par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• Il s’en est fallu de peu que la BCE ne baisse ses taux ce mois-ci. Une baisse aurait été justifiée compte tenu des révisions à la baisse des projections du staff de la BCE. Ces dernières tablent désormais sur une récession en 2013, une reprise de l’activité extrêmement lente au-delà et, surtout, un taux d’inflation bien inférieure à la cible de 2% à moyen terme.
• En conséquence, une autre baisse de taux reste probable début 2013 même si le calendrier semble plus incertain que jamais. Nous tablons sur un geste de 25 pb sur le principal taux de refinancement de la BCE au premier trimestre 2013, probablement en mars, lors de la prochaine actualisation des projections du staff. Le taux de la facilité de dépôt devrait être maintenu à 0%.
• L’évolution des taux directeurs en zone euro reste étroitement liée aux données à venir, ainsi qu’aux conditions de marché. De ce point de vue, on ne peut exclure une bonne surprise début 2013 qui permettrait à la BCE de maintenir le statu quo.
• La BCE a étendu ses procédures d’appels d’offres illimités, à taux fixe, pour l’ensemble de ses opérations de refinancement jusqu’en juillet 2013, comme prévu. Aucune autre mesure n’est attendue pour soutenir la liquidité interbancaire à ce stade.
La BCE fixe ses taux directeurs sur la base d’une stratégie à deux piliers et d’un horizon de prévisions de 18 à 24 mois. Après la révision des projections du staff des économistes annoncée cette semaine, ces dernières font désormais état d’une croissance inférieure au potentiel (-0,3 % en moyenne en 2013 et +1,2 % en 2014, impliquant une reprise très lente de l’activité en rythme trimestriel) et, surtout, d’une inflation inférieure à l’objectif de la BCE en 2013 (1,6 %) et en 2014 (1,4%). En théorie, une telle dégradation des perspectives économiques devrait aller de pair avec un fort biais à la baisse des taux (c’est le cas aujourd’hui, selon notre analyse), sinon un assouplissement de la politique monétaire (ce qui n’est pas, encore, le cas). La balance des risques demeure inchangée : ils restent orientés à la baisse pour l’activité et toujours équilibrés pour l’inflation.
C’est la prévision d’inflation pour 2014 qui est la plus frappante pour une banque centrale qui n’a qu’un objectif, la stabilité des prix. Jamais ces prévisions n’ont été aussi basses depuis décembre 2009 (dans un contexte marqué par des craintes déflationnistes). Il faut souligner par ailleurs qu’une modération des tensions inflationnistes a toujours été le principal argument invoqué par la BCE pour justifier une détente monétaire, y compris en octobre 2008 après la faillite de Lehman Brothers. Notre interprétation après la conférence de presse de cette semaine est donc que la BCE conserve un fort biais baissier, davantage qu’il y a un mois, malgré l’amélioration (timide) de certains indicateurs économiques.
Preuve supplémentaire que la BCE était aujourd’hui à deux doigts de baisser les taux, cette déclaration de Mario Draghi selon laquelle il y a eu « un large débat [sur le niveau des taux directeurs] mais le consensus s’est finalement porté sur le maintien du statu quo ». Relativement aux déclarations du mois dernier, on peut en déduire qu’un plus grand nombre de membres du Conseil des gouverneurs ont probablement plaide en faveur d’un geste sur les taux avant de se rallier au consensus. Sur la question2.5cr2u.c5iale du taux de rémunération des dépôts auprès de la BCE, M. Draghi a ajouté que le Conseil était « prêt sur le plan opérationnel » mais que « la discussion ne s’était pas étendue sur ce sujet».
Nous continuons de penser que le taux de dépôt ne sera pas abaissé en territoire négatif, tout en reconnaissant que ce dernier commentaire ne permet pas d’exclure une telle possibilité dans l’absolu. En revanche, il s’agit peut-être là d’un moyen de gérer les anticipations de marché afin notamment de maintenir une pression à la baisse sur l’ensemble de la courbe des taux. Enfin, dans un cas extrême de risques déflationnistes accrus, une prévision d’inflation à 1,4% à moyen terme, voire plus basse encore, pourrait même justifier de nouvelles mesures non conventionnelles. Ce n’est pas notre scénario central.
