sommes toujours convaincus qu'un accord sera conclu. Nous doutons toutefois encore que le type de plan complet qui est nécessaire sera adopté. Ce dont l’Amérique a besoin, c’est d’une réforme complète de la fiscalité au niveau fédéral (avec l'élimination des crédits d'impôt aussi inutiles que coûteux) et des programmes obligatoires (avec la fixation d’un prix adéquat pour la couverture santé pour les retraités les plus riches) qui permettrait au gouvernement de lever les fonds nécessaires pour assurer la croissance de demain en finançant les besoins en éducation, infrastructures et recherche et développement.