par Alan Lemangne, économiste chez Natixis
Réunis à l’occasion du Conseil des Affaires économiques et financières (Ecofin) mardi dernier, les ministres européens des finances ne sont pas parvenus à s’accorder sur le projet d’une supervision bancaire à l’échelle européenne. Le Mécanisme de supervision unique (MSU) vise à transférer la fonction de supervision des établissements de crédit depuis les institutions nationales (banques centrales ou autorités indépendantes) vers la Banque centrale européenne (BCE), laquelle serait dès lors en charge de la supervision de plus de 6 000 établissements.
Première étape vers une union bancaire européenne, le transfert de la fonction de supervision à l’échelle fédérale s’inscrit dans la logique de défaire le lien, aujourd’hui trop étroit, qui s’est tissé entre banques et Etats en raison des aides publiques versées aux établissements en difficulté et à l’exposition des banques aux dettes souveraines européennes. Un accord sur une supervision unique ouvrirait en effet la voie à la recapitalisation directe des banques par le fonds de secours européen (MES), sans que cela ne passe par le budget des Etats.
Toutefois, si l’annonce de ces mesures lors du Sommet européen de juin dernier avait suscité l’enthousiasme, les négociations butent aujourd’hui sur deux principaux points d’achoppement, révélateurs de profondes divisions des Etats membres autour de la question. La première ligne de fracture relève de l’articulation entre la future compétence de supervision de la BCE et de celle des régulateurs nationaux. Plusieurs Etats membres, en premier lieu desquels l’Allemagne et la Suède, soulignent l’incapacité pour une seule autorité de superviser plus de 6 000 établissements. Le débat porte dès lors sur la définition de la taille critique des établissements qui seront placés sous le giron de la supervision BCE, les Etats les plus sceptiques demandant à ce que celle-ci soit limitée aux établissements considérés comme systémiques. Les autres, en revanche, appuyés par la Commission, la Présidence du Conseil et la BCE elle-même, avancent qu’afin d’assurer la pleine crédibilité du MSU, la supervision doit s’appliquer à l’intégralité des établissements.
Seconde difficulté : l’équité des droits au sein du futur Conseil de supervision de la BCE entre les Etats membres de la zone euro et les Etats hors euro désireux de participer au mécanisme de supervision. Afin de cloisonner les fonctions de supervision et de politique monétaire, les Etats membres se sont en effet accordés sur la nécessité de créer un second conseil, totalement indépendant du Conseil des gouverneurs (chargé de piloter la politique monétaire). Toutefois, sous couvert de l’argument selon lequel l’objectif de stabilité des prix doit rester prioritaire sur celui de stabilité financière, le projet actuel inclut la possibilité pour le Conseil des gouverneurs (au sein duquel les Etats non-membres de la zone euro ne sont pas représentés) de modifier les décisions prises par le futur Conseil de supervision. Cette proposition a provoqué une levée de boucliers parmi les Etats hors euro, lesquels craignent de se voir imposées des décisions par un organe au sein duquel ils ne sont pas représentés.
Face à la persistance de ces désaccords, la présidence chypriote de l’Ecofin a proposé la semaine dernière un texte de compromis, selon lequel les régulateurs des Etats hors euro ne seraient pas liés par les décisions de la BCE en matière de supervision. Toutefois, si cette proposition vient potentiellement régler la question de l’équité des droits au sein du Conseil de supervision, celle de la taille critique des banques intégrées à la supervision BCE reste ouverte.
Afin de régler ce dernier point d’achoppement, les ministres des finances se réunissent à nouveau à Bruxelles le 12 décembre prochain, avant le Sommet européen des 13 et 14 décembre. L’atteinte d’un consensus au cours de cette réunion exceptionnelle apparaît néanmoins grandement difficile au vu de l’ampleur des divisions au sujet du futur périmètre de supervision. Et si un accord à minima devait être trouvé, le risque serait alors de voir l’essence du projet initial substantiellement édulcoré afin de satisfaire les Etats les plus sceptiques, compromettant alors la crédibilité de l’intégralité du projet. Enfin, même dans le scénario d’un accord, l’objectif fixé lors du Sommet européen d’octobre d’établir un cadre législatif au MSU avant le 1er janvier 2013 apparaît aujourd’hui presque impossible. L’adoption du règlement conférant une tâche de supervision à la BCE nécessite en effet l’accord du Parlement européen, lequel vient tout juste d’entamer les débats à ce sujet cette semaine.
Au total, il devient de plus en plus improbable que le cadre législatif soit adopté avant la fin du mois, repoussant dès lors l’échéance au mois de janvier 2013. Avec la nécessité de trouver un accord sur le programme d’aide à Chypre avant la fin du mois de janvier le report des négociations budgétaires au mois de février, le calendrier institutionnel risque donc d’être particulièrement chargé en début d’année.