Nous prévoyons une baisse de 25 pb du taux « Refi » par la BCE au premier trimestre 2013 (un décalage d’un trimestre 2012 par rapport à nos prévisions précédentes). Cette décision pourrait intervenir dès le 10 janvier, surtout si les nouvelles données sont décevantes, mais selon nous la BCE sera tentée d’attendre jusqu’en mars 2013 lorsque les projections du staff seront de nouveau actualisées. Comme nous l’indiquions dans notre dernière note (ECB preview: if not now, then when?), il est difficile de dire quels seront les facteurs susceptibles de faire pencher la balance en faveur d’une baisse des taux. Après la conférence de presse de cette semaine, il nous semble que deux conditions au moins devront être satisfaites :
1. Les risques baissiers sur l’activité doivent se matérialiser tout au moins en partie. Le jugement sur les perspectives économiques à court terme a été revu en baisse dans le communiqué officiel de la BCE, mais Mario Draghi a néanmoins fait remarquer que certains indicateurs économiques s’étaient récemment stabilisés, citant l’indice IFO allemand et l’enquête de l’INSEE en France, tandis que d’autres données « restaient orientées à la baisse ». Le président de la BCE a par ailleurs ajouté que le sentiment de marché s’était encore amélioré au cours du mois écoulé. Toutefois, ces deux arguments restent fragiles. Même si les Etats-Unis finissent par aboutir à un accord pour éviter la « falaise budgétaire » (fiscal cliff),les mesures d’austérité en zone euro continueront de peser fortement sur la demande domestique l’année prochaine. Par ailleurs, l’écartement ponctuel des spreads périphériques observé cette semaine suite à de nouvelles tensions politiques en Italie notamment doit faire office de piqûre de rappel.
L’incertitude reste élevée ne serait-ce qu’en raison du long et douloureux processus d’intégration en zone euro. En témoignent une nouvelle fois les prévisions du staff de la BCE, caractérisées par une large dispersion autour de la médiane. C’est notamment le cas de la fourchette de prévisions relatives à l’inflation en 2014, qui va de 0,6 % à 2,2 %. Autrement dit, le degré de confiance du staff dans ses propres prévisions n’est probablement pas très élevé.
2. La BCE ne doit pas être contrainte d’adopter de nouvelles mesures non conventionnelles en 2013, en dehors de la mise en œuvre éventuelle du programme OMT. Il faut, par ailleurs, selon le Conseil des gouverneurs, une amélioration des canaux de transmission de la politique monétaire pour que le bénéfice d’une baisse des taux s’en trouve augmenté. « Dans une certaine mesure, la BCE a déjà pris l’essentiel des mesures nécessaires », a déclaré Mario Draghi, faisant allusion au soutien de nature non orthodoxe. La BCE doit désormais se recentrer sur la politique monétaire conventionnelle pour qu’une majorité de membres du Conseil des gouverneurs accepte l’idée d’une baisse des taux, selon nous.
Une chose est sûre : la décision de baisser les taux directeurs sera dans une large mesure fonction des données à venir et des décisions prises sur le plan politique (ou l’absence de décisions). Mario Draghi n’a pas caché que « la BCE resterait attentive à l’évolution de la situation ». L’accord, auquel les chefs d’Etat et de gouvernement pourraient aboutir sur des sujets brûlants comme la supervision bancaire et l’intégration politique et budgétaire lors du sommet des 13 et 14 décembre prochains, pourrait également peser dans la balance. Par ailleurs, étant donné que la BCE a maintenu le statu quo cette semaine malgré la nette révision à la baisse des projections du staff, le risque demeure qu’elle parvienne finalement à éviter un nouvel assouplissement. Cependant, compte tenu de la prudence qui ressort du communiqué et de la conférence de presse d’aujourd’hui, il y a toujours de fortes chances pour que la BCE délivre finalement cette dernière baisse de taux que nous prévoyons depuis plus d’un an maintenant.