par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse d’Amundi Asset Management
Après trois années de crises de dette aux profils de risque bien différents, il est utile de s’attarder sur les perspectives à venir, non seulement pour l’immédiat (2013), mais aussi pour les années à venir. L’objet de cet article est de présenter les différents scénarios et risques en vigueur, mais aussi d’en tirer les conséquences pour les prévisions macroéconomiques et financières, ainsi que pour les stratégies d’investissement.
2011 : l’année de tous les dangers…
De nombreux facteurs de risque ont émaillé toute l’année 2011. On peut les dénombrer aisément :
- Un défaut de la Grèce ;
- La décision de la Grèce de sortir de l’UEM ;
- La décision des pays européens, allemands et français en tête, de pousser la Grèce hors de la zone euro ;
- L‘éclatement de la zone euro ;
- La faillite des banques, incapables de faire face à leurs besoins de liquidité ;
- Le refus de la BCE d’acheter des obligations souveraines ;
- L’incapacité de la Grèce de racheter sa dette ;
- L’incapacité des européens de trouver une solution passant par une restructuration de la dette ;
- L’incapacité des européens à mettre en place une telle solution, à supposer qu’elle existe ;
- L’impossibilité de restructurer la dette grecque
- Le rejet de l’UEM par l’Allemagne ;
- Un défaut de l’Irlande ou du Portugal ;
- …
Ces facteurs de crise ont gagné de l’ampleur tout au long de l’année, et nous avons en conséquence assisté à des mouvements de marché violents :
- De très vastes élargissements des spreads de certains pays périphériques ;
- Une contagion graduelle de la Grèce vers l’ensemble des pays périphériques ;
- Des banques forcées de céder des actifs afin de réduire leur bilan et leurs risques (les banques des pays du noyau dur ont ainsi cédé des obligations souveraines des pays périphériques, ce qui a lourdement pesé sur les dettes souveraines) ;
- Un repli généralisé de la croissance économique européenne ;
- Une vulnérabilité de l’euro ;
- Une chute des marchés d’actions ;
- Une très forte volatilité sur les actifs risqués et sur les dettes souveraines ;
- Des politiques monétaires « anormalement » accommodantes ;
- Une très forte corrélation de l’ensemble des classes d’actifs, qui intégraient en fait le même facteur de risque ;
- Une très forte corrélation des marchés des pays composant la zone euro ;
- L’apparition d’un facteur unique de risque dans les portefeuilles, quels qu’ils soient… ce qui a très fortement handicapé les décisions d’allocations d’actifs ;
- L’apparition de divergences, dislocations et anomalies : nombre de valeurs ont ainsi clôturé 2011 avec des valorisations extrêmement éloignées de leurs valeurs d’équilibre ;
- Bref, un stress financier hors norme, bien pire que celui qui avait prévalu lors de la crise financière de 2008. C’est dans ce climat que s’est terminée l’année 2011 : des valeurs et des marchés aux valorisations attractives, mais incluant des risques d’une ampleur parfois inconnue.
2012 : du cauchemar à la réalité
Force est de reconnaître qu’aucune des craintes ne s’est réellement matérialisée. Il y a eu trois événements clés en 2012, des événements qui ont complètement changé la donne :
- En premier lieu, la restructuration de la dette grecque (fin 2011), de grande ampleur, mise en musique facilement et rapidement, et sans contagion. En somme, un événement jugé impossible quelques semaines auparavant. Certes, cela n’a pas rendu la Grèce solvable pour autant, mais la volonté et la cohésion européenne ont été démontrées.
- Ensuite, le recours par la BCE aux LTRO, qui a bien montré que le rôle d’une banque centrale (qui en doutait vraiment ?) est de fournir de la liquidité aux banques. Au-delà de cela, les deux programmes de liquidités ont considérablement amélioré la santé des banques sur ce point : la durée moyenne des prêts de la BCE aux banques est passée tout simplement de 30 jours à plus de 900 jours ! L’opération de février a également indiqué que l’opération de décembre n’était pas isolée. La BCE a montré sa grande détermination à préserver le système bancaire européen dans son intégralité.
