Alan Lemangnen, économiste chez Natixis

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• Pour ceux qui en doutaient encore, il est désormais clair que la BCE conserve un fort biais accommodant et qu’elle reste prête à répondre à toute détérioration des perspectives économiques, au moins au travers de mesures conventionnelles. Les projections du staff de la BCE ont été revues légèrement à la baisse, à partir de niveaux déjà très bas, et le Conseil des Gouverneurs a débattu des options d’assouplissement de la politique monétaire lors de sa réunion de jeudi.

• Nous prévoyons toujours une baisse de 25 pdb du principal taux de refinancement de la BCE au deuxième trimestre. La probabilité d’une annonce en ce sens dès le mois d’avril a augmenté. L’élément déclencheur (et une justification naturelle) serait un signal de la part de la BCE que les risques autour de la stabilité des prix sont désormais orientés à la baisse (contre équilibrés actuellement). Comme la BCE s’attend toujours à une stabilisation de l’activité, suivie d’un redressement au second semestre, le niveau de 0,50% devrait constituer un plancher pour le taux « Refi » dans le cycle actuel, sauf choc imprévu.

• Mario Draghi a mis en garde, à de nombreuses reprises, contre toute complaisance. Tout en conservant une «tonalité accommodante » pour un bon moment encore et en continuant à « surveiller étroitement les conditions de liquidité », la BCE ne devrait faire aucune concession aux pays de la périphérie, à travers notamment un assouplissement des conditions de l’OMT. La question des réformes structurelles et d’assainissement des bilans bancaires reste au cœur de ses priorités

Non seulement les projections du staff de la BCE ont été revues en baisse rejoignant globalement nos propres prévisions, mais on note aussi dans le communiqué officiel de la BCE quelques changements subtils indiquant une tonalité encore plus accommodante. Notamment M. Draghi est paru plus prudent concernant le « renforcement de la demande globale » et « l’amélioration de la confiance sur les marchés financiers et la réduction de la fragmentation » (le passage a été retiré du paragraphe introductif et M. Draghi n’y a fait allusion que plus tard, en des termes moins affirmatifs). Avec une inflation prévue à la baisse nettement sous la cible de 2%, et des risques négatifs sur les perspectives à court terme de l’activité, il n’est pas surprenant, en tout cas à nos yeux, que M. Draghi ait fait assez explicitement allusion à la possibilité d’un nouvel assouplissement monétaire, lors de la séance des questions/réponses. M. Draghi a notamment déclaré que le Conseil des Gouverneurs avait examiné l’option d’une baisse des taux directeurs. Cela suggère qu’une baisse du taux « Refi » dès le mois prochain est tout à fait probable, à en juger par la manière dont la BCE signale traditionnellement ce type de mouvement aux marchés. L’évolution de la situation en Italie pourrait néanmoins compliquer la tâche de la BCE à court terme.

Concernant l’Italie, le moins qu’on puisse dire est que la BCE n’a fait preuve d’aucun signe de complaisance. Commentant le résultat des dernières élections, M. Draghi a indiqué qu’il était le résultat de la « démocratie » et a appelé à poursuivre autant que possible la voie des réformes, quel que soit le prochain gouvernement. On peut en dire autant de l’Irlande (incitée à faire le ménage dans le secteur bancaire au-delà des efforts déjà consentis), de Chypre (dont la situation ne doit pas être prise à la légère de l’avis de la BCE), et de l’OMT en général (dont l’activation est très improbable sans la signature d’un Memorandum of Understanding très contraignant, ou sans un accès complet au marché pour les pays sous programme). Une chose est sûre : suite aux élections italiennes, la BCE sera probablement plus réticente encore à proposer une aide non-conventionnelle aux pays de la périphérie qui en feraient la demande sans de solides garantie en contrepartie, compte tenu du risque d’aléa moral.

