Reprise, peut-on enfin y croire ?

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

L’économie européenne n’en est pas à son premier rebond. En 2010 et jusqu’au printemps 2011, elle semblait déjà bien partie. Tirée par les Etats-Unis et la Chine, relayée par l’Allemagne, la reprise s’affirmait. Dans les enquêtes de conjoncture, les chefs d’entreprise se montraient plus optimistes ; « l’arrêt cardiaque » consécutif à la faillite de Lehman Brothers était remisé au rang des mauvais souvenirs. A tel point que la Banque centrale européenne (BCE) montait ses taux d’intérêt. Elle le fera par deux fois, en avril puis en juillet 2011.

La suite est connue. Les premiers accrocs dans la reprise datent de l’été 2011, lorsque les dirigeants européens prirent l’option d’une restructuration de la dette grecque1. S’en suivirent des difficultés d’accès aux marchés pour l’Italie et l’Espagne, une envolée des primes de financement (spreads) et un plongeon des indices de confiance. Dans le même temps, le Congrès américain bloquait sottement la dette de l’Etat fédéral, jusqu’à risquer le défaut de paiement ; ce qui coûtera aux Etats-Unis leur « triple A » et, sans doute, quelques dixièmes de point de croissance. Quant à la BCE, elle baissait dès le mois de novembre ses taux d’intérêt, ceux-là mêmes qu’elle montait quatre mois plus tôt.

Ce qui n’eut guère d’effet. La zone euro est retombée en récession, situation dans laquelle elle est restée tout au long de 2012 et se trouvait encore début 2013. Les pays du Sud ont vécu une quasi dépression : chutes parallèles de la demande et du crédit, retour aux niveaux de production manufacturière d’il y a deux, voire trois, décennies. Il aura fallu que ces derniers menacent d’emporter dans leur chute l’Union économique et monétaire (UEM) pour que, partant d’un simple empilement de plans d’urgence, la réponse à la crise s’organise vraiment. Le déclenchement des prêts à long terme de la BCE, la signature4d0%u « Pacte » budgétaire renforcé, le lancement du projet d’union bancaire, l’annonce d’un dispositif d’opérations monétaires sur titres (OMT) ayant vocation à soutenir le financement des Etats, la ratification du Mécanisme européen de stabilité, sont autant de pierres venues consolider l’édifice. De fait, l’UEM résiste désormais mieux aux chocs. La quasi faillite de Chypre ou la crise politique italienne n’ont entravé ni la réduction des spreads ni son lent redressement courant 2013. En d’autres temps, elles l’auraient probablement fait dérailler.

Une forme de robustesse qui n’est pas seulement due au progrès de la gouvernance. Les efforts considérables déployés en « périphérie » de la zone euro pour restaurer compétitivité et équilibre des comptes commencent aussi à produire des résultats. L’Irlande, dont l’activité s’inscrit en rebond depuis le printemps 2013, devrait afficher un taux de croissance assez robuste à l’horizon 2014 (+2,2% selon la Commission européenne); elle a aussi toutes les chances de retrouver un accès complet aux marchés. L’Espagne, le Portugal, exportent sur des rythmes qui n’ont rien à envier à ceux de l’Allemagne ; dans les deux pays, les entreprises qui ont pu résister à la crise ont réduit leur dette et affichent une profitabilité record (graphique) ; les échanges extérieurs de biens et services sont excédentaires; la balance des paiements enregistre aussi des entrées assez nourries d’investissements directs2. Ce sont, en bout de course, autant de besoins de financements externes qui disparaissent. Signe que les positions débitrices et créancières cessent de faire le grand écart au sein de l’UEM, les montants inscrits en comptes «Target 2» de l’Eurosystème sont moins imposants. Depuis un an, les créances que la Bundesbank détient sur les autres banques centrales de la zone euro ont fondu de 155 milliards d’euros.

Mieux organisée qu’il y a deux ans, également moins fragile à sa périphérie, la zone euro gagne des chances de voir le rebond économique se prolonger. S’enclencherait alors une drôle de reprise, qui verrait l’Allemagne, la Chine, ou encore le Japon consommer davantage, les Etats-Unis épargner et investir, l’Europe du Sud exporter… Quant aux risques associés à ce scénario, ils restent les mêmes. Le premier d’entre eux serait que, débarrassés du sentiment d’urgence, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro négligent l’impératif de réformes. Or si la crise s’atténue au Sud de l’UEM, il est difficile d’imaginer en sortir sans une dose accrue de fédéralisme. L’union bancaire, le Fonds européen d’extinction des dettes, les euro-obligations, font partie de ces chantiers retardés, voire purement et simplement mis de côté, mais qui reviendront sur l’agenda européen sitôt passées les élections allemandes.

NOTES

  1. Cf. « Des accrocs dans la reprise », Eco-Perspectives de Juillet-Août 2011, Editorial. Un peu plus d’un an après avoir déclenché le premier plan d’aide à la Grèce, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro décident d’impliquer le secteur privé dans une restructuration de la dette publique. Une première version du « Private Sector Involvement » (PSI) sera proposée en juillet 2011.
  2. Les entrées nettes d’investissements directs étrangers (IDE) ont remplacé les sorties en Espagne : +64 milliards d’euros sur douze mois cumulés à mars 2013, contre -20 milliards d’euros à mars 2012. Les IDE entrants ont également fortement progressé au Portugal. (Source Eurostat)

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