- Enfin, la perspective de la mise en place du programme OMT a rassuré les détenteurs de dettes obligataires souveraines. Après la liquidité des banques, la BCE a montré qu’elle se tenait prête à assurer la liquidité des Etats. Certes, ses interventions seront conditionnelles, mais elles seront aussi théoriquement illimitées. En clair, la BCE est en mesure d’acheter des dettes souveraines de maturité 2 et 3 ans pour des montants illimités, au prix pour l’Etat qui en fait la demande, d’une mise sous tutelle économique.
Les prévisions des Cassandre ne se sont donc pas réalisées : la Grèce est toujours dans l’UEM, celle-ci existe encore, l’Allemagne n’a pas « jeté l’éponge », les banques n’ont pas fait faillite, la BCE est bien le prêteur en dernier ressort effectif, la contagion a cédé du terrain … et les marchés financiers ont montré en 2012 un tout autre visage :
- Le stress financier a reflué en deux grandes vagues : la première était liée aux LTRO et la seconde aux perspectives des programmes OMT. Cette « BCE dépendance » montre à quel point cette institution est crédible, et à quel point les marchés avaient la conviction que la solution ultime devait passer par elle.
- Les spreads de crédit souverains se sont considérablement resserrés : il ont chuté de près de 600pb pour le Portugal, de plus de 200pb pour l’Italie, de 340pb pour l’Irlande, mais il a progressé de 70pb pour l’Espagne, qui a passé une année bien difficile.
- Les marchés boursiers ont livré une belle performance : + 29% pour le DAX, +15% pour le CAC, +23% pour le Nikkei, +13% pour le S&P500…
- Le marché du crédit a également livré une performance spectaculaire : +27% pour le High Yield européen (+15% aux Etats-Unis), +13% pour l’Investment grade européen (+10% aux Etats-Unis)…
Il serait naïf de croire que ces performances sont liées à un retour de l’optimisme. La croissance économique, l’emploi, la gouvernance de la zone euro sont autant de risques qui n’ont pas disparu : pour preuve, malgré le repli du stress et l’éloignement du risque de crise extrême, les rendements des valeurs refuge n’ont guère souffert. Les taux longs allemands, français sont à leurs plus bas historiques, mais les spreads souverains se sont fortement repliés. La faible inflation, la faible croissance, les anticipations de politique monétaire, les fortes injections de liquidité tassent bien évidemment les taux d’intérêt vers le bas, mais cela ne suffit pas à expliquer le seul mouvement des spreads.
On peut mettre en avant au moins trois raisons à la bonne tenue des marchés financiers européens en 2012 : d’une part les réels progrès des européens dans la gestion de la crise de la dette, d’autre part le regain de croissance dans le reste du monde (Etats-Unis, Chine et monde « émergent » en général), et enfin la prise de conscience que les sous- pondérations dans les portefeuilles étaient sans doute exagérées. Les crises ont pour vertu de générer des dislocations et des anomalies, des corrélations anormales, et donc des écarts de valorisations (absolues et relatives) injustifiés sur la seule base des fondamentaux. Le reflux du stress financier, la possibilité de sélectionner pays, secteurs, titres obligataires ou actions ont néanmoins redonné de l’intérêt aux stratégies de correction de ces niveaux anormaux.
2013 : stop ou encore ?
L’année 2013 va débuter sous de bons auspices pour les marchés européens, au moins en apparence : un stress financier au plus bas depuis plus d’un an, des portefeuilles internationaux sous-pondérés en actifs européens, et particulièrement zone euro (ce qui signifie a priori que les marchés prennent déjà en compte les grands facteurs de risque et comportent de bons potentiels de hausse), une volatilité faible sur l‘ensemble des classes d’actifs… Ne négligeons cependant pas les risques, et cela pour de nombreuses raisons : la volatilité – très basse – peut rapidement remonter, ainsi que le stress financier, et certaines classes d’actifs risqués ont délivré de très fortes performances en 2012… que peut-on attendre de plus en 2013 ?
