La reprise boursière sera-t-elle challengée par la hausse des taux ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Cinq ans après la chute de Lehman Brothers, Wall Street est à son plus haut niveau historique, les actions européennes ont renoué avec une phase très positive… Cette tendance est-elle durable ? L’impact négatif de la hausse des taux américains sur les marchés émergents, cet été, est-il un phénomène précurseur ?

Notre comité d’allocation maintient un scénario d’ensemble positif qui repose sur trois convictions majeures : la confiance que nous accordons aux Banques centrales pour ne pas gâcher les bienfaits (au moins jusqu’à présent) de leurs stratégies innovantes, les valorisations très convenables des actions et les flux qui devraient y revenir plus massivement…

La crise financière de 2008 a été un véritable choc quasi-systémique et la reprise économique qui a suivi est très modérée. Le rythme d’expansion mondial tourne en effet autour de 3/3,5% et contraste avec le niveau de 5 % en moyenne de la période 2002/2007. La reprise américaine est l’une des moins vigoureuses historiquement parmi les périodes qui suivent une phase de récession et l’Europe est en quasi-stagnation.

Mais dernièrement, les perspectives semblent progressivement s’améliorer aux États-Unis, au Japon et même en Europe. Les derniers indicateurs avancés publiés ont marqué un point d’inflexion à la hausse cette année et laissent entrevoir une accélération de la croissance : l’indicateur de conjoncture « PMI» mondial atteint ainsi son plus haut niveau depuis juin 2011.

D’une façon générale, les coupes budgétaires et les politiques d’austérité pourraient s’atténuer et moins peser sur les économies, laissant ainsi le relais au secteur privé qui offre beaucoup de potentiel : le cycle d’investissement des entreprises est en retard, surtout aux Etats-Unis, car la visibilité a été assez faible. or, elles sont dans l’ensemble « cash rich » et l’amélioration générale impulsée par la Réserve fédérale a permis aux ménages d’améliorer la valeur de leur patrimoine, ce qui soutiendra la demande finale. Les capex devraient donc repartir, de même que l’activité M&A… en Europe, la réduction à marche forcée des déficits publics pourrait s’atténuer (à vérifier après les élections allemandes) : le surplus budgétaire primaire est en effet redevenu positif dans plusieurs pays périphériques. au Japon, la croissance étonne et le pari osé de Shinzo Abe et de la Banque du Japon semble porter ses fruits jusqu’à présent avec un rythme de croissance de l’ordre de 3 % ces derniers mois, à la faveur d’un rebond de la demande domestique et des dépenses publiques.

C’est paradoxalement dans les pays émergents que le doute s’est installé, et là où la croissance déçoit. il convient en effet de remarquer que l’écart de croissance entre les émergents et le monde développé s’est réduit nettement depuis deux ans : il était de l’ordre de 4,5 points de différence au cours de la dernière décennie ; il est retombé actuellement à 3,5 %, avec une croissance de 4,5% contre près de 1 % en occident. Cette réduction est due pour une bonne part au ralentissement chinois (de plus de 10%, à actuellement 7 %), mais également à la baisse des matières premières car plusieurs pays sont exportateurs nets (la Russie, le Brésil…). Alors, les forts replis de ces dernières semaines annoncent-ils une crise profonde, comme durant les années 90 ? Probablement pas selon nous. Les économies émergentes se sont assainies dans l’ensemble au cours de la décennie 2000, avec des niveaux d’endettement bien moindres et des stocks de réserve de change qui donnent des marges de manœuvre. Par ailleurs, les devises sont désormais globalement flottantes, contrairement aux « PEGS » des années 90, si bien que leurs fortes baisses récentes leur redonnent de la compétitivité. Le cas du Brésil l’illustre bien. L’année dernière, le gouvernement avait mis en place une taxe pour freiner l’envolée du réal et ralentir les flux de capitaux entrant. Depuis, le réal a perdu plus de 30 % vis-à-vis du dollar et la taxe a été abolie. Le pays devrait ainsi retrouver de la compétitivité…

La croissance modérée impliquait des taux faibles alors que, en théorie, une croissance plus forte pourrait signifier une hausse des taux… d’où la question légitime sur la fin des « QE ». Les marchés l’ont bien compris et la hausse des taux longs est impressionnante depuis quelques mois : les rendements obligataires à 10 ans sont passés de 1,5 % à près de 3 % aux Etats-Unis, mouvement accentué à partir de mai dernier par une communication maladroite de Ben Bernanke à propos de son intention de réduire le volume du programme d’achat de dettes…

La Fed va devoir « rétropédaler »… nous avons en effet la conviction qu’elle ne prendra pas le risque de modifier trop tôt, et trop radicalement, sa politique pour ne pas enrayer les effets positifs créés par sa stratégie. Les anticipations du marché nous semblent trop pessimistes. D’après les taux à terme, la Fed relèverait les taux directeurs avant la fin de l’année 2014. Or, le rythme de création d’emplois est trop faible pour que le taux de chômage passe nettement sous le seuil de 6,5 % d’ici là.