Cependant, les indicateurs économiques restent, pour la plupart décevants et la situation en Italie ne va pas manquer de susciter de nouvelles inquiétudes dans le secteur des entreprises. Par conséquent, et il convient de le souligner, les conditions du crédit dans les pays de la périphérie ont peu de chances de s’améliorer sensiblement à court terme. Certes, il ne faut pas nécessairement y voir un argument en faveur d’une nouvelle détente de la politique monétaire conventionnelle, c’est-à-dire une baisse des taux à partir de niveaux déjà historiquement bas, mais le message d’aujourd’hui ne va pas moins, selon notre analyse, dans le sens d’un nouvel assouplissement. L’inflation se situe, en effet, en dessous de l’objectif fixé par la BCE et à des niveaux bien plus bas encore pour ce qui est de l’inflation sous-jacente. de plus, elle devrait, selon les prévisions, reculer à 1,3% en moyenne d’ici à 2014 (ce qui serait un signal fort pour une Banque centrale n’ayant qu’un seul objectif, comme nous l’avons souvent répété). Dans ces conditions, même les « faucons » au sein du Conseil des Gouverneurs ne devraient pas opposer une trop grande résistance, selon nous, à condition que l’assouplissement monétaire ne soit pas avancé comme une réponse à l’instabilité politique en Italie. L’élément déclencheur (et une justification naturelle) d’une baisse de taux serait un signal de la part de la BCE que les risques autour de la stabilité des prix sont désormais orientés à la baisse (contre équilibrés actuellement).

Bien sûr, le jugement de la BCE n’a pas été entièrement négatif, et la réaction du marché à la conférence de presse (sans dépréciation notable de l’euro en particulier) montre que les anticipations de nouvel assouplissement monétaire restent assez limitées. Comme M. Draghi l’a fait remarquer, les révisions des projections du staff de la BCE sont principalement dues à des effets de base négatifs (sur la croissance) – plutôt qu’à un fléchissement de l’activité– et à l’impact de l’appréciation de l’euro (sur l’inflation). Il a également insisté sur la « dichotomie » existant entre les données réelles (plutôt moroses) et les enquêtes (plus encourageantes), espérant implicitement que les premières finiraient par rattraper les secondes.

De plus, la BCE continue de tabler sur un renforcement de la reprise économique au second semestre de cette année; tandis que l’assainissement des bilans dans les secteurs public et privé devrait finir par contribuer à restaurer les canaux de transmission de la politique monétaire et à soutenir les conditions du crédit. En outre, la BCE n’a plus à se préoccuper, tout au moins temporairement, de l’impact potentiel d’un repli de l’excès de liquidité sur les taux d’intérêt à court terme, ainsi que sur l’euro. Selon nos estimations, les banques italiennes ont obtenu environ 250 Mds € sur la totalité des opérations de refinancement à trois ans (LTRO), soit 1 000 Mds €. Les banques qui n’ont pas commencé à rembourser ces prêts de la BCE ne sont probablement pas prêtes à le faire dans un avenir très proche, dès lors que des incertitudes politiques persistent. Ce pourrait être également le cas d’autres banques périphériques, de quoi entraîner un ralentissement général des remboursements et une diminution des pressions à la hausse sur les taux Eonia et Euribor.

À terme, nous restons convaincus que le taux « Refi » ne sera probablement pas ramené en dessous de 0,50% sauf choc négatif majeur. Ce que la BCE peut faire et fera, selon nous, si les circonstances l’exigent, c’est de recourir à des interventions verbales en insistant que les conditions de liquidité et la politique monétaire resteront accommodantes et en essayant d’inciter ainsi les marchés à revoir leurs anticipations d’évolution des taux courts. À en juger par la réaction des marchés après la conférence de presse de M. Draghi, il existe encore une certaine marge de manœuvre pour faire reculer les taux sur l’ensemble de la courbe, si la BCE le voulait. La menace de taux négatifs pourrait de nouveau être soulevée, même si les commentaires de M. Draghi sur d’éventuelles « conséquences imprévues » laissent penser que la BCE finira probablement par s’abstenir.

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