La rhétorique dovish de la BCE pourrait ne pas suffire

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE a maintenu son biais baissier et sa politique de guidage des anticipations (forward guidance) en octobre, mais son président Mario Draghi a eu du mal à se montrer plus accommodant que le mois dernier. La reprise en zone euro est qualifiée de « faible, fragile, inégale ». Une baisse de taux a été discutée, mais le Conseil des gouverneurs (CG) est loin d’avoir le doigt sur la gâchette.

• Mario Draghi n’a apporté aucune précision sur la mise en place de nouvelles mesures de gestion de la liquidité. La BCE se dit néanmoins prête à envisager « tous les outils disponibles » – un commentaire ajouté à son communiqué – si bien que nous prévoyons toujours une nouvelle opération de refinancement à très long terme (v-LTRO) qui pourrait être pré-annoncée en décembre.

• La prochaine revue des bilans bancaires (Asset Quality Review, ou AQR) sera particulièrement importante pour juger de la santé du secteur et de l’éventuel besoin de liquidité. Un communiqué détaillé de la BCE est attendu à ce sujet d’ici la fin octobre.

Lors de sa réunion mensuelle qui s’est tenue exceptionnellement à Paris ce mercredi, le Conseil des gouverneurs (CG) de la BCE a décidé de laisser inchangé son réglage monétaire, y compris ses principaux taux directeurs et son guidage des anticipations, lequel consiste en un engagement à maintenir «les taux d’intérêt de la BCE à leurs niveaux actuels ou à des niveaux inférieurs pour une période de temps prolongée ». En résumé, la BCE reste prête à agir afin de garantir que l’évolution des marchés reste en ligne avec son réglage de politique monétaire, toutes les options restant ouvertes à court terme. Cependant, le ton global de la conférence de presse n’a pas été suffisamment dovish pour signaler un changement imminent, comme en témoigne la hausse de l’euro après la réunion.

Les décisions de la BCE vont dépendre étroitement de l’évolution des données et des conditions de liquidité dans les prochains mois. Compte tenu de notre prévision de reprise graduelle en zone euro, nous continuons de penser qu’une baisse des taux est peu probable, tandis qu’un v-LTRO pourrait être pré-annoncé dès le mois de décembre. Ce deuxième point n’est pas acquis pour autant : tout dépendra des conditions de liquidité, du rythme de remboursement des LTRO et des possibles effets collatéraux de l’AQR.

Quelles options au-delà de l’« ambigüité constructive » de la BCE ?

Le communiqué de la BCE pour le mois d’octobre est quasiment identique à celui de septembre, à quelques petites différences près (notamment sur le marché monétaire, cf. ci-dessous). À en juger par la réaction du marché à la conférence de presse, le ton n’était pas aussi dovish que certains l’espéraient et le guidage des anticipations de la BCE pourrait tôt ou tard être à nouveau remis en question par le marché. Nous continuons donc de penser que la BCE devra se montrer plus convaincante, donc plus claire et plus transparente. Nous passons ci-dessous en revue les options auxquelles la BCE est le plus susceptible de recourir dans un premier temps, s’il s’avérait nécessaire d’assouplir davantage sa politique monétaire ou du moins de compenser un resserrement passif lié, par exemple, à une hausse des taux longs aux États-Unis et en Europe, à l’appréciation de l’euro (que Draghi a mentionné plus explicitement ce mois-ci) ou aux pressions haussières sur les taux interbancaires liées à la baisse de l’excès de liquidité.

– Un ton encore plus dovish

La BCE a conservé un biais clairement baissier depuis l’introduction de sa forward guidance en juillet dernier. Les deux sont liés. Toutefois, un renforcement de cette forme de « guidage sans grand guidage » pourrait s’avérer nécessaire afin d’accroître sa crédibilité et son impact sur le marché. Nous avons discuté des différentes options envisageables dans ce cas, notamment une communication plus transparente sur sa fonction de réaction et une « pondération » plus importance accordée au pilier monétaire. La baisse de l’inflation vers de nouveaux points bas, à 1,1% a/a en septembre (et encore plus bas lorsqu’on enlève les composantes volatiles et les taxes) pourrait justifier une révision à la baisse de la balance des risques sur la stabilité des prix. Pour la BCE, les risques inflationnistes restent globalement équilibrés pour l’instant. Mario Draghi a ajouté que la « dynamique de l’inflation évoluait comme attendu », ce qui suggère que la BCE regardera « au travers » des données à court terme pour s’attacher aux perspectives de moyen terme. Toutefois, si les prochaines données d’inflation étaient inférieures aux prévisions, ou si les anticipations d’inflation commençaient à baisser, la BCE pourrait signaler un tel basculement des risques lors de la réunion de décembre, au moment où les nouvelles prévisions du staff seront publiées.