Nous anticipons donc une stabilisation des taux longs, un achat tactique est même envisageable à court terme. Les conditions techniques sont très « survendues » et les courbes des taux très pentues : l’écart 2/10 ans est proche de ses plus hauts niveaux depuis plus de 30 ans aux Etats-Unis, un peu moins en Europe. Et les marchés savent bien qu’il ne faut pas naviguer contre la Fed ! Dans la zone euro, une baisse supplémentaire des taux directeurs serait même possible si l’Eonia remontait un peu, dans le cas où les Banques se remettaient à prêter à l’économie et diminueraient leurs réserves à la BCE. Nous pensons donc que les taux monétaires vont rester encore proches de 0, au moins jusqu’à 2015, d’autant qu’il n’y a actuellement pas d’inflation.

Dans ces conditions, la stabilisation des taux d’intérêt obligataires – que nous anticipons pour les prochains mois – bénéficiera également aux obligations d’entreprises, « Investment Grade » et « High Yield » car les situations financières sont globalement bonnes et les taux de défaut attendus ne devraient pas se dégrader. Mais évidemment, les performances attendues resteront assez faibles dans l’absolu, de l’ordre de 3 à 7 % au cours des 12 prochains mois. Les obligations émergentes ont été particulièrement sensibles à la remontée des taux américains. Les flux avaient été tellement importants ces dernières années dans le mouvement généralisé de « course au rendement » que le changement de direction des taux américains a eu des conséquences brutales : en moyenne, les devises émergentes ont ainsi perdu 10 % contre le dollar cet été (jusqu’à 25/30 % pour certaines d’entre elles) et les taux se sont fortement tendus. Le rendement de l’indice des obligations émergentes en devises fortes est de plus de 6 % contre 4 % en début d’année. Les dettes en monnaies locales offrent bien souvent des taux plus élevés. En conséquence, et vu que nous pensons qu’il n’y aura pas de crise comme dans les années 90, les fluctuations actuelles vont donner des points d’entrée intéressants. Attention toutefois, les prochains mois seront encore volatils car il y aura encore probablement des flux sortants d’investisseurs plus fragiles.

Actions : de vrais écarts de valorisation désormais…

Après la crise de 2008, les valorisations des principaux indices actions mondiaux étaient très homogènes, autour de multiples de capitalisation entre 10 et 12. Depuis, les écarts boursiers ont été très significatifs et les évolutions récentes l’illustrent bien : par exemple, depuis le début de l’année, les actions américaines sont en hausse de près de 20 % alors que l’indice des actions émergentes recule de 10 % !

Dès lors, les actions américaines – à leurs plus hauts historiques – sont ainsi les plus valorisées : la hausse récente a été plus rapide que celle des bénéficies, si bien que l’indice S&P 500 capitalise désormais près de 15 fois les bénéfices 2013 (110 dollars de bénéfice par unité d’indice attendu cette année et 120 en 2014, soit un PER 2014 de 14). Ce n’est plus « donné » mais cela reste raisonnable.

La reprise relative des actions européennes par rapport aux actions américaines devrait se poursuivre. La valorisation des actions américaines est naturellement plus élevée car la part des valeurs technologiques y est nettement supérieure et elles sont plus chères car offrant plus de croissance. Mais des points extrêmes ont été atteints et le mouvement de rattrapage devrait se poursuivre : depuis 2007 (avant la crise) les actions américaines ont surperformé de près de 50% et les écarts de valorisations sont désormais extrêmes : un point de plus de PBV, deux fois moins de dividendes, P/e ajustés du cycle en bas des marges de fluctuation historiques. De plus, le potentiel de flux est important : les investisseurs internationaux sont sous-pondérés en actions européennes depuis la crise de la zone en 2011 et les domestiques sont sous-pondérés en actions.

De même, nous estimons que le rattrapage (certes violent depuis 9 mois) des actions japonaises n'est pas terminé. Elles se situent actuellement dans une phase de consolidation mais leurs valorisations restent encore assez basses (prix/valeur d'actifs de l'ordre de 1,3) et le yen devrait continuer à s'affaiblir sous l'impulsion de la Banque du Japon.

Les actions émergentes sont actuellement délaissées pour les raisons évoquées plus haut, alors que leurs valorisations sont désormais très attractives : PER de l’ordre de 10 pour les résultats de cette année, avec des devises qui ont baissé. Les actions russes, brésiliennes et chinoises notamment nous semblent ainsi particulièrement sous-valorisées. Pour le cas de la Chine, le PER 2014 de l’indice des valeurs chinoises cotées à Hong Kong est de moins de 7, avec des ratios « prix/valeur d’actifs » de 1,2. Il s’agit à notre avis de points d’entrée intéressants, bien qu’il faille probablement investir en plusieurs fois car les flux de sortie ne sont peut-être pas encore terminés.

Sur le plan des devises, nous n'avons pas de fortes convictions sur l'évolution du dollar contre l'euro : logiquement, il devrait s'apprécier du fait d'un différentiel de croissance et de taux d'intérêt favorable. Mais par ailleurs, les flux internationaux reviennent vers des actifs européens, notamment actions. Le « trading range » relativement étroit, en vigueur depuis plusieurs mois, pourrait se prolonger. Nous avons le sentiment qu'il subsiste deux grandes monnaies encore chères, parmi les principales : le yen et le franc suisse.