Notre scénario central pour 2013 est associé à une probabilité de 60% seulement, est-on tenté de dire. Ce scénario fait état d’une reprise de la croissance mondiale (de 3,1% à 3,5%), grâce aux économies « émergentes » et aux Etats-Unis, l’Europe restant nettement en retrait. L’Espagne connaîtrait une nouvelle année de récession, plus forte qu’en 2012. Les gains de compétitivité-coût tardant à se traduire par des gains de compétitivité-prix, l’Espagne ne bénéficierait pas tout de suite et pas totalement de l’impact de la hausse du commerce mondial, tandis que chômage, contraction du crédit et austérité des politiques budgétaires et fiscales continueraient à mordre dans l’activité économique. Dans ce scénario, les banques centrales maintiennent des taux directeurs très bas, et ce partout dans le monde. La remontée des taux longs serait ainsi faible et très progressive, et ils ne reviendraient pas vers leurs niveaux d’équilibre, pas plus au Japon, aux Etats-Unis, en zone Euro qu’au Royaume-Uni. Malgré cela, et même si nous restons plus réservés que le consensus (trop élevé à notre goût) quant aux perspectives de profit des entreprises, il nous semble raisonnable, notamment du fait de la forte sous-pondération des portefeuilles internationaux en actions européennes, de miser sur une performance à deux chiffres en 2013 pour les actions de la zone euro. Cela vaut aussi pour les marchés émergents.
Le crédit reste attractif, mais la belle performance de 2012 (gain en capital et portage) a bien peu de chances de se renouveler en 2013, les gains en capital devenant sans doute plus faibles. Par ailleurs, les expositions actuelles en zone euro sont assez généralement exprimées via le crédit et non via les actions, et nombre de portefeuilles sont ainsi surexposés sur cette classe d’actifs. Autrement dit, il conviendra de se repositionner graduellement des obligations d’entreprises vers les marchés d’actions. Parmi les hypothèses relatives à ce scénario, on rappellera par exemple l’amélioration des conditions de solvabilité de l’Espagne (recours au programme OMT), la progression de dossiers européens tels que l’intégration ou encore l’arrêt des politiques d’austérité. Un premier signe a récemment été donné, FMI et européens avouant officiellement qu’il ne sera pas demandé davantage d’austérité à l’Espagne.
Dans les pays périphériques, seule l’Italie a nos faveurs, mais le risque politique actuel doit être suivi de très près. La faible volatilité (généralisée) doit néanmoins être un sujet de préoccupation, alors que subsistent des risques similaires à ceux de 2011 et 2012, et que se profilent des élections à risque (Italie, Allemagne notamment). Autrement dit, compte tenu de la persistance de ces risques, la bonne tenue des marchés depuis un an doit-elle être interprétée comme un renversement de tendance ou une réelle complaisance ? Dans notre scénario, ce n’est ni l’un ni l’autre.
Les flux de capitaux vont sans doute être déterminants, surtout dans la première partie de l’année parce que les portefeuilles internationaux sont encore trop sous-investis en Europe, et plus particulièrement en actifs de la zone euro. Les conditions économiques restent cependant mauvaises, et la macroéconomie redeviendra – tôt ou tard – un des éléments essentiels de l’allocation d’actifs.
Le scénario de risque ayant la probabilité la plus forte (30%) est un scénario baissier, essentiellement en ce qui concerne la zone euro. L’Espagne est un facteur de risque majeur, mais ce n’est pas le seul : on peut ajouter notamment le secteur immobilier dans certains pays (en Espagne, bien sûr, mais aussi aux Pays-Bas par exemple), et la contraction du crédit. Le crédit bancaire est reparti aux Etats-Unis et le secteur immobilier contribuera positivement à la croissance en 2013, ce qui ne sera pas le cas pour la zone euro. L’emploi sera également un facteur essentiel, positif aux Etats-Unis, et défavorable à la consommation et à la croissance en Europe. Rappelons également que le cycle de deleveraging des banques n’est pas terminé, et que la contraction du crédit est très nette dans les pays périphériques. Le taux de rejet des crédits aux PME est en forte progression en France (contrairement à l’Allemagne), ce qui ajoute un effet négatif sur l’emploi, les PME représentant un bassin d’emplois et de créations d’emplois important.