– Une baisse des taux

Le communiqué et la conférence de presse du 2octobre nous amènent à penser que la probabilité d’une baisse à court terme du principal taux de refinancement de la BCE (Refi) a encore diminué. Une baisse des taux a été envisagée lors de la réunion, mais comme en septembre, un CG divisé a considéré que les arguments en faveur d’une baisse n’étaient pas suffisants. Cela ne signifie pas qu’une baisse des taux peut être définitivement exclue (une telle baisse pourrait en effet être utilisée pour limiter toute hausse de l’Eonia), mais une dégradation des données économiques serait nécessaire pour qu’un consensus se dessine au sein du CG avant de passer à l’acte. Compte tenu de notre prévision de reprise graduelle de la zone euro dans les trimestres à venir et de résolution relativement rapide de la question du budget et du plafond de la dette aux États-Unis, une baisse des taux directeurs reste un scénario alternatif plutôt que notre scénario central.

– Une nouvelle v-LTRO

Comme prévu, Mario Draghi a laissé la porte grande ouverte à de nouvelles mesures de soutien à la liquidité, la BCE étant « prête à envisager tous les outils disponibles » afin que l’évolution des taux de marché reste en ligne avec son réglage monétaire. Cette phrase ayant été ajoutée au premier paragraphe du communiqué officiel, les membres du CG sont probablement unanimes sur ce point précis. Pendant la séance des questions-réponses, Mario Draghi a ajouté que «la possibilité d’un LTRO » figurait parmi les outils disponibles, mais il n’a pas donné davantage de détails que lors de son intervention devant le Parlement européen en début de semaine.

De plus, Mario Draghi a de nouveau minimisé les craintes selon lesquelles une nouvelle baisse de l’excès de liquidité conduirait à une hausse des taux interbancaire, estimant que la relation entre l’excès de liquidité et l’Eonia restait difficile à estimer, même si les marchés monétaires étaient moins fragmentés que par le passé. Le rythme des futurs remboursements des LTRO à 3 ans reste très incertain, en particulier à l’approche de l’AQR et des stress tests l’an prochain. Jusqu’à présent, la baisse de l’encours des LTRO a été relativement régulière, sans que des tensions importantes n’apparaissent sur d’autres segments du marché et sans hausse brutale de la demande pour les opérations de refinancement principales (MRO) hebdomadaires (cf. graphiques ci-dessous). Ces différents éléments amènent la BCE à voir le verre de la liquidité à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide.

Nous continuons cependant à penser que le lancement d’une nouvelle opération de refinancement à très long terme (v-LTRO1) pourrait être la première réponse de la BCE si elle était amenée à passer des paroles aux actes. Comme nous l’écrivions dans notre preview, un nouveau v-LTRO ne serait pas la panacée, mais aiderait la BCE à atteindre simultanément plusieurs de ses objectifs : renforcement du guidage des anticipations, ralentissement de la baisse de l’excès de liquidité, réduction préventive du risque d’une « falaise de liquidité » en 2015 pour certaines banques périphériques, tout en se réservant la possibilité d’une utilisation plus importante des prêts aux PME comme collatéraux (ce qui serait le cas si la BCE réduisait à nouveau les décotes sur ce type d’actifs). Un facteur essentiel réside dans les caractéristiques de l’opération elle-même : un v-LTRO à taux fixe pendant toute la durée de l’opération serait souhaitable, plutôt qu’un taux indexé au taux Refi comme lors des précédents LTRO à 3 ans. Il nous semble également qu’un v-LTRO serait plus facile à défendre au sein du CG qu’une baisse de taux, si la situation économique continuait de s’améliorer graduellement.

L’AQR est l’autre grand sujet du moment

Plusieurs problèmes relatifs à l’AQR (revue de la qualité des bilans bancaires) de la BCE et aux stress tests de l’EBA (Autorité Bancaire Européenne), qui seront lancés prochainement, ont été discutés au cours des dernières semaines, notamment le calendrier de ces deux évènements (l’AQR devrait avoir lieu au premier trimestre 2014, avant les stress tests qui seront publiés à l’automne 2014)ou la manière de traiter comptablement les différentes catégories d’actifs figurant au bilan des banques. Les membres de la BCE ont semblé légèrement plus optimistes récemment sur la procédure elle-même et sur les exigences de capital réglementaire qui pourraient en découler, mais certaines dissensions sont apparues – notamment avec la Bundesbank – sur des sujets tels que la manière de traiter les portefeuilles de titres souverains ou la nature des mécanismes de soutien nationaux à mettre en place. Un communiqué détaillé de la BCE est attendu sur le sujet au cours de la deuxième quinzaine d’octobre. Une AQR trop stricte pourrait notamment réduire la capacité des banques à mobiliser leur bilan, ou encore à une hausse de la demande de liquidité « banque centrale » dans les mois qui viennent. De tels risques n’ont pas disparu, et la BCE n’aura d’autre choix que d’en tenir compte.

NOTES

  1. v-LTRO signifie “Very Long Term Refinancing Operation” ou opération à très long terme. Les deux LTRO à 3 ans sont des V- LTRO, par opposition aux LTRO régulières de la BCE, d’une maturité de 1 et 3 mois. Il existe par ailleurs d’autres outils susceptibles d’influencer les conditions de liquidité, notamment une baisse du RRR (ration de réserves obligatoires) ou une suspension de la stérilisation du programme SMP de achats d’obligations par la BCE.

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