par Patrick Artus, directeur de la recherche économique et des études de Natixis
Depuis juin 2008, les autorités chinoises ont à nouveau décidé d’ancrer le RMB au dollar. Cette décision, parfois critiquée parce qu’elle perpétue la sous-évaluation réelle du RMB est en réalité stabilisante et favorable à tous les pays (régions) :
- la Chine, parce qu’elle améliore la situation de ses industries bas de gamme exportatrices ;
- les Etats-Unis parce qu’elle évite la dépréciation du dollar et la pentification de la courbe des taux d’intérêt que devraient normalement entraîner les politiques mises en place ;
- la zone euro, la livre sterling et les pays émergents, parce qu’elle conduit à une dépréciation de leurs devises par rapport au dollar dans une période de faiblesse de l’activité ;
- le Japon a eu d’abord, au début de la crise, une monnaie forte, avec la fin de l’endettement en yens, mais l’ancrage au RMB au dollar va maintenant affaiblir le yen, ce qui est nécessaire avec la grande faiblesse des exportations du Japon.
1- La nouvelle politique de change de la Chine
Après avoir laissé le RMB s’apprécier depuis le printemps 2005, les autorités chinoises ont à nouveau lié le RMB au dollar à partir de juin 2008.
L’objectif de ce changement de politique de change est de soutenir les industries bas de gamme exportatrices, d’accroître les marges bénéficiaires des entreprises exportatrices, de recréer des emplois pour les migrants dans ces entreprises après la forte chute de la croissance en 2008.
Cette politique sera-t-elle efficace, malgré le faible niveau des coûts de production en Chine, et, dans certains cas, l’absence de produits substituables aux produits chinois dans les autres pays ?
L’analyse économétrique montre que l’élasticité-prix des exportations de la Chine est faible : nous l’estimons à – 0,24 : la sous-évaluation du RMB va accroître, mais faiblement, les exportations en volume de la Chine.
2- Une politique favorable aux Etats-Unis
Une dépréciation du RMB par rapport au dollar n’a pas d’effets défavorables sur le revenu des Etats-Unis : elle accroît peu les importations en volume des Etats-Unis depuis la Chine (en raison de la faible substituabilité entre productions américaines et productions chinoises) et elle réduit les prix de ces importations.
A l’opposé, on voit que l’appréciation du RMB par rapport au dollar de 2005 à 2008 avait fait monter les prix des importations des Etats-Unis depuis la Chine.
Le problème essentiel des Etats-Unis est aujourd’hui d’éviter les effets défavorables des politiques économiques très stimulantes : déficit public, baisse des taux et création monétaire.
Ces politiques devraient normalement conduire à une dépréciation du dollar et à une pentification de la courbe des taux (une hausse des taux d’intérêt à long terme), mais ces évolutions ne se produisent pas ou peu.
Ceci est dû, et sera dû dans le futur, à ce que les excès d’offre de titres en dollars devront être achetés par la Banque Centrale de Chine pour éviter la dépréciation du dollar par rapport au RMB. Quels que soient le déficit budgétaire des Etats-Unis et le niveau des taux d’intérêt sur le dollar, la présence de la Chine comme « acheteur en dernier ressort » de titres en dollars évite que les Etats- Unis ne subissent les conséquences normales des politiques économiques très expansionnistes qui y sont menées.
3- Euro, livre sterling, devises des émergents
L’ancrage du RMB sur le dollar transforme le dollar en la monnaie de l’ensemble Chine + Etats-Unis. Cet ensemble a des caractéristique très différentes de celles des Etats-Unis : il a un taux d’épargne et d’investissement élevés, un faible déficit commercial, une croissance potentielle très forte non inflationniste…
Cet ensemble a normalement une monnaie plus forte que :
- l’euro, avec la faible croissance potentielle de la zone euro ;
- la livre sterling, avec les déficits extérieurs du Royaume-Uni.
De plus, la crise a provoqué de fortes sorties de capitaux depuis les pays émergents (graphique 13), cette monnaie étant perçue comme plus stable que celles des émergents grâce à l’ancrage RMB-$.
La nouvelle politique de change de la Chine a donc impliqué dans la période récente une dépréciation de l’euro, de la livre sterling, des monnaies des émergents, par rapport au dollar, favorable dans la crise économique récente, à la zone euro, au Royaume-Uni, aux pays émergents.
4- Le cas particulier du yen et du Japon
Avant la crise, le yen était une monnaie très faible en raison de l’endettement en yens (carry-trades, endettement des ménages en yens en Europe…) ; au début de la crise, l’arrêt de l’endettement en yens (la fin des carry-trades) a provoqué un reflux des capitaux vers le Japon et une forte appréciation du yen.
Puis le recul du commerce mondial a provoqué un violent recul des exportations du Japon et le passage d’un excédent commercial à un déficit commercial (ce qui a provoqué une rapide dépréciation du Yen.
Normalement, le déficit extérieur des Etats-Unis étant beaucoup plus important que celui du Japon, le yen devrait s’apprécier par rapport au dollar.
Mais le déficit extérieur des Etats-Unis n’a pas d’importance, puisque, tant que le RMB est lié au dollar, il est compensé par l’excédent extérieur de la Chine, d’où la dépréciation du yen avec le déficit extérieur du Japon.
Cette dépréciation est bienvenue au Japon, où le recul des exportations était amplifié par l’appréciation du yen.
Au total, l’ancrage du RMB au dollar est très stabilisant :
- il soutient les industries exportatrices en Chine ;
- il permet aux Etats-Unis d’avoir un énorme déficit public et des taux d’intérêt très faibles sans chute du dollar ;
- il soutient la croissance dans la zone euro, au Royaume-Uni, au Japon, dans les pays émergents en impliquant une dépréciation des devises de ces pays par rapport au dollar, alors que si le dollar flottait librement il se déprécierait fortement par rapport à ces devises.
Il faut donc, pour prévoir la parité du dollar vis-à-vis des autres devises, considérer l’ensemble formé de la Chine et des Etats-Unis. Ceci fait disparaître, en particulier, tout effet du déficit extérieur des Etats-Unis sur la parité du dollar.