par Eric Bourguignon, Directeur de la gestion de Taux et Crédit chez Swiss Life AM
Chypre, comme d’ailleurs l’ensemble des pays périphériques de l’Union, a dans un premier temps tiré un grand bénéfice de son intégration à la zone euro. La baisse des taux d’intérêt et l’élévation du niveau de vie qui en a résulté a, en effet, permis au pays d’afficher plus de 4 % de croissance annuelle entre 2004 et 2008. Cette croissance s’est malheureusement avérée très déséquilibrée.
L’envolée de la consommation s’est traduite par l’apparition d’un déficit extérieur intenable financé par des capitaux instables. La spécialisation financière de l’économie a favorisé l’émergence d’un système bancaire hypertrophié pesant plus 700 % du PIB. Le crédit et l’investissement ont été dirigés vers des secteurs improductifs comme l’immobilier, ou pire, vers la Grèce. Dans un tel contexte, ce qui devait arriver est arrivé. La crise financière de 2008-2009 commence à ébranler ce pays très dépendant des financements extérieurs. La crise des dettes souveraines lui porte un coup fatal en raison de sa proximité avec la Grèce et du poids disproportionné de son secteur bancaire. La croissance qui s’était redressée en 2010 sans toutefois retrouver son rythme initial, replonge, et le taux de chômage a doublé en moins de 2 ans.
Fin 2012, le marasme économique conjugué aux pertes colossales enregistrées par les banques sur leur exposition au risque grec conduit le gouvernement à solliciter une aide à ses partenaires européens.
Mauvaises résolutions
Le traitement du problème chypriote n’aurait jamais dû déchaîner les passions compte tenu du peu de poids de Chypre dans l’économie européenne.
En conditionnant son aide à la mise en place d’une taxe généralisée sur les dépôts bancaires, la Troïka est pourtant parvenue à donner à la crise une dimension planétaire qu’elle n’aurait jamais dû atteindre avec un peu plus de pragmatisme et de clairvoyance.
Bien que ce projet de taxe ait finalement été abandonné, l’Europe aura une fois de plus illustré la complexité de son organisation et la division de ses membres. Plus grave, même si elle épargne, dans la seconde version de son plan, les déposants détenant moins de 100 000 euros sur leur compte, elle crée un précédent en mettant les actionnaires, les créanciers, et surtout les autres déposants, au centre de l’indispensable restructuration du système bancaire chypriote.
Selon l’accord intervenu au terme de ce psychodrame, et qui aboutira au versement par les créanciers internationaux d’un prêt de 10 milliards d’euros à Chypre, la principale banque du pays, Laiki, qui avec la Banque de Chypre (BoC) compte 55 % des actifs bancaires de l’île (et 450 % de son PIB !) sera liquidée. Ses actifs sains seront transférés à la BoC, et ses créances douteuses affectées à une « bad bank » financées par ses déposants les plus aisés, c’est-à-dire disposant de plus de 10 000 euros sur leur compte. La Banque de Chypre sera dans le même temps recapitalisée, là aussi par une large conversion de ses dépôts non garantis en actions.
La crise chypriote laissera des séquelles. Les marchés craignent en particulier que l’accord qui a permis de la résoudre serve de modèle de résolution bancaire (autrement dit de processus de sauvetage d’une banque en difficulté) à l’avenir au sein de l’Union. Leur réaction doit être mesurée à cette aune. Cette crainte est cependant excessive car le plan de sauvetage constitue d’abord une réponse aux spécificités et à l’originalité du contexte chypriote. Elle ne devrait donc pas provoquer de regain durable de la volatilité des marchés financiers.