Le dernier scénario est associé à une faible probabilité (10%). Il s’agit du scénario optimiste, mettant en avant une progression de la croissance globale, y compris en zone euro. Cette dernière bénéficierait dès 2013 de l’expansion du commerce mondial et de la croissance mondiale. Dans ce scénario, la crise européenne disparaît alors que les pièces manquantes du puzzle européen se mettent rapidement en place : union bancaire, intégrations politique, budgétaire et fiscale plus forte ; forte progression des obligations espagnoles (de maturité courte), mises sous la tutelle explicite et effective de la BCE… bref un plaidoyer fort pour les marchés d’actions, mais aussi pour la poursuite de la belle progression des marchés d’obligations d’entreprises. Dans un tel cas de figure, nous assisterions à une remontée plus rapide des taux longs, à une repentification des courbes LIBOR, et un resserrement des spreads des obligations gouvernementales jusqu’à leurs niveaux d’équilibre.
(…) L’enjeu de 2013 concerne le scénario 2 : tout repli des craintes sur ce scénario sera d’autant plus favorable aux marchés européens – et notamment à la zone euro – que les portefeuilles internationaux sont sous pondérés Europe. Il y a fort à parier que d’ici quelques mois, la probabilité des scénarios de croissance (S1 + S3) progresse au détriment de celle concernant S2… les marchés financiers pourraient dès lors se positionner dans l’attente du scénario 3, ce qui serait bénéfique à la fois aux actions et aux obligations crédit, favorisant ainsi une remontée plus rapide des taux longs souverains.
2014 – 2015 : que peut-on espérer ?
2011 et 2012 ont été des années aux facteurs de risques similaires, mais aux trajectoires diamétralement opposées. 2013 est une année charnière, plus qu’une année de transition. C’est en effet en 2013 que nous aurons des réponses aux deux questions essentielles – et facteurs de risques majeurs – qui se posent en ce début d’année :
- L’activité économique sombrera-t-elle en Europe ? Les gains de compétitivité-coût des pays périphériques se matérialiseront-ils en gains de compétitivité-prix ? La croissance mondiale sera-t-elle suffisante pour réduire les craintes relatives à la zone euro ? Le risque macro risque de (re)devenir dominant.
- La crise de la dette continuera-t-elle de se muer en une situation dans laquelle les pays ne seront plus confrontés « qu'à » des problèmes de maîtrise de dépenses publiques et non plus à une situation de crise ? La remontée du risque systémique et de la volatilité sont dans ce contexte des risques majeurs.
Ces questions sont d’autant plus cruciales qu’elles concernent des portefeuilles déjà en mode « risk on ». Ce qui se passera en 2013 sera déterminant pour les allocations d’actifs des quelques années à venir. Les trois scénarios présentés ci-dessus génèrent des trajectoires bien différentes, aussi bien pour la croissance (européenne, américaine, mondiale…) que pour les taux d’intérêt, les cours de change, ou encore les allocations d’actifs.
Conclusion
On retiendra que l’année 2013 est une véritable année charnière et non une simple année de transition : elle déterminera bien évidemment les tendances pour les années à venir, et elle fournira une conclusion sans doute définitive à la crise de la dette. On saura si la bonne tenue des marchés financiers en 2012 reposait sur des avancées solides ou sur une trop forte complaisance envers les solutions apportées par les pays européens (risque systémique, rebond de la volatilité et risque macro sont les trois risques principaux). Les problèmes de déficits et de dette ne seront pas tous résolus au cours des mois à venir… au mieux, la zone euro sera perçue comme le reste des pays avancés, des pays luttant pour améliorer leurs finances publiques et non luttant pour sortir d’une crise de dette. Nous n’espérons pas la fin des problèmes, simplement la fin de la crise… et ce n’est déjà pas si mal. Il faudra sans doute s’en contenter.
L’enjeu de 2013 concerne le scénario 2 : tout repli des craintes sur ce scénario sera d’autant plus favorable aux marchés européens – et notamment à la zone euro – que les portefeuilles internationaux sont sous pondérés Europe. Les marchés financiers pourraient dès lors se positionner dans l’attente du scénario 3, ce qui serait bénéfique à la fois aux actions et aux obligations crédit, favorisant ainsi une remontée plus rapide des taux longs